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Le 49.3, un outil très symbolique des quinquennats d'Emmanuel Macron, écarté par Sébastien Lecornu

Sébastien Lecornu, le 27 février 2024 aux Invalides, à Paris

Sébastien Lecornu, le 27 février 2024 aux Invalides, à Paris - THOMAS SAMSON / POOL / AFP

Cet article de la Constitution, qui permet d'adopter un projet de loi sans que celui-ci ne fasse l'objet d'un vote, a été utilisé à de nombreuses reprises ces dernières années, notamment par Élisabeth Borne. La gauche n'a eu de cesse de critiquer son usage depuis 2022 mais n'a jamais hésité à s'en servir, notamment lorsque Manuel Valls était Premier ministre.

Surprise à Matignon. Ce vendredi matin, le Premier ministre Sébastien Lecornu a annoncé "renoncer à l'article 49.3" de la Constitution qui permet de faire adopter un projet de loi sans que celui-ci ne fasse l'objet d'un vote. La mesure a tout du retournement de situation alors que le camp présidentiel n'a eu de cesse d'activer cette disposition ces dernières années.

À commencer par l'ancienne cheffe du gouvernement Élisabeth Borne qui l'a utilisé pas moins de 23 fois en 20 mois à la fois sur les budgets et sur la réforme des retraites.

"C'est un profond tournant pour nous, une logique très différente de celle des dernières années. Ca suppose qu'on accepte de perdre", reconnaît l'ex-ministre du Logement et député Renaissance Guillaume Kasbarian auprès de BFMTV.

Un outil pour "débloquer les discussions"

Preuve qu'accepter de recourir à cette cartouche constitutionnelle n'avait rien d'évident pour le Premier ministre, Sébastien Lecornu avait d'abord refusé de s'engager en la matière lors d'une interview à la presse quotidienne régionale mi-septembre. Les socialistes en avaient pourtant fait une condition essentielle pour ne pas accepter de le censurer d'entrée de jeu.

Et pour cause: le 49.3 a "le mérite de débloquer des discussions parlementaires coincées" dixit un conseiller ministériel. Les situations très compliquées à l'Assemblée se sont multipliées ces dernières années, depuis 2022 puis plus encore depuis 2024 après la dissolution. Depuis plusieurs années, le camp présidentiel ne dispose plus de majorité à l'Assemblée. Autant dire que le choix de Sébastien Lecornu n'a rien d'une évidence et va nécessiter un doigté particulier à l'Assemblée nationale.

Le dernier à s'être servi de cet article constitutionnel est Michel Barnier en novembre dernier. En poste à Matignon, le Premier ministre d'alors avait choisi de l'utiliser pour faire adopter sans vote le budget de la sécurité sociale, faute des 289 députés nécessaires.

À utiliser avec "parcimonie"

Mais la manœuvre n'a pas été pas sans conséquence. La Constitution permet en effet qu'en cas d'activation du 49.3, les oppositions puissent déposer une motion de censure. En cas d'adoption, le texte défendu par le gouvernement est rejeté et le gouvernement est renversé. C'est ce qui s'est passé pour le prédécesseur de François Bayrou.

Compte tenu des lourdes implications qu'il entraîne, l'usage du 49.3 est très encadré par la Constitution et ne peut être pas utilisé en permanence. Il ne peut être utilisé qu'à une seule reprise par session parlementaire à l'exception des textes budgétaires.

"L'idée, c'est qu'on a besoin d'un budget et qu'on doit pouvoir avoir des outils pour y parvenir, avec ou sans majorité. Pour le reste, la Constitution part du principe qu'on doit utiliser cette possibilité avec parcimonie", nous expliquait le professeur de droit constitutionnel Jean-Philippe Derosier l'hiver dernier.

"Déni de démocratie"

Mais bien conscient que l'outil n'a rien d'évident et peut sembler ne pas respecter la démocratie parlementaire, les Premiers ministres qui s'en sont servis ces dernières années ont toujours tenté d'enrober son usage.

Au printemps 2023, quelques semaines à peine après avoir l'utilisé pour faire passer la retraite à 64 ans en dépit d'une vive opposition à l'Assemblée et dans la rue, Élisabeth Borne avait expliqué avoir pour "objectif" de ne pas s'en resservir. Las: à l'automne, elle allait à nouveau s'en servir pas moins de 12 fois sur les textes budgétaires.

"Le 49.3 n'est pas l'invention d'un dictateur, mais le choix profondément démocrate qu'a fait le général de Gaulle et qu'a approuvé le peuple français", avait défendu dans la foulée la Première ministre d'alors.

Manuel Valls pas en reste

Le président des députés socialistes Boris Vallaud a dénoncé à plusieurs reprises l'usage du 49.3 comme "un déni de démocratie". La gauche l'a pourtant elle aussi largement utilisé quand elle était au pouvoir, notamment sous François Hollande.

Confronté à de vives critiques dans son propre camp porté par ce qu'on appelait alors les frondeurs, le Premier ministre de l'époque Manuel Valls l'avait utilisé à six reprises, notamment sur la loi Travail et celle sur la croissance portée par le ministre de l'Économie d'alors Emmanuel Macron.

En pleine campagne des primaires socialistes, Manuel Valls avait cependant rétropédalé. Après avoir expliqué que le 49.3 était "dépassé" et "brutal", il avait appelé à "supprimer purement et simplement" cet article de la Constitution, à l'exception des textes budgétaires.

Dans un tout autre contexte politique, c'est l'ancien Premier ministre Michel Rocard qui détient le record absolu de l'utilisation du 49.3. En trois ans à Matignon, le socialiste l'avait utilisé pas moins de 28 fois.

Marie-Pierre Bourgeois