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Palestine

Pillages, tueries, famine, "chaos général"... Comment l'aide humanitaire est devenue une arme de la guerre entre Israël et le Hamas

Des enfants palestiniens font la queue pour recevoir de la nourriture à Gaza, le 31 juillet 2025

Des enfants palestiniens font la queue pour recevoir de la nourriture à Gaza, le 31 juillet 2025 - Photo par ABDALHKEM ABU RIASH / ANADOLU / Anadolu via AFP

À Gaza, l'ONU alerte sur une "famine généralisée", alors que le Hamas et Israël s'accusent de piller et de détourner l'aide humanitaire. Une situation complexe, où des enjeux de communication chevauchent une crise humanitaire.

À la Une des journaux du monde entier, des images d'enfants émaciés. Des femmes et hommes affamés, qui supplient pour un peu de nourriture. Après des mois de guerre et de siège, la bande de Gaza est menacée d'une "famine généralisée", alerte l'ONU. Propos repris par Donald Trump, qui s'est inquiété ce mardi 29 juillet, d'une "véritable famine", s'éloignant au passage de son allié israélien Benjamin Netanyahu, dont les ministres continuent d'en nier l'existence.

"Beaucoup de gens meurent de faim", a assuré le président américain en annonçant la mise en place de centres de distribution alimentaire dans l'enclave palestinienne, "où les gens pourront entrer librement, sans limites".

Fait rare: l'émissaire américain Steve Witkoff était sur place ce vendredi pour inspecter les sites de distribution d'aides humanitaires et rencontrer des habitants. Contre la famine, le seul espoir des 2,4 millions de personnes vivant dans la bande de Gaza est l'aide humanitaire, dont la distribution a repris mi-mai sur décision israélienne.

Deux types d'aide humanitaire arrivent - difficilement - à Gaza: l'un orchestré par le Programme alimentaire mondial (PAM), acheminé par camion ou largué par les airs; l'autre, sous le nom de Gaza Humanitarian Foundation (GHF), orchestré par Israël avec le soutien financier des États-Unis et qui donne lieu à des scènes de chaos.

1.400 Palestiniens tués dans les distributions

Dernier exemple en date, jeudi 31 juillet avec la découverte des corps de plusieurs dizaines d'hommes tués par balle autour de camions acheminant des vivres, rapporte un correspondant de l'AFP. La Défense civile faisait déjà état la veille d'au moins 40 personnes tuées par des tirs de l'armée israélienne, dont une majorité attendait "de l'aide dans le nord de Gaza".

"L'armée israélienne laisse passer les camions du Programme alimentaire mondial qui sont arrêtés par la foule. Et là, les gens prennent des sacs et l'armée israélienne ouvre le feu", dénonce auprès de BFMTV Jean-Guy Vataux, coordinateur d'urgence de Médecins Sans Frontières (MSF) à Gaza.

"Il y a quand même beaucoup de balles qui sont tirées dans le dos. Donc l'idée que les Palestiniens veulent attaquer l'armée israélienne qui se défend en tirant dessus, c'est clairement du flan", assure-t-il.

Près de 1.400 Palestiniens ont été tués depuis le 27 mai dans la bande de Gaza, "la plupart" par l'armée israélienne alors qu'ils attendaient de l'aide humanitaire, a accusé l'ONU ce vendredi.

"La plupart de ces meurtres ont été commis par l'armée israélienne", affirme le Bureau pour les territoires palestiniens du Haut commissariat des Nations Unies. Sur internet et dans les médias, les images de cargaisons d'aide humanitaire vidées sont nombreuses, le phénomène se retrouvant au cœur de la guerre entre le Hamas et Israël, sur le terrain, cette fois, de la communication.

Accusations mutuelles

Les deux ennemis s'accusent conjointement de pillages sur les routes menant aux entrepôts, qui empêchent l'aide humanitaire d'être acheminée jusqu'aux Gazaouis, dans une instrumentalisation de la famine à leur profit.

Avec, ces derniers jours, une énième illustration de cette guerre de l'opinion: mardi, les autorités israéliennes affirmaient que 200 camions d'aide humanitaire avaient été convoyés dans la bande de Gaza et des vivres largués par les airs.

"Le Hamas a volé la nourriture de son propre peuple. Israël a agi", affirmait dans la foulée le bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahu, mercredi sur X. Et au Hamas de rétorquer en accusant Israël "d'organiser la famine" en "transformant la nourriture en une arme de mort lente et l'aide humanitaire en un outil de chaos et de pillage".

Professeur à Science Po Paris et spécialiste du Moyen-Orient, Jean-Pierre Filiu dépeint auprès de BFMTV "un monde sans loi, un monde sans règles, où toutes les normes du droit humanitaire sont violées, où les Nations unies sont humiliées, où il y a des mercenaires qui profitent de ce scandale et de cette terreur".

