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Syrie

Torture, pendaisons... Ce que cachaient les murs de la prison de Saydnaya, l'"abattoir humain" d'Assad

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Les rebelles et islamistes qui ont renversé le président syrien Bachar al-Assad ont ouvert les geôles de la tristement célèbre prison de Saydnaya, libérant des dizaines de détenus enfermés par le régime et brisés par la torture.

Un centre de mise à mort au service du régime. Les rebelles syriens qui ont chassé Bachar al-Assad du pouvoir ont ouvert dimanche 8 décembre les portes de la prison de Saydnaya, symbole de la répression pendant la guerre civile syrienne.

Hagards, le visage émacié, certains trop faibles pour se tenir debout sans l'aide d'un codétenu, des dizaines d'hommes, de femmes et même d'enfants ont quitté leurs geôles avant d'errer, sans repères, dans les rues de Damas. Certains y étaient emprisonnés depuis des dizaines d'années. Comme l'ancien pilote Ragheed al-Tatari, arrêté en 1981 par les services du père de Bachar al-Assad, Afez.

Au même moment, des milliers de Syriens se pressaient aux abords de la prison dans l'espoir de retrouver, vivant ou morts, des proches disparus depuis leur arrestation par le régime.

Un symbole de la répression du régime

La prison de Saydnaya, située à une trentaine de kilomètres au nord de la capitale, est devenue depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011 le symbole d'un régime répressif aux pratiques barbares. Des milliers de détenus y ont été entassés dans des conditions inhumaines. Leur tort? Avoir critiqué le régime, ou simplement être suspecté de faire partie de la rébellion.

Après un jugement arbitraire et des aveux extorqués sous la torture, les condamnés étaient jetés dans des cellules minuscules et sans lumière du jour, à la merci de leurs gardiens et tortionnaires.

Une photo satellitaire, fournie par le Centre national d'études spatiales français à Amnesty International le 7 février 2017, montre la prison de Saydnaya, au nord de Damas, en Syrie
Une photo satellitaire, fournie par le Centre national d'études spatiales français à Amnesty International le 7 février 2017, montre la prison de Saydnaya, au nord de Damas, en Syrie © Handout © 2019 AFP

Régulièrement privés d'eau et de nourriture, souvent dépouillés de leurs vêtements, les détenus vivaient dans le froid avec pour seule protection des couvertures humides, parfois infestées de poux. Ils avaient interdiction de parler entre eux, de prier et de regarder leurs geôliers dans les yeux.

"Quand ils apportaient à manger, ils mettaient la nourriture par terre et l'écrasaient avec leurs chaussures", témoigne auprès de RTL Mahmoud, détenu pendant six mois à Saydnaya en 2014, alors qu'il avait 17 ans.

"Parfois, il y avait du sang et la nourriture était mélangée avec. On devait manger ça, si on ne le faisait pas, on ne survivait pas. Quand je suis sorti de Saydnaya, je ne pesais pas plus de 35 kilos", poursuit-il.

Une cellule de la prison de Saydnaya en Syrie, le 9 décembre 2024
Une cellule de la prison de Saydnaya en Syrie, le 9 décembre 2024 © Mohammed AL-RIFAI / AFP

Tortures quotidiennes

D'anciens détenus évoquent des passages à tabac réguliers, à coup de barre de fer ou de bâtons électriques. "Peu à peu, nous avons commencé à connaître le régime de la prison: nous sommes battus deux ou trois fois par semaine, et à chaque fois, quelqu'un doit mourir. Chaque fois que le nombre de prisonniers diminue, ils en amènent de nouveaux. L'arrivée des prisonniers n'a pas de fin", décrit Abu Anas al-Hamwi dans un recueil de témoignages d'anciens détenus publié par l’Association des détenus et des personnes disparues de la prison de Saydnaya (ADMSP).

Des cas de violences sexuelles ont également été rapportés. "Nombre des prisonniers ont déclaré avoir été violés ou parfois contraints de violer d'autres détenus", indique l'ONG Amnesty international dans un rapport publié en 2017.

Des rebelles ont déclaré à l'Agence France-Presse avoir trouvé ce lundi une quarantaine de corps portant des traces de torture dans la morgue d'un hôpital près de Damas, entassés dans des sacs mortuaires. "J'ai ouvert la porte de la morgue de mes propres mains, c'était un spectacle horrible: une quarantaine de corps étaient empilés, montrant des signes de tortures effroyables", a décrit Mohammed al-Hajj, un combattant des factions rebelles du sud du pays.

L'AFP indique avoir consulté des dizaines de photographies et de séquences vidéo que le rebelle dit avoir prises lui-même, et qui montrent des cadavres présentant des signes évidents de torture: yeux et dents arrachés, éclaboussures de sang, ecchymoses.

Les Casques blancs syriens creusent dans la prison de Saydnaya à la recherche d'éventuels détenus cachés sous terre, le 9 décembre 2024
Les Casques blancs syriens creusent dans la prison de Saydnaya à la recherche d'éventuels détenus cachés sous terre, le 9 décembre 2024 © Abdulaziz KETAZ / AFP

Pendaisons de masse

Décrite par Amnesty international comme un "abattoir humain", la prison de Saydnaya est aussi un véritable centre de mises à mort, théâtre de pendaisons de masse.

"Les détenus apprennent seulement à la toute dernière minute qu'ils vont être exécutés. Quand ils pénètrent dans la salle d'exécution, les détenus ont encore les yeux bandés. On leur dit d'exprimer leurs derniers souhaits et on leur fait apposer leur empreinte sur une déclaration qui atteste leur mort", décrit l'ONG dans son rapport.

Des Syriens consultent un registre trouvé à l'intérieur de la prison de Saydnaya pour trouver des informations sur des proches disparus, le 9 décembre 2024
Des Syriens consultent un registre trouvé à l'intérieur de la prison de Saydnaya pour trouver des informations sur des proches disparus, le 9 décembre 2024 © Mohammed AL-RIFAI / AFP

Au total, depuis le début du soulèvement en 2011, plus de 100.000 personnes ont péri dans l'immense complexe pénitentiaire syrien, selon une estimation de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) en 2022.

Les corps des victimes n’ont jamais été restitués à leurs proches. Après l'ouverture de la prison ce week-end, des centaines de familles espéraient retrouver des prisonniers dans d'éventuels cachots enterrés sous le bâtiment. Mais ce mardi, les secouristes des Casques blancs ont annoncé mettre fin à leur recherche de détenus, "sans avoir trouvé de lieux secrets ou cachés".

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Les islamistes promettent de "poursuivre" les tortionnaires

Le chef de la rébellion, Abou Mohammad al-Jolani, a promis de châtier les auteurs d'exactions, annonçant la publication des "noms des plus hauts responsables impliqués dans les tortures".

"Nous poursuivrons les criminels de guerre et demanderons qu'ils soient remis par les pays où ils se sont enfuis afin qu'ils puissent recevoir leur juste châtiment", a-t-il affirmé, alors que des médias libanais indiquent que plusieurs anciens dignitaires du gouvernement Assad se sont réfugiés à Beyrouth sous la protection du mouvement chiite Hezbollah, allié de l'ancien pouvoir.

Al-Jolani a promis des récompenses à quiconque permettra la capture d'anciens responsables "impliqués dans des crimes de guerre", et précisé avoir "accordé l'amnistie" au personnel subalterne de l'armée et des forces de sécurité "dont les mains ne sont pas tachées du sang du peuple syrien".

François Blanchard