Mort du pape François: un souverain pontife réformiste qui a froissé les plus conservateurs

"Si une personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour le juger?". Cette phrase prononcée à l'occasion de sa première conférence de presse, en mars 2013, avait marqué les esprits et surtout marqué une différence avec ses prédécesseurs.
Le pape François est mort ce lundi 21 avril à l'âge de 88 ans après douze années à la tête de l'Église catholique. Son élection avait marqué un changement d'époque pour l'institution avec un pour la première fois un pape non-européen et jésuite.
S'il semble difficile de le qualifier de révolutionnaire, François est en revanche souvent vu comme un pape progressiste et réformiste, ce qui n'était pas du goût des plus dogmatiques. En outre, s'il a multiplié les ouvertures, le changement de dogme n'a pas toujours suivi.
Attachement aux "périphéries" et au Sud global
Dès sa prise de fonction, le pape François impose son style: la simplicité et l'austérité. Par exemple, il n'a jamais voulu dormir dans les appartements chargés de dorures des souverains précédents. Il logeait à la résidence Sainte-Marthe, là où logent les cardinaux de passage au Vatican. Son leitmotiv, qu'il s'appliquait donc aussi à lui-même: "une Église pauvre pour les pauvres". Il invite régulièrement à dîner SDF et détenus, au grand dam de certains au Vatican qui lui reprochent de désacraliser la fonction.
Celui qui a choisi son nom papal en hommage à Saint-François, "le plus pauvre parmi les pauvres", fait d'ailleurs de la défense de la cause des migrants l'une de ses constantes, comme l'atteste son premier voyage officiel sur l’île italienne de Lampedusa en juillet 2013. Cela représentait un changement radical de priorités par rapport aux pontificats de Jean-Paul II et Benoît XVI, plus centrés sur la morale catholique traditionnelle.
Le pape François a fustigé "l'égoïsme", "l'insensibilité" et "l'indifférence" des pays riches. Prônant un dialogue inter-religieux poussé, il s'est illustré en adoptant une posture diplomatique plus proche du Sud global que des centres de pouvoir occidentaux, à l'instar de son absence lors de la réouverture de Notre-Dame de Paris, justifiée par beaucoup par son attachement aux "périphéries".
Le souverain pontife avait également, par exemple, repris les accusations de "génocide" dans la bande de Gaza.
Un engagement fort contre le changement climatique
Le pape François s'est également fait remarquer durant ses douze années à la tête du Vatican pour son engagement à alerte sur la gravité de la crise climatique mondiale. En 2015 notamment, il avait surpris en publiant Laudato si’, un texte de 200 pages, le plus abouti jamais écrit par le Vatican sur l’écologie.
Il y qualifiait le dérèglement climatique "d'un des principaux défis actuels de l'humanité", reconnauissant la responsabilité des activités humaines dans cette crise.
À plusieurs reprises, le pontife a sommé "les puissants" de prendre conscience "de la nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation" et de faire face à leurs responsabilités.
L'homosexualité est un "pêché" mais pas un "crime"
Mais c'est sur les questions sociétales et morales que le pape François a le plus marqué les esprits depuis 2013. "Le Seigneur bénit tout le monde" y compris les personnes divorcées ou les couples de même sexe, affirmait-il ainsi, rompant avec la posture de l'Église catholique jusque-là et s'attirant par la même occasion, les foudres des plus conservateurs.
Dans un document publié en décembre 2023, le Vatican avait autorisé la bénédiction des couples "irréguliers" aux yeux de l’Église, à condition qu’elle soit effectuée en dehors des rituels liturgiques.
En réponse à la levée de boucliers provoquée, le pape François avait affirmé que "ces bénédictions (...) n'exigaient pas de perfection morale pour être reçues". En revanche, il avait souligné qu'il ne s'agissait pas de bénir "l'union" mais "simplement les personnes".
En effet, malgré cette prise de position, le pontife a continué de soutenir que l'homosexualité était un "pêché", "comme tout acte sexuel en dehors du mariage", tout en assurant qu'il ne s'agissait pas d'un "crime" et dénonçant "l'injustice" des lois la pénalisant dans certains pays du monde.
Une "image médiatique progressiste"
Durant son pontificat, François a navigué entre enjeux du 21e siècle et conservatisme de l'Église, avec des déclarations parfois progressistes tout en s'inscrivant toujours dans une ligne très traditionnelle.
S'il avait semblé ouvrir la porte à une exception au traditionnel célibat des prêtres, notamment pour la région de l'Amazonie qui peinait à trouver de nouvelles recrues, le pape François n'avait finalement pas donné suite à cette demande.
De la même manière, l'Argentin a fait bouger quelques lignes en nommant une vingtaine de femmes en responsabilité au Vatican, à des niveaux jusqu’ici inédits ou en donnant le droit de vote aux femmes pendant le synode.
Mais les femmes n'ont pas le droit d’être ordonnées prêtre ou diacre, ni donc d’accéder aux fonctions d’évêque, de cardinal ou de pape, et restent exclues de nombreuses responsabilités ecclésiales.
"Je pense que c'est un pape qui a très bien réussi à se construire une image médiatique progressiste, mais sans passer à l'action", réagissait l'historienne Lucetta Scaraffia, qui a dirigé le premier magazine pour les femmes du Vatican, Donna Chiesa Mondo, à France info en 2023, à l'occasion des 10 ans de pontificat de François.
Si l'on ne peut donc pas parler de révolution, c'est que le pape François est resté très conservateur sur de nombreux sujets de société: ses fréquentes dénonciations de "l'idéologie de genre" ou encore son opposition catégorique au droit à l’avortement, y compris en cas de viol. Il avait, par exemple, suscité l'indignation en comparant les médecins qui le pratiquent à des "tueurs à gages".
Les violences sexuelles, chantier inabouti
Le pape François a également voulu être celui qui aura réformé le Vatican en prônant, à titre d'illustration, pour une Église plus décentralisée ou en engagent une réforme pour plus de transparence financière au sein de l'institution.
L'un de ses grands chantiers aura été l'avalanche de révélations sur des crimes sexuels du clergé. François a voulu se montrer clair: il a dit sa "honte", a demandé pardon aux victimes et promis "une lutte à tous les niveaux" face à "des crimes abominables".
Fin 2014, François crée une commission internationale consultative d'experts pour la protection des mineurs, composée de religieux et de laïcs. L'initiative se retourne contre lui avec la démission de plusieurs de ses membres.
En août 2018, le pape est attaqué avec une virulence inédite au sujet de son silence présumé sur les agissements de l'influent cardinal américain Theodore McCarrick. Ce dernier, accusé de violences sexuelles sur des mineurs et des jeunes hommes, perd son titre de cardinal, avant d'être défroqué par le pape, une première historique.
Fin 2019, le pape lève le secret pontifical sur les violences sexuelles sur mineurs et rend les signalements obligatoires
S'il est le pape ayant le plus agi contre ce fléau, il n'en a pourtant jamais reconnu les causes "systémiques", c'est-à-dire inhérentes à l'Église. Il s'est, par exemple, montré très distant avec le rapport choc de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase) publié en 2021 en France, dont il n'a jamais reçu les membres, appelant à la "prudence" face aux chiffres de 330.000 personnes agressées au sein de l'Église lorsqu'elles étaient mineures de 1950 à 2020.
Le prochain conclave déterminera si les cardinaux très conservateurs retrouveront la tête de l'Église catholique ou si la brèche d'ouverture amorcée par le pape François se poursuivra.