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Affaire Bétharram: ce que l'on sait de l'avancée de l'enquête judiciaire

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Deux hommes sont toujours en garde à vue ce jeudi 20 février, suspectés de "viols aggravés, agressions sexuelles aggravées et/ou violences aggravées" au sein de l'établissement catholique Notre-Dame-de-Bétharram entre 1957 et 2004. L'enquête sur les faits de violences commis dans le collège-lycée a débuté il y a plus d'un an.

Trois hommes ont été placés en garde à vue ce mercredi 19 février dans l'affaire des violences physiques et sexuelles au sein de l'établissement catholique Notre-Dame-de-Bétharram, dans les Pyrénées-Atlantiques.

La garde à vue de deux d'entre eux a été prolongée de 24 heures ce jeudi, a fait savoir le procureur de la République de Pau. Ce dernier a mis un terme à celle du troisième, nonagénaire, sans en dire davantage à ce stade de la procédure.

L'affaire a reçu un coup de projecteur début février en raison de la mise en cause du Premier ministre, François Bayrou, par plusieurs témoignages affirmant qu'il était au courant de premières accusations entourant l'établissement dans les années 1990, ce qu'il dément. L'enquête a toutefois débuté bien avant cette polémique.

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Violences sexuelles: derrière l'affaire Bétharram, une affaire Bayrou?
14:00

• L'enquête a été ouverte il y a un an

Le 31 janvier 2024, 20 anciens élèves ont déposé plainte, décrivant des violences, des agressions sexuelles et des viols lors de leur scolarité à Notre-Dame-de-Bétharram, collège-lycée situé à Lestelle-Bétharram. Au fil des mois, les plaintes se sont accumulées, et il y en a aujourd'hui plus de 130, selon un collectif de victimes. 

Lors du dépôt des premières plaintes, le parquet de Pau avait ouvert une enquête préliminaire sur cette institution longtemps réservée aux garçons. Confiée à la section de recherches de la gendarmerie de Pau, elle a permis d'auditionner une centaine de victimes.

• Les victimes dénoncent des violences physiques et sexuelles

Les victimes sont quasiment toutes des hommes, des garçons âgés de 8 à 13 ans au moment des faits, qui se sont étalés entre 1957 et 2004. Les personnes visées dans les plaintes sont à la fois des laïcs - des surveillants par exemple - et des religieux.

Elles dénoncent essentiellement des faits de violences physiques, mais certaines décrivent également des viols et des agressions sexuelles. Concernant les faits de violences, les élèves internes de l'époque parlent de brimades quotidiennes, de douches froides, d'humiliations, d'insultes...

Olivier Bunel, scolarisé dans l'établissement entre 1982 et 1984, a témoigné ce jeudi sur BFMTV, décrivant "un goulag digne d'un autre temps".

"Le monde des internes, c'était des coups puissance dix et ce qu'on peut qualifier aujourd'hui de viols", dit-il.

Il évoque notamment un surveillant qui était "un tyran, un pervers, un sadique qui se complaisait de pouvoir faire du mal aux enfants" et dont il dit avoir été victime de viol et de coups. "Je me disais tout le temps, ça ira mieux demain. Et en fait, ça n'allait jamais mieux demain", raconte-t-il, affirmant qu'une "omerta" régnait sur l'établissement.

Cyril Ganne, élève de Bétharram entre 1987 et 1991, a aussi témoigné jeudi sur BFMTV, disant avoir vécu "dans la peur" lors de sa scolarité là-bas. Il explique avoir subi "des coups, des brimades", "une tentative de geste déplacé" à son égard et du "rabaissement dans le sens où les insultes étaient monnaie courante à Bétharram".

Les coups physiques étaient "le mode de fonctionnement de cet établissement", assure-t-il, donnant l'exemple d'un professeur qui tirait les élèves par les cheveux et leur donnait un coup sur la tête lorsqu'il leur rendait des copies.

• Deux hommes sont toujours en garde à vue

Trois hommes ont été placés en garde à vue mercredi, suspectés de "viols aggravés, agressions sexuelles aggravées et/ou violences aggravées" pour des faits présumés s'étalant "entre 1957 et 2004", sont nés en 1931, en 1955 et en 1965, a précisé le parquet. Le plus âgé d'entre eux a été remis en liberté ce jeudi.

Le porte-parole du collectif de victimes, Alain Esquerre, a salué cette avancée dans l'enquête auprès de BFMTV mercredi. "C'est l'aboutissement de 15 mois de travail et de décennies d'attente pour les victimes. C'est une énorme libération. La prochaine étape, c'est la désignation d'un juge d'instruction. Le collectif a déjà reçu 134 plaintes au total, ça n'arrête pas d'arriver", a-t-il dit.

À l'issue des gardes à vue, une instruction judiciaire pourrait être ouverte avec l'éventuelle mise en examen de ces hommes, suivie d'un placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire.

• D'autres plaintes ont été déposées par le passé

L'établissement a déjà été cité dans des plaintes ayant donné lieu à une action judiciaire. En 1995, un parent d'élève a porté plainte au nom de son fils, qui avait reçu une gifle si violente qu'elle lui a brisé le tympan et lui a fait perdre 40% de son audition. Un an plus tard, en 1996, le surveillant à l'origine de cet acte de violence a été condamné à 5.000 francs.

Par ailleurs, en 1998, un jeune homme a révélé à des policiers avoir été victime de viols et d'agressions sexuelles de la part du père Carricart, ex-directeur de l'institution, en 1987 et 1988. La plainte a donné lieu à une mise en examen et un placement en détention provisoire du prêtre, avant sa remise en liberté sous contrôle judiciaire 14 jours plus tard. Le religieux s'est suicidé en 2000 au Vatican où il s'était réfugié, marquant la fin de cette enquête.

• De nombreuses plaintes pourraient être prescrites

Parmi la centaine de plaintes recensées par le collectif des victimes, une poignée ne sont pas frappées par la prescription, estime son porte-parole Alain Esquerre, lui-même ancien pensionnaire, qui dénonce le "règne du silence" en vigueur à Bétharram. La prescription désigne la durée au-delà de laquelle une action en justice n'est plus recevable.

Me Jean-François Blanco, avocat en 1996 d'un élève ayant déposé une première plainte pour violences physiques contre l'établissement, a souligné néanmoins auprès de l'AFP que la période évoquée par le procureur, de 1957 à 2004, "permet de situer les crimes dans leur sérialité", "un critère fondamental pour l'appréciation sur la prescription".

Selon la loi de 2021 sur la protection des mineurs contre les crimes et délits sexuels, le délai de prescription d'un premier viol peut en effet être prolongé si la même personne récidive sur un autre mineur.

Alexandra Gonzalez avec Sophie Cazaux avec AFP