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Catastrophe humanitaire, obstacles administratifs... Le défi des ONG après le plan de paix à Gaza

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Les ONG s'apprêtent à faire leur retour dans la bande de Gaza après des mois de restrictions israéliennes. Famine, système de santé anéanti: l'ampleur du chantier humanitaire est immense. Les ONG font aussi face à d'importantes difficultés logistiques.

Le blocus humanitaire de la bande de Gaza en passe d'être levé. Après l'accord de paix conclu entre le Hamas et Israël, suivi de la libération des otages, les ONG espèrent pouvoir de nouveau accéder librement à l'enclave dévastée par deux ans de guerre et affamée par les restrictions imposées par Israël.

À l'issue du sommet de Charm el-Cheikh en Égypte, Emmanuel Macron a salué lundi une "accélération" des opérations humanitaires avec "des volumes plus importants que ceux qui ont été prévus".

300 camions au lieu de 600

Sur le terrain, la situation semble s'améliorer mais reste fluctuante. Selon le Bureau des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha) et l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), Israël a permis ces derniers jours l'entrée d'aide humanitaire et médicale, notamment de gaz de cuisine, pour la première fois depuis mars, ainsi que des tentes supplémentaires pour les déplacés, des fruits frais, de la viande congelée, de la farine et des médicaments.

"Depuis l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, l'ONU et nos partenaires humanitaires ont pu se déplacer plus librement dans les zones de Gaza d'où les forces israéliennes se sont retirées, sans coordination avec les autorités israéliennes", a salué mardi lors d'un point presse un porte-parole des Nations unies.

Mais en parallèle, l'ONU a aussi déploré dans un communiqué qu'Israël n'autoriserait que 300 des 600 camions d'aide humanitaire de l'ONU et d'autres ONG à entrer dans la bande de Gaza, "accusant le Hamas d'avoir violé l'accord de cessez-le-feu en ne restituant jusqu'à présent que quatre corps d'otages décédés".

Les ONG de retour à Gaza

Depuis la rupture de la précédente trêve et la reprise de l'offensive israélienne en mars 2025, l'aide humanitaire restait le monopole de la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), une organisation opaque financée par Israël et les États-Unis, accusée d'instrumentaliser l'aide humanitaire à des fins politiques et militaires.

Les distributions de nourriture de cette fondation ont été marquées par des fusillades meurtrières. Selon le bureau des droits de l'Homme de l'ONU, "plus de 1.000 Palestiniens ont été tués par l'armée israélienne alors qu'ils tentaient d'obtenir de la nourriture".

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Cette situation devrait prendre fin. Le plan américain pour la paix à Gaza annoncé fin septembre et accepté par Israël prévoit de rendre la gestion de l'aide humanitaire à l'ONU, au Croissant-rouge et aux organisations internationales, "sans interférence" d'Israël ou de tout autre acteur.

"Urgence sur les besoins les plus élémentaires"

Pour les ONG, le défi à relever est immense. Le conflit a fait plus de 67.000 morts et 160.000 blessés, dont 42.000 qui vivent avec des invalidités à long terme comme des amputations. Des milliers d'autres habitants souffrent de maladies liées aux conditions de vie dans l'enclave ou de maladies chroniques non-traitées. Le système de santé gazaoui est à genou, seulement 14 des 36 hôpitaux de l'enclave restant - partiellement - opérationnels.

Déplacées à de multiples reprises au gré des opérations militaires de l'armée israélienne, la population est aussi frappée par la famine, officiellement déclarée par l'ONU en août dernier alors qu'Israël accuse le Hamas de piller l'aide.

Plus des deux tiers des bâtiments ont été endommagés ou détruits, selon des chiffres du service d'analyse satellite de l'ONU datés de septembre 2024. Les infrastructures, notamment le réseau crucial de distribution d'eau, sont aussi largement détruites.

"Il y a urgence sur les besoins les plus élémentaires à Gaza: équipements médicaux, médicaments, nourriture, eau, carburant et abris adéquats pour deux millions de personnes qui vont devoir affronter l'hiver sans toit au-dessus de leur tête", résume Jacob Granger, coordinateur des programmes d’urgence de Médecins sans frontières (MSF), auprès de l'AFP.

Plan sur 60 jours

Un plan sur 60 jours annoncé par l'ONU prévoit de l'aide alimentaire pour 2,1 millions de personnes et une aide nutritionnelle plus spécifique pour 500.000 personnes souffrant de malnutrition grave. Il inclut de la distribution en nature, le soutien aux boulangeries et cuisines collectives ainsi que de l'argent liquide pour 200.000 familles pour acheter la nourriture de leur choix.

