Massacres, exactions... Qui sont les alaouites en Syrie et pourquoi sont-ils pris pour cible?

Des violences inédites depuis la chute de Bachar al-Assad. La côte syrienne a été frappée la semaine dernière par une vague de massacres et d'exactions visant en particulier la communauté alaouite, dont est membre l'ancien dictateur.
Les violences ont été déclenchées par une attaque sanglante le 6 mars de partisans du président déchu contre des forces de sécurité du nouveau pouvoir islamiste à Jablé, près de Lattaquié. Les autorités ont envoyé des renforts dans les provinces voisines de Lattaquié et Tartous, pour soutenir des opérations contre les pro-Assad.
En marge des combats, ce sont les civils qui ont été pris pour cible. D'après l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), qui dispose d'un vaste réseau de sources en Syrie, le nombre total de victimes civiles s'élève à 1.068, "y compris des femmes et des enfants". L'ONG évoque des "meurtres, des exécutions sommaires et des opérations de nettoyage ethnique".
· Une branche dérivée du chiisme
Les alaouites sont un groupe ethno-religieux présents sur la côte méditerranéenne et dans l'ouest de la Syrie, notamment dans les gouvernorats de Lattaquié et de Tartous, mais aussi dans les plaines autour de Hama et Homs, ainsi que dans les grandes villes du pays. Ils représentent 12% de la population et sont donc la première minorité confessionnelle devant les chrétiens (10%) et les druzes (3%), selon les données du Quai d'Orsay.
Alors que les trois quarts des Syriens sont des musulmans sunnites, les alaouites adhèrent à une doctrine religieuse dérivée du chiisme - l'autre branche de l'islam - qui a émergé au IXe siècle. Celle-ci se distingue par des croyances ésotériques qui font des alaouites un groupe à part au Moyen-Orient.
Contrairement aux autres musulmans, les alaouites vénèrent Ali, le cousin et gendre de Mahomet, considéré par les chiites comme le successeur du prophète. Ils croient aussi en la réincarnation. De nombreux aspects de leur foi sont tenus secrets, car transmis oralement au sein de la communauté.
La branche alaouite est souvent perçue comme plus libérale, car elle n'impose à ses fidèles ni interdiction de l'alcool, ni port du voile pour les femmes. Les alaouites ne pratiquent pas non plus strictement les cinq piliers de l'islam et rejettent le Hajj, le pèlerinage à la Mecque.
· Une communauté associée au clan Assad
Le littoral syrien alaouite est le bastion du clan Assad, qui a gouverné le pays d’une main de fer pendant plus de 50 ans. Hafez el-Assad, président de 1971 à 2000, puis son fils Bachar al-Assad, de 2000 à 2024, ont placé des alaouites à tous les hauts postes de l'appareil militaire et sécuritaire syrien.
Depuis la chute d'Assad le 8 décembre 2024, des tensions secouent la côte syrienne avec une recrudescence des enlèvements et des fusillades, alimentant les craintes de représailles contre les alaouites.
La région abrite en effet de nombreux anciens militaires fidèles aux Assad, toujours armés, ainsi que des employés du secteur public limogés par le nouveau pouvoir.
Cependant, "il ne faut pas confondre la communauté alaouite qui aujourd'hui rejette Bachar al-Assad avec ses anciens partisans, qui sont environ 5.000 et se cachent dans les montagnes", souligne sur le plateau de BFMTV Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro et spécialiste du Moyen-Orient.
· Des "ennemis de Dieu" pour les jihadistes
Les exactions contre les civils alaouites de la semaine écoulée mettent en lumière la "fragilité du gouvernement" du nouveau leader syrien Ahmed al-Chareh, analyse auprès de l'AFP le chercheur Aron Lund, du centre de réflexion Century International.
"Une grande partie de cette autorité repose sur des jihadistes radicaux qui considèrent les alaouites comme des ennemis de Dieu", explique-t-il. "Lorsqu’une attaque survient, ces groupes lancent des raids dans les villages alaouites. Mais ces villages comptent à la fois des civils vulnérables et d’anciens soldats armés", créant une situation explosive, ajoute-t-il.
Depuis son arrivée au pouvoir, le président syrien par intérim, Ahmad al-Chareh s’efforce de rassurer les minorités et a appelé ses forces à faire preuve de retenue et éviter toute dérive confessionnelle.
Mais cette ligne n’est pas nécessairement partagée par l’ensemble des factions qui opèrent sous son commandement, et forment aujourd’hui "l’armée et la police", insiste Aron Lund.
Après les violences sur le littoral, visant les alaouites mais aussi des chrétiens, Ahmad al-Chareh a de promis dimanche de poursuivre les responsables de "l'effusion de sang de civils".