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"Arrêt de la surenchère verbale": le gouvernement joue-t-il désormais la carte de la prudence avec l'Algérie?

Tensions entre l'Algérie et la France (illustration)

Tensions entre l'Algérie et la France (illustration) - Pierre-Oscar Brunet

Après des mois d'escalade des tensions entre la France et l'Algérie, le temps est l'accalmie, notamment du côté de Bruno Retailleau partisan d'une ligne dure qui jusqu'ici ne mâchait pas ses mots. Paris espère notamment obtenir la grâce présidentielle pour l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, condamné en appel à Alger à cinq ans de prison ferme.

Les déclarations acérées ont laissé place à la prudence. Paris a baissé le ton d'un cran ces dernières semaines vis-à-vis d'Alger. La discrétion est de mise après plusieurs mois d'escalade des tensions autour de la question du Sahara occidental et de la détention de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Notamment du côté de Beauvau, le quai d'Orsay, par la voix de Jean-Noël Barrot, ayant été plus mesuré.

Le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, partisan d'une ligne dure clamait haut et fort ces derniers mois la nécessité de mettre en place "un rapport de force" face à Alger. Il est monté verbalement au front "n'admettant pas que la France soit humiliée" par le refus des autorités algériennes d'accepter leurs ressortissants expulsés du territoire français ainsi que par l'emprisonnement et la condamnation de Boualem Sansal en dépit des appels à sa libération.

Mais cette semaine, le ministre a mis de l'eau dans son vin. Sa volonté? "Ne gâcher aucune chance, même la moindre petite chance, de faire en sorte (que Boualem Sansal) soit libéré", reconnaît-il sur France Inter.

"Je rappelle simplement qu'il a 80 ans, qu'il est malade (il est atteint d'un cancer à la prostate, selon ses proches, NDLR)", déclare Bruno Retailleau. La veille sur BFMTV, il s'était refusé à davantage de déclarations sur le sujet, consentant seulement "que les relations entre la France et l'Algérie étaient polaires".

La grâce présidentielle en ligne de mire

L'écrivain franco-algérien de 80 ans, emprisonné depuis plus de sept mois, a été condamné en appel par la cour d'Alger ce mardi 1er juillet à une peine de cinq ans de prison ferme pour "atteinte à l'unité nationale". Il lui est reproché des déclarations en octobre 2024 auprès du média français d'extrême droite Frontières, où il estimait que l'Algérie avait hérité sous la colonisation française de territoires appartenant jusque-là au Maroc.

Son arrestation le 16 novembre avait aggravé une crise diplomatique déjà aiguë entre Paris et Alger, qui avait éclaté après la reconnaissance fin juillet par Emmanuel Macron d'un plan d'autonomie sous "souveraineté marocaine" pour le territoire disputé du Sahara occidental où l'Algérie soutient depuis 50 ans les indépendantistes du Polisario contre le Maroc.

Après l'annonce de sa condamnation, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot s'est "indigné" de cette décision" jugée "incompréhensible et injustifiée".

"Les autorités algériennes sont face à un choix, celui de la responsabilité de l'humanité, du respect, permettant à notre compatriote d'être libéré et soigné en tenant compte de son état de santé et de son âge", a-t-il abondé en réponse aux questions des députés de l'Assemblée nationale.

L'objectif de Paris? Obtenir la grâce présidentielle algérienne pour l'écrivain. Le Premier ministre François Bayrou s'est cantonné ce mardi à cette demande. "Maintenant qu'il y a eu condamnation, on peut imaginer que des mesures de grâce, notamment en fonction de la santé de notre compatriote, soient prises", a-t-il déclaré.

Bruno Retailleau s'est contenté de suivre les pas du Premier ministre aux côtés duquel il se trouvait depuis le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises pour la canicule. Sans un mot incisif.

Bruno Retailleau, silencieux pour ne pas mettre le feu aux poudres

Pour Naoufel Brahimi El Mili, auteur de France-Algérie, 60 ans d'histoires secrètes contacté par BFMTV.com, l'explication des "variations d'humeur" du gouvernement est à chercher du côté de l'Élysée. "Je pense qu'Emmanuel Macron a préconisé l'arrêt de la surenchère verbale afin de ne pas polluer les célébrations du 5 juillet", qui marquent le 63e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie.

