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"Leur objectif reste le Donbass": l'armée russe dans la région de Dnipropetrovsk, véritable avancée ou opération symbolique?

Un soldat ukrainien marche à Pokrovsk, dans le Donbass, le 13 mars 2025 (illustration)

Un soldat ukrainien marche à Pokrovsk, dans le Donbass, le 13 mars 2025 (illustration) - Handout / The 93rd Kholodnyi Yar Separate Mechanized Brigade / AFP

L'armée russe a annoncé dimanche 8 juin pénétrer dans l'oblast de Dnipropetrovsk, une première depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine. Selon deux experts interrogés par BFMTV.com, la manœuvre est limitée et largement instrumentalisée par le Kremlin.

Une première en plus de trois ans de conflit. L'armée russe a annoncé dimanche 8 juin que ses troupes au sol attaquaient la région ukrainienne de Dnipropetrovsk, à l'ouest du Donbass.

"Les unités de la 90e division blindée (...) ont atteint la frontière ouest de la République populaire de Donetsk et continuent de mener l'offensive" dans la région de Dnipropetrovsk, a affirmé le commandement russe.

Cette région, contrairement aux oblasts de Donetsk, Zaporijia, Lougansk, Kherson et à la Crimée, ne fait pas partie des territoires ukrainiens que la Russie a envahis et dont elle revendique l'annexion. Faut-il y voir un nouvel objectif militaire pour Vladimir Poutine? Ou le symbole des difficultés de l'armée ukrainienne?

"L'objectif reste le Donbass"

"Ce qu'on voit, c'est plutôt la continuation des mouvements militaires russes autour de Pokrovsk", recontextualise Ulrich Bounat, spécialiste de l'Europe de l'est et chercheur associé au think thank Euro Créativ.

"Ça fait des mois que les Russes essaient de prendre la ville. Là, on voit des tentatives d'essayer de contourner l'obstacle en passant par le sud où il semblerait, effectivement, que les troupes russes ont progressé en franchissant la frontière administrative entre l'oblast de Donetsk et celui de Dnipropetrovsk", poursuit l'analyste.

À ce stade, l'avancée russe ne semble donc pas constituer une offensive en bonne et due forme qui viserait à s'emparer de l'oblast de Dnipropetrovsk, où l'armée russe n'a d'ailleurs revendiqué la prise d'aucune localité.

"Les Russes n'en ont pas aujourd'hui les capacités", confirme le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense de BFMTV. S'ils grignotent chaque jour du terrain aux Ukrainiens, "il n'y a pas de percée décisive de 10-15 km par jour qui leur permettrait de rentrer dans le centre de l'Ukraine."

"Ils ont franchi cette limite administrative, un peu virtuelle, mais ça ne change pas la phase du conflit en ce moment", poursuit Ulrich Bounat. "L'objectif primordial des Russes reste le même: s'emparer du Donbass."

Une avancée instrumentalisée par le Kremlin

Si l'avancée dans la région de Dnipropetrovsk n'est pas synonyme de bascule en faveur de la Russie, elle fait l'objet d'une large médiatisation de la part de l'armée et des autorités russes. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov a affirmé lundi que l'offensive faisait "partie" du projet russe de constituer une "zone tampon" entre l'Ukraine et la Russie.

Pour Ulrich Bounat, Moscou entend ainsi faire passer deux messages. "Le premier est de dire aux Russes que finalement, ça ne se passe pas trop mal en Ukraine et que l'armée russe avance".

"L'autre message, en creux, s'adresse aux Ukrainiens: 'plus vous attendez, plus la paix sera défavorable'. Donc autant accepter aujourd'hui une capitulation où les troupes ukrainiennes doivent sortir des quatre oblasts annexés, plutôt que de voir les Russes rentrer dans d'autres régions", poursuit le chercheur.

C'est en ce sens que s'inscrivent les déclarations de l'ancien président russe et proche de Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev: "Quiconque refuse de reconnaître les réalités de la guerre lors des négociations se verra confronté à de nouvelles réalités sur le terrain. Nos forces armées ont lancé une offensive" dans la région de Dnipropetrovsk, a déclaré sur Telegram l'actuel numéro deux du Conseil de sécurité russe.

Silence à Washington

Alors que le Kremlin rejette tout cessez-le-feu et fixe des conditions maximalistes pour interrompre les combats, la communication du Kremlin "confirme aussi qu'il n'a aucunement l'intention d'arrêter la guerre", avance le général Jérôme Pellistrandi.

"C'est une nouvelle étape qui ne peut qu'inquiéter les Occidentaux, mais pour l'instant on ne voit aucune réaction des États-Unis", souligne le militaire.

Donald Trump, qui se pose en arbitre des négociations entre Kiev et Moscou, continue de repousser l'entrée en vigueur des sanctions dont il avait menacé la Russie si elle continuait à freiner les pourparlers. Il a également abandonné sa proposition de cessez-le-feu immédiat, concerté avec les alliés de Kiev début mai.

Après sa dernière conversation avec le président russe, mercredi 4 juin, Donald Trump s'était contenté de dire qu'il n'y aurait "pas de paix immédiate". Se faisant le porte-parole du président russe, il avait ajouté que la Russie allait "riposter" à l'opération des services spéciaux ukrainiens contre des bombardiers russes.

Pendant ce temps, l'armée russe continue de grignoter du terrain sur le front de l'est. Les troupes de Moscou ont accéléré leur progression au printemps, après avoir ralenti en hiver, selon l'analyse par l’AFP des données fournies par l'Institut américain pour l'étude de la guerre (ISW). L'armée russe a pris 507km2 en mai 2025, après 379km2 en avril et 240km2 en mars. Déjà au printemps 2024, elle avait accéléré son avancée, prenant 449km2 en mai, après 111km2 en avril et 50km2 en mars.

François Blanchard