L'ONU vise d'autre part la fourniture d'eau et services d'assainissement pour 1,4 million de personnes. "Nous aiderons à réparer le réseau de distribution d'eau (...), les fuites des égouts", "nous enlèverons les déchets des espaces résidentiels et fournirons produits d'hygiène, savon, shampoing, lessives, serviettes hygiéniques", a détaillé jeudi Tom Fletcher, le chef des opérations humanitaires de l'ONU.

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L'ONU va fournir plus d'équipements et de médicaments, augmenter les évacuations médicales, déployer plus d'équipes médicales d'urgence, renforcer les soins de base et la prise en charge des questions de santé mentale. La distribution de "milliers de tentes chaque semaine" est prévue. Et le plan prévoit de rouvrir des centres d'éducation temporaires pour 700.000 enfants.

Lever les obstacles

Mais les ONG sont confrontées à des difficultés logistiques. "La difficulté qu'on a maintenant, ce sont des questions d'accès", a déclaré à l'AFP Antoine Renard, directeur du Programme alimentaire mondial dans les Territoires palestiniens. "Le plan de Trump dit qu'on va revenir au système qui était en place lors du précédent cessez-le-feu (janvier 2025), mais les conditions sur le terrain sont différentes", ajoute-t-il, insistant sur les importants déplacements de population ayant eu lieu depuis.

Avec la nouvelle offensive israélienne sur le nord de la bande de Gaza mi-septembre, des centaines de milliers de personnes ont fui vers le centre et le sud du territoire. Cela a créé une "pression" supplémentaire sur des zones dans lesquelles les habitants peinaient déjà à se nourrir ou à se soigner en raison de fortes pénuries, explique l'humanitaire.

Le Programme alimentaire mondial appelle les autorités israéliennes à lever les obstacles à l'entrée de "plus de 170.000 tonnes de denrées alimentaires gérées par le PAM prêtes à être expédiées ou sont déjà en cours d'acheminement via les corridors d'Ashdod, d'Égypte, de Jordanie et de Cisjordanie".

"Cela représente suffisamment de denrées alimentaires de base pour nourrir l'ensemble de la population de Gaza, soit plus de deux millions de personnes, pendant trois mois. Mais pour assurer des livraisons à grande échelle, le PAM a besoin d'une utilisation rapide et efficace de tous les points d'entrée, d'un accès humanitaire sûr et sans entrave, de la remise en état des infrastructures vitales et des installations de stockage, ainsi que de protocoles de dédouanement plus rapides au port d'Ashdod", détaille l'organisation onusienne.

Du matériel médical interdit d'entrée à Gaza

Pour d'autres ONG, la situation est au point mort. "Concernant spécifiquement l'aide humanitaire médicale, nous n'avons constaté aucune amélioration significative", explique à BFMTV Claire San Filippo, responsable des urgences à Gaza pour Médecins sans frontières.

L'ONG française reste à ce stade confrontée "aux mêmes contraintes majeures et systématiques de la part des autorités israéliennes qui nous empêchent d'acheminer le matériel nécessaire à nos activités médicales et sanitaires".

L'humanitaire dénonce un "manque de clarté et de cohérence sur les produits autorisés à entrer à Gaza". L'armée israélienne traque les articles dits "à double usage", estimés dangereux s'ils étaient détournés de leur utilité médicale. "À titre d'exemple, les béquilles ou les panneaux solaires sont à ce jour interdits", illustre Claire San Filippo.

"Une cargaison peut être rejetée en bloc à cause d'un seul article sans que les raisons ne soient communiquées et même si cet article avait été accepté précédemment", poursuit-elle.

Résultat, MSF indique avoir 206 tonnes de matériel en attente de validation ou d'importation dans les différents corridors d'accès à la bande de Gaza.

"Pas la fin de la crise"

Si les bombes ne pleuvent plus sur Gaza, "ce n'est pas la fin de la crise humanitaire", insiste Claire San Filippo de Médecins sans frontières.

"La cinétique des mortalités va baisser du fait de la fin des bombardements mais va continuer de manière exponentielle parce qu'il y a énormément de malnutris, énormément de blessés et que ce n'est pas du jour au lendemain qu'on va pouvoir remettre sur pied un système de santé qui a été complètement détruit", abonde Jean-François Corty, président de Médecins du Monde, auprès de Franceinfo.

Les deux ONG médicales françaises en appellent aux États pour prendre en charge les blessés les plus graves. "Plus de 15.000 personnes, dont un quart sont des enfants, attendent d'être évacuées médicalement en dehors de la bande de Gaza parce que le système de santé ne peut plus répondre à leurs besoins médicaux", indique Claire San Filipo. "Nous savons que plus de 700 patients sont décédés en attendant une évacuation médicale".

François Blanchard