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Otan, Trump, élections... Pourquoi l’Ukraine apparaît si fragilisée à l’approche de possibles négociations

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L'entretien téléphonique entre Vladimir Poutine et Donald Trump ce mercredi a accéléré l'idée de négociations sur le conflit russo-ukrainien, alors que la diplomatie occidentale se réunit à Munich ce week-end.

Il y a près de trois ans, le 24 février 2022, le monde occidental découvrait avec stupéfaction les images des troupes russes qui lançaient l'invasion à grande échelle de l'Ukraine. Aujourd'hui, l'idée de négociations fait grandement son chemin, notamment sous l'impulsion de Washington.

Ce mercredi 12 février, Donald Trump s'est entretenu avec Vladimir Poutine pendant une heure et demie. Les deux dirigeants ont convenu "d'entamer immédiatement des négociations" sur la guerre en Ukraine. Un entretien qui a de quoi faire jubiler le Kremlin et qui fragilise la position de l'Ukraine.

Sous le coup d'un mandat d'arrêt international, le président russe a grandement été mis à l'écart de la scène internationale ces trois dernières années. Donald Trump "redonne un certificat de respectabilité à Vladimir Poutine en le recontactant et en le rencontrant dans les prochaines semaines", indique à BFMTV Ulrich Bounat, analyste géopolitique spécialiste d'Europe centrale et orientale.

Avec l'administration Trump, le Kremlin trouve un interlocuteur plus accommodant qu'avec Joe Biden. Par ses déclarations et celles de son équipe, les États-Unis approuvent certaines des revendications et des objectifs de la Russie en Ukraine et placent Kiev au second plan des discussions. D'autant que le locataire de la Maison Blanche a d'abord appelé Poutine avant de s'entretenir avec Volodymyr Zelensky. Ce dernier a considéré que ce n'était "pas très agréable" que Donald Trump appelle d'abord Vladimir Poutine.

Un retour "irréaliste" aux frontières d'avant 2014

Un des objectifs de Moscou en Ukraine est d'assurer une continuité territoriale entre la Crimée, annexée illégalement en 2014, et le territoire russe. Un objectif que semble valider Washington puisque le chef du Pentagone Pete Hegseth a jugé mercredi "irréaliste" un retour aux frontières d'avant 2014, date du début des hostilités entre Kiev et Moscou.

Mais sur le terrain, la Russie n'a pas totalement rempli ses objectifs car elle ne contrôle pas entièrement les quatre oblasts annexés par Vladimir Poutine à l'automne 2022. Il s'agit des régions ukrainiennes de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijia. Kiev contrôle encore une partie de ces territoires revendiqués par Moscou.

Et ce, malgré les difficultés rencontrées par les troupes ukrainiennes sur le front. Si aucune percée majeure russe n'a été réalisée ces derniers mois, Moscou grignote du terrain dans le Donbas. Les forces russes ont aussi repris les deux tiers du territoire contrôlé par l'Ukraine depuis août 2024 dans la région russe de Koursk.

Et l'armée ukrainienne peine à renouveler ses forces humaines. Conséquence, le ministère de la Défense a lancé ce mardi une "initiative" offrant aux hommes de 18 à 24 ans des conditions favorables en cas d'engagement dans l'armée.

Pour Washington, des élections "doivent avoir lieu" en Ukraine

L'Ukraine est aussi pressée par les États-Unis d'organiser des élections. Le 1er février dernier, Keith Kellogg, l'envoyé spécial de Trump pour l'Ukraine et la Russie, a déclaré que des élections présidentielles et parlementaires en Ukraine "doivent avoir lieu".

"La plupart des pays démocratiques organisent des élections en temps de guerre. Je pense que c'est important", a-t-il indiqué, dans des propos rapportés par Reuters.

Élu en 2019, Volodymyr Zelensky aurait dû se soumettre à de nouvelles élections en 2024. Mais la loi martiale instaurée en Ukraine suspend tout processus électoral.

Depuis le début de l'invasion de la Russie en Ukraine, Vladimir Poutine répète que son objectif est de "dénazifier l'État ukrainien", estimant que Volodymyr Zelensky est un président "illégitime" et, de facto, appelle à la tenue d'un nouveau scrutin, comme Washington.

"On créera l'Otan en Ukraine"

Autres points jugés irréalistes par l'administration Trump: l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan et le déploiement de troupes américaines sur leur sol. Une victoire pour Vladimir Poutine et un camouflet pour Kiev qui recherche des garanties de sécurité. Celles-ci passent notamment par l'arrivée de soldats occidentaux.

"Si on n'a pas l'Otan, alors on créera l'Otan en Ukraine", a assuré Volodymyr Zelensky ce vendredi, ce qui aurait pour conséquence de "doubler" la taille de l'armée ukrainienne.

"La seule chose qui pourrait éviter à l'Ukraine une capitulation totale serait des garanties de sécurité avec le déploiement de troupes occidentales, sans doute européennes et certainement pas américaines, sur le sol pour éviter que cette guerre reprenne plus tard une fois que Vladimir Poutine aura reconstitué ses forces", analyse Ulrich Bounat.

Cette idée de "capitulation totale" donne des sueurs froides aux autorités ukrainiennes mais aussi européennes. Ce vendredi dans un entretien au Financial Times, Emmanuel Macron a mis en garde contre une paix qui serait "une capitulation" de l'Ukraine. Sur BFMTV, le ministre des Armées Sébastien Lecornu a aussi averti "qu'un cessez-le-feu bâclé, c'est potentiellement le retour d'une guerre plus importante qui pourrait nous concerner à moyen et long terme".

Les terres rares, un dernier atout pour Kiev?

Selon le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV, "Trump semble passer au-dessus de l'Ukraine et de l'Europe" dans les négociations. Ce qui n'est pas "une bonne idée" selon le président ukrainien: "élaborer un accord (de paix, NDLR) sans nous inclure, sans inclure l'Europe, ce n'est pas une bonne idée", estime Volodymyr Zelensky ce vendredi 14 février depuis la conférence sur la sécurité à Munich. Une position partagée par l'Europe.

Le ministre de la Défense allemand Boris Pistorius a jugé "regrettable" que le président américain Donald Trump ait fait des "concessions" à Vladimir Poutine sur l'Ukraine "avant même le début des négociations".

Mais l'administration américaine cherche aussi à rassurer Kiev. Dans une interview au Wall Street Journal, le vice-président américain JD Vance a assuré que les États-Unis auront "à cœur l'indépendance souveraine de l'Ukraine" dans les négociations à venir. "Tout sera sur la table", y compris "les moyens de pression militaire", a-t-il ajouté.

Dans sa manche, l'Ukraine ne compte plus beaucoup d'atouts après trois ans de guerre. Ces derniers jours, Donald Trump a répété son intérêt pour les nombreuses terres rares en Ukraine, des métaux essentiels dans l'électronique. Volodymyr Zelensky a appelé ses alliés à "investir" en Ukraine, avec l'espoir de voir le soutien américain à se maintenir.

Matthieu Heyman