"Chaos général"

Dans une enclave fermée et sous contrôle, difficile en effet de démêler le vrai du faux "entre deux narratifs résolument opposés et contradictoires", comme le souligne David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS), ajoutant que la situation à Gaza résulte "du chaos général" dans l'enclave.

"Israël rejette systématiquement, mais sans convaincre, les accusations d'obstruction à la distribution de l'aide humanitaire, en évoquant le détournement de cette aide par le Hamas, qui, de son côté, n'entend pas renoncer à sa mainmise sur la distribution", explique le spécialiste du Moyen-Orient.

Des Palestiniens se rassemblent pour recevoir des repas distribués par une organisation caritative à Gaza, le 23 juillet 2025.
Des Palestiniens se rassemblent pour recevoir des repas distribués par une organisation caritative à Gaza, le 23 juillet 2025. © KHAMES ALREFI / ANADOLU / Anadolu via AFP

Et d'ajouter: "par ailleurs, le pillage d'une partie de cette aide humanitaire par des groupes criminels semble également avéré, même si cela n'explique pas la catastrophe humanitaire à grande échelle qui est une réalité difficilement contestable".

"Le gros argument du gouvernement israélien pour la Gaza Humanitarian Foundation et aujourd'hui pour les largages, c'est qu'on ne veut pas que le Hamas puisse en bénéficier. Alors évidemment, c'est ridicule, puisque la caractéristique des distributions de Gaza Humanitarian Foundation ou des largages, c'est qu'il n'y a aucun contrôle sur qui récupère la nourriture", souligne Jean-Guy Vataux.

Qui sont les "gangs palestiniens"?

Dans un rapport, l'agence gouvernementale américaine USAID confirmait par ailleurs ne pas avoir trouvé de preuve de pillages systématiques du Hamas, qui accuse de son côté Israël de retenir la nourriture ou de financer des milices chargées de le faire. À Gaza, les ONG dénoncent l'acheminement non sécurisé de l'aide humanitaire, quand Israël les accuse de ne pas prendre en charge certains camions affrétés dans la zone et vante les distributions de nourriture, pourtant chaotiques et meurtrières, de la GHF.

"Ces pillards sont assez liés, voire carrément, à l'armée israélienne", tranche de son côté le professeur Jean-Pierre Filiu. Des ONG dénoncent en effet que des "gangs palestiniens" auraient été recrutés au sein même de la population civile locale et seraient financés par l'État hébreu pour détourner l'aide humanitaire, la stocker ou la revendre à prix d'or: on estime que près de la moitié des envois sont pillés avant de pouvoir parvenir à la population.

Et les ONG ne sont pas les seuls à avoir ce discours. L'ex-ministre de la Défense israélien, Avigdor Lieberman, a porté cette accusation lors d'une interview à la radio, sur Kan News, relayée par Libération. Selon lui, le gouvernement israélien fournit des armes à ces milices.

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Ces "gangs palestiniens" sont formés de "jeunes qui n'ont aucune chance d'avoir un quelconque revenu et qui sont prêts à risquer leur vie. Ils y vont tous les jours, c'est leur métier d'aller chercher de la nourriture sur les sites, où ils doivent jouer des coudes et se battre pour ramener des sacs de nourriture et ensuite, deux fois sur trois, ils se font tirer dessus par l'armée israélienne", détaille Jean-Guy Vataux. "Ils ont de 17 à 30 ans parce qu'il faut de la force physique", ajoute-t-il.

"C'est un système de capitalisme débridé qui est à l'œuvre aujourd'hui avec une population affamée", résume-t-il, affirmant qu'"il y a une volonté délibérée du gouvernement de ne pas donner assez de nourriture aux Palestiniens".

L'enjeu pour le gouvernement israélien et pour Benjamin Netanyahu serait double, selon lui. L'idée étant d'"en laisser passer suffisamment pour qu'on ne puisse pas être accusé de ne pas le faire", notamment par la communauté internationale indignée par la situation à Gaza et "garder des soutiens" et ne pas risquer "l'isolement diplomatique qui est mortel à long terme".

"Aide d'urgence"

Ce vendredi 1er août, la France a largué 40 tonnes de vivres au-dessus de la bande de Gaza, s'est félicité le président de la République Emmanuel Macron et son ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, qui souligne que cette "aide d'urgence" est "évidemment insuffisante."

Jean-Guy Vataux de Médecins sans frontières dénonce "un écran de fumée" visant à "calmer l'indignation de la portion de citoyens français exaspérée par la situation". "40 tonnes, c'est deux camions et des camions, il en faut 400 par jour", martèle-t-il.

Et de déplorer: "c'est une famine qui touche toutes les classes sociales, à des degrés divers bien sûr, mais en général, ça ne touche pas toute la population". Depuis le 7-Octobre 2023, au moins 60.000 personnes, en majorité des civils, sont mortes à Gaza, selon les données du ministère de la Santé du Hamas, jugées fiables par l'ONU.

Lucie Valais Journaliste BFMTV