Cessez-le-feu entre Israël et le Hamas: un espoir de paix durable dans la bande de Gaza?

C'est "une nouvelle étape attendue qui semble relativement sérieuse mais qui reste fragile", commente le général Jérôme Pellistrandi, spécialiste des questions géopolitiques. Un accord en trois phases entre le Hamas et Israël a été trouvé ce mercredi 15 janvier après plus de 15 mois de guerre. Celui-ci prévoit un cessez-le-feu à partir de ce dimanche 19 janvier et la libération de 33 otages retenus contre près de 1.000 prisonniers palestiniens.
Dès ce jeudi pourtant, Israël a accusé le Hamas de reculer sur l'accord et a mené de nouvelles frappes sur le territoire palestinien faisant au moins 73 morts, selon la Défense civile de la bande de Gaza. Des hauts dirigeants du Hamas ont, dans la foulée, démenti les accusations israéliennes.
"Ce n'est pas encore fait"
Le cabinet de Benjamin Netanyahu a finalement annoncé dans la nuit de jeudi à vendredi "être parvenu à un accord sur la libérations des otages". Le cabinet de sécurité israélien doit se réunir vendredi après la finalisation des derniers détails. Le gouvernement se réunira ensuite pour approuver l'accord.
Le Premier ministre israélien est assuré d'obtenir une majorité malgré l'opposition de ministres d'extrême droite. L'un d'eux, le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, a déclaré jeudi qu'il démissionnerait si le gouvernement adoptait l'accord de trêve "irresponsable" avec le Hamas, sans pour autant quitter la coalition autour de M. Netanyahu.
Sur BFMTV, Rami Abujamus, journaliste palestinien et habitant de la bande de Gaza, a raconté "la grande joie" des Palestiniens à l'annonce de l'accord de cessez-le-feu mais "sait très bien que ce n'est pas encore fait et qu'il y a encore des détails pas réglés".
Des pressions importantes dans les deux camps
Selon les spécialistes, cet accord peut tenir en raison des fortes pressions qui l'entourent. "Sur Israël, il y a une pression très forte avec la nouvelle administration Trump même si Joe Biden a fait le gros du travail", explique Jérôme Pellistrandi.
En outre, la société israélienne est "épuisée par la guerre et attend la libération des otages" détenus à Gaza depuis les attaques du 7 octobre 2023, rappelle sur BFMTV David Khalfa, co-directeur de l'Observatoire du Moyen-Orient.
Du côté du Hamas, le Qatar, l'Égypte ou encore la Jordanie, parmi les principaux médiateurs dans ce conflit, font pression sur le groupe palestinien car "ils ont besoin de stabilité dans la région", explique Jérôme Pellistrandi. Le Hamas sait également l'urgence pour la population de la bande de Gaza, où la situation humanitaire est un désastre en raison des bombardements de l'armée israéliennes et du blocus.
Comme le raconte également David Rigoulet-Roze de l'Institut de recherches internationales et stratégiques (Iris), Mike Waltz, le futur conseiller à la sécurité nationale de la nouvelle administration Trump a mis en garde le Hamas que s'il ne respectait pas les termes de l'accord, les États-Unis appuieraient Israël pour reprendre les activités militaires. "Il y a une véritable épée de Damoclès qui plane", affirme le spécialiste.
D'autant plus que le Hamas est plus isolé qu'auparavant sur le plan régional avec le Hezbollah qui a beaucoup perdu au Liban depuis les affrontements avec Israël ces derniers mois ainsi qu'avec l'effondrement du régime de Bachar al-Assad en Syrie.
Un accord fragile
Les deux parties semblent donc avoir intérêt que cet accord fonctionne et tienne. Toutefois, la perspective d'un cessez-le-feu durable reste fragile. En effet, des deux côtés, il reste des gens hostiles à cet engagement.
En Israël, l'extrême droite s'oppose à un accord avec le Hamas. Des membres de la coalition gouvernementale ont menacé de lâcher le Premier ministre Benjamin Netanyahu en cas de cessez-le-feu, poussant, à l'inverse, depuis des mois à une réponse encore plus dure à Gaza. À titre d'illustration, le ministre des Finances Bezalel Smotrich, d'extrême droite, a dénoncé un accord "dangereux" et précisé que les ministres de son parti voteraient contre.
"Au sein du Hamas aussi il y a des entités qui s'opposent à un accord", précise Jérôme Pellistrandi.
