Opaque, soutenue par Israël, basée en Suisse... Qu'est-ce que la controversée Fondation humanitaire de Gaza?

Une nouvelle "fondation" qui pose question. L'organisation privée, Fondation humanitaire de Gaza (GHF), a annoncé ce lundi 27 mai avoir commencé ses livraisons de nourriture dans le territoire palestinien dévasté où la famine menace. Ce mardi, des scène de chaos ont été observées et 47 personnes ont été blessées selon l'ONU.
Créée en février 2025 et basée à Genève, la GHF se présente dans un communiqué comme une "alternative aux chaînes traditionnelles d'assistance". Elle explique avoir pour objectif de "rétablir" l'acheminement d'une "aide directement - et uniquement - à ceux qui en ont besoin".
Sous-entendu, éviter que ces aides ne soient massivement détournées par le Hamas comme le soutient Israël. Ce que dément l'ONU qui affirme mener une stricte surveillance.
Au total, la GHF dit vouloir mettre en place "quatre sites de distributions sécurisés" afin d'apporter des aides sur une première période de 90 jours à 1,2 million de Gazaouis. L'ONU a déclaré ce mardi ne pas savoir si des cargaisons d'aide avaient effectivement été livrées.
"Plein" soutien d'Israël
Cette organisation a reçu le soutien des États-Unis et de l'État hébreu. Le chef de la diplomatie israélienne, Gideon Saar, a déclaré qu'Israël soutenait "pleinement" GHF. Citant des responsables israéliens non identifiés, le New York Times a affirmé le 24 mai qu'un nouveau plan d'aide à Gaza avait été "conçu et largement développé par les Israéliens comme un moyen d'affaiblir le Hamas".
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a lui-même reconnu ce mardi avoir "élaboré un plan avec (ses) amis américains pour avoir des sites de distribution contrôlés où une entreprise américaine distribuerait de la nourriture aux familles palestiniennes".
Israël, qui a intensifié son offensive dans la bande de Gaza et a bloqué pendant plus de deux mois l'entrée de toute aide humanitaire, est censé fournir une sécurité militaire à GHF. Selon l'ambassadeur des États-Unis en Israël, Mike Huckabee, la sécurité aux points de distribution sera assurée "par des prestataires privés", tandis que l'armée israélienne se chargera de la sécurité "à distance" pour les protéger des combats en cours, rapporte le quotidien belge L'Écho.
L'ONU a accusé l'armée israélienne d'avoir ouvert le feu sur la foule ce mardi en marge de la distribution organisée à Rafah, dans le sud de Gaza. Ce que Tsahal dément.
Si l'organisation assure être "neutre, impartiale et indépendante", ces liens étroits posent questions. Et ont poussé son directeur exécutif américain, Jake Wood a claqué la porte de l'organisation ce dimanche 25 mai. Il a expliqué qu'il n'était pas possible selon lui de mettre en œuvre le plan de l'organisation pour aider Gaza "tout en respectant strictement les principes humanitaires d'humanité, de neutralité, d'impartialité et d'indépendance".
Un manque "d'impartialité, de neutralité et d'indépendance", selon l'ONU
C'est pour ces mêmes raisons que l'ONU a refusé de participer aux opérations de cette fondation. "Ce plan de distribution n’est pas en accord avec nos principes de base, y compris ceux d’impartialité, de neutralité et d’indépendance, et nous ne participerons pas à ça", a déclaré Farhan Haq, porte-parole adjointe de l'ONU. Quand un fonctionnaire de l'ONU a qualifié le plan de "dystopique" selon France 24.
La GHF est notamment critiquée pour désigner des "sites de distribution sécurisés", ce qui selon d'autres organisations humanitaires contrevient aux usages en obligeant la population à se déplacer pour recevoir une aide vitale.
"Il est dangereux de demander aux civils de se rendre dans des zones militarisées pour récupérer des rations… L'aide humanitaire ne devrait jamais servir de monnaie d'échange", a déclaré le porte-parole du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), James Elder, le 9 mai dernier en réponse à la proposition israélienne de créer des centres d'aide exclusivement dans le sud de la bande de Gaza.
Des détracteurs se demandent d'ailleurs qui détermine ces lieux de distribution, étant donné les plans de "conquête" de Gaza déclarés par Israël.
Un groupe d'ONG, dont ActionAid, a pointé que "de l'aide utilisée pour masquer de la violence continue n'est pas de l'aide, c'est une couverture humanitaire pour cacher une stratégie militaire de contrôle et de spoliation".
Un financement opaque
L'opacité derrière la création de cette organisation interroge. Si elle a bien été créée en Suisse le 17 février 2025 selon l'Index central des raisons de commerce, son adresse à Genève a été radiée le 19 mai dernier. Le New York Times affirme de son côté que la GHF est également enregistrée dans l’État du Delaware aux États-Unis.
Concernant son financement, le flou persiste. Son ancien directeur exécutif Jake Wood avait assuré que des "hommes fortunés" et "un pays d'Europe de l'ouest à hauteur de 100 millions de dollars" avaient apporté des fonds, sans donner plus de précisions, souligne Ouest France.
Les deux sociétés privées chargées d'assurer la sécurité des centres d'aide ont quant à elles été identifiées: Safe Reach Solutions et UG Solutions. La première, fondée en 2025 par Philip Reilly -un ex-chef de la CIA à Kaboul - avait sécurisé le corridor de Netzarim lors de la dernière trêve en janvier 2025. La seconde a été créée par Jameson Govoni, un ancien membre des forces spéciales américaines.
Une ONG Suisse, Trial international, a annoncé vendredi dernier avoir demandé aux autorités suisses d'ouvrir des enquêtes administratives pour déterminer si GHF respectait le droit suisse et le droit international humanitaire.
"Nous craignons que le territoire suisse soit utilisé pour participer à des activités qui seraient contraires au droit international, et notamment aux Conventions de Genève", a indiqué son directeur exécutif Philip Grant sur la Radio télévision suisse. "Nous avons demandé ces enquêtes pour s'assurer que la GHF respecte les principes minimums de l'action humanitaire: impartialité, neutralité et indépendance, notamment."
Trial international redoute également que le recours supposé à des sociétés de sécurité privées mène à une "militarisation de l'aide".
"Je crois que beaucoup de personnes ont perdu quelque peu leur boussole morale avec ce conflit à Gaza. Il s'agit aujourd'hui de la retrouver", a abondé son directeur exécutif Philip Grant.