À cette occasion, "comme le veut la tradition, Emmanuel Macron va envoyer un message au président algérien, mais il sera particulièrement chaleureux cette année", estime le spécialiste des relations franco-algériennes. Et ce, dans l'espoir d'obtenir la grâce présidentielle de la part d'Abdelmadjid Tebboune pour Boualem Sansal. "A cette date, il y a un rituel de grâce en Algérie", explique l'historien.

Et la moindre déclaration de la part de Bruno Retailleau pourrait froisser le pouvoir algérien et anéantir cette espoir de grâce présidentielle. Le ministre de l'Intérieur est devenu leur bête noire. Après l'arrestation d'un agent consulaire algérien à Paris en avril dernier, soupçonné d'être impliqués dans l'enlèvement fin avril 2024 sur le sol français de l'influenceur algérien Amir Boukhors, Alger avait accusé le ministre de l'Intérieur de "barbouzeries à des fins purement personnelles".

Le ministère algérien des Affaires étrangères avait jugé Bruno Retailleau "entièrement responsable de la tournure que prennent les relations entre l'Algérie et la France au moment où celles-ci venaient d'entamer une phase de décrispation".

La presse algérienne n'avait pas non plus épargné le ministre français. Le quotidien L'Expression, proche du pouvoir, a dépeint le portrait d'un ministre atteint d'"anti-algérianisme maladif et usant des méthodes les plus malsaines pour atteindre ses ambitions personnelles" avec "le goût de la provocation dans les veines".

Bruno Retailleau avait alors estimé être la grande cible mais il n'avait pas déchanté, convaincu qu'il faut maintenir "un rapport de force". Selon Naoufel Brahimi El Mili, le silence préconisé par Emmanuel Macron est aussi une "façon de recadrer son ministre de l'Intérieur qui comme d'autres ministres se sont permis de dénoncer l'accord de 68, un traité qui relève de la compétence du président de la République". "On peut aussi y voir un sursaut d'orgueil", estime-t-il.

Discrétion autour de la condamnation du journaliste Christophe Gleizes

La discrétion est de mise sur un autre dossier: la condamnation du journaliste français Christophe Gleizes ce dimanche à sept ans de prison ferme, notamment pour "apologie du terrorisme".

Au lendemain de la révélation de cette affaire par Reporters sans frontières (RSF) et son employeur, le groupe So Press, qui ont dénoncé une sanction "injuste", le ministère français des Affaires étrangères a dit "regretter vivement la lourde condamnation". Sans toutefois appeler à le faire libérer.

"C'est le service mininum", constate Naoufel Brahimi El Mili.

Si Christophe Gleizes, journaliste indépendant spécialiste du football, avait été arrêté le 28 mai 2024 puis placé sous contrôle judiciaire pendant 13 mois avec interdiction de quitter le territoire, cette affaire n'avait jusque-là pas été rendue publique.

Le journaliste français Christophe Gleizes
Le journaliste français Christophe Gleizes © Photo par HANDOUT / SO PRESS - RSF / AFP

"Je pense que le quai d'Orsay a voulu prendre la main sur un dossier qui au début semblait simple. Mais après l'été (et les tensions autour du Sahara occidental, NDLR) c'est parti en vrille", juge le spécialiste. "Le quai d'Orsay a donc dû conseiller de garder le silence. Une consigne qui a été respectée aussi bien par sa famille que par Bruno Retailleau", abonde-t-il soulignant "la stratégie de la diplomatie" suivie sur ce dossier.

"Il revient au président Macron de siffler la fin du match"

L'accalmie aurait-elle pour date limite le 5 juillet, jour espéré de la grâce présidentielle? C'est ce qu'a pu laissé sous entendre Bruno Retailleau ce mardi répétant ne vouloir "gâcher aucune chance pour que Boualem Sansal puisse être libéré" "d'ici notamment la fin de la semaine".

Mais le spécialiste Naoufel Brahimi El Mili n'est pas de cet avis jugeant pérenne la voix de l'apaisement. "Pendant longtemps, il y a eu une escalade sans corde de rappel. Est-ce que l'objectif est la rupture des relations?", s'interroge l'historien. Ces derniers mois, outre les joutes verbales, la crise diplomatique sans précédent a été marquée par des expulsions de diplomates de part et d'autre, des restrictions pour les titulaires de visas diplomatiques et un gel de toutes les coopérations.

"Ni la France, ni l'Algérie n'ont intérêt à ce qu'il y ait un échec", assure-t-il. "Il revient au président Macron de siffler la fin du match".

Juliette Brossault