Selon lui, l'opinion publique israélienne sera également très importante pour juger de la longévité de ce cessez-le-feu. Il cite notamment le cas de Kfir Bibas, enlevé le 7 octobre avec ses parents et son frère à seulement 9 mois. Le plus jeune otage du Hamas est devenu un véritable symbole pour le peuple israélien. "C'est un élément émotionnel très fort, s'il s'avère qu'il est mort ça peut être décisif pour l'opinion car ça sera vu comme impardonnable", souligne Jérôme Pellistrandi.
Encore loin d'un accord de paix
Surtout, il s'agit-là d'un accord de cessez-le-feu, et non d'un accord de paix. "C'est une cessation des hostilités", précise bien David Khalfa. Le processus est donc loin d'être terminé entre Israël, le Hamas et les médiateurs autour.
"Ce qui a été fait hier, c'est pour faire plaisir à Trump de dire qu'on est arrivé à un accord", estime de son côté Rami Abujamus, journaliste palestinien, qui reste prudent quant à la suite du processus, déplorant les nombreuses frappes israéliennes sur la bande de Gaza depuis ce vendredi soir et l'annonce de l'accord.
Selon Jérôme Pellistrandi, il ne faut pas s'attendre à ce que les bombardements s'arrêtent nécessairement d'un seul coup. Il estime qu'il est possible que l'on se retrouve dans une situation analogue à celle du sud Liban, "où le cessez-le-feu marche mais Israël se réserve le droit de bombarder dès qu'ils localisent un élément du Hezbollah".
"Donc, ce n'est pas exclu qu'Israël continue des opérations, ça va dépendre aussi du comportement du Hamas et de groupes moins contrôlés", ajoute-t-il.
La question du retrait des troupes israéliennes de l'enclave palestinienne est également centrale. L'accord de cessez-le-feu comprend trois phases: dans la première est prévu un retrait israélien des zones densément peuplées et dans la deuxième un retrait complète de la bande de Gaza. Pour David Khalfa, il s'agit là de "la difficulté majeure".
En effet, Israël veut à tout prix éviter de revivre un nouveau 7 octobre 2023. Par conséquent, Tsahal va vouloir continuer à surveiller et scruter de très près le petit territoire palestinien. Toutefois, le retrait total devrait être effectif puisqu'il s'agit d'une condition ferme du Hamas pour que le cessez-le-feu puisse perdurer.
En outre, "pour garantir sa sécurité à l'avenir, Israël peut compter sur l'implication des États-Unis, du Qatar ou de l'Égypte", ajoute Jérôme Pellistrandi, qui précise que l'Iran, ennemi historique de l'État hébreu, est "très affaibli".
Quel avenir pour Gaza?
Si l'accord est effectivement respecté, quel avenir pour la bande de Gaza, territoire largement détruit par 15 mois de bombardement incessant, entraînant le déplacement interne de plus d'1,9 million de personnes.
"Le Hamas sort très affaibli des 15 mois de guerre, il faut qu'il reconstruise son autorité administrative", affirme Jérôme Pellistrandi. Avant les attaques du 7 octobre, et depuis sa victoire électorale en 2006, le mouvement islamique palestinien dirigeait tous les pans de la société gazaouie.
Le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a été assassiné par Israël fin juillet à Téhéran, et son successeur Yahya Sinouar, architecte des attaques du 7 octobre, tué par des soldats israéliens dans le sud de Gaza moins de trois mois plus tard. Les Brigades Ezzedine al-Qassam, branche armée de la formation, continuent de se battre dans Gaza mais ont subi de très lourdes pertes.
Selon Sanam Vakil, directrice du programme Moyen-Orient au cercle de réflexion britannique Chatham House, à l'AFP le mouvement islamiste "traverse une crise de légitimité". Nombre de Palestiniens, dit-elle, le voient désormais "comme une partie du problème" et il "ne pourra être considéré comme légitime que s'il parvient à rétablir une administration (à Gaza, NDLR), et à rendre des comptes".
Il est difficile de prévoir quel rôle jouera, par exemple, l'Autorité palestinienne, au pouvoir en Cisjordanie, autre territoire palestinien, dans la reconstruction de Gaza et de quelle organisation politique se dotera l'enclave ravagée.
"Se pose la question du développement économique de Gaza, on ne peut pas considérer que Gaza ne vive que de l'aide humanitaire, il faut développer l'agriculture, la pêche... Tout cela doit s'inscrire dans la durée", souligne Jérôme Pellistrandi.
"On sait très bien qu'après la guerre et le cessez-le-feu, ça ne sera pas le paradis, ça sera la guerre de survivre car on ne sait pas comment ça va être au niveau de l'aide humanitaire", commente auprès de BFMTV le Gazaoui Rami Abujamus.