Pourquoi les Français aiment leurs agriculteurs mais se méfient de l'agriculture

La récolte du blé dans un champ (photo d'illustration) - Guillaume Souvant-AFP
Les agriculteurs ont le blues. Et manifestent ce mardi dans de nombreux départements pour dénoncer, notamment, la stigmatisation permanente dont ils se disent victimes. Arrêtés anti-pesticides, polémique sur les distances d'épandage des produits phytosanitaires, images choc dans les élevages: ils déplorent une campagne systématique de dénigrement. "Halte au matraquage", s'alarme le syndicat Jeunes Agriculteurs qui appelle avec la FNSEA à cette journée d'actions.
"L'impression d'être l'homme à abattre"
"Les intrusions sur les exploitations, les agressions dans les champs, ça devient fou", s'inquiète pour BFMTV.com Arnaud Gaillot, secrétaire général des Jeunes Agriculteurs. "La perte de confiance est telle qu'elle pollue les débats devenus déraisonnés. C'est comme si la Sécurité routière décidait d'interdire aux gens de conduire pour éviter qu'il n'y ait des morts sur les routes." Ce producteur laitier du Doubs dénonce également un emballement qui sape le travail mené au quotidien.
"On a l'impression qu'un phare s'est tourné sur nous et que quoi qu'on fasse, on reste dans ce faisceau. Pourquoi détruirions-nous notre outil de travail? On nous fait passer pour ce qu'on n'est pas. On se sent seul et on a l'impression d'être l'homme à abattre."
Car selon lui, de nombreux efforts ont été faits par les agriculteurs ces dernières années. Moins de produits phytosanitaires dans les champs, moins d'antibiotiques pour les bêtes, plus de traçabilité et de normes, "l'agriculture a beaucoup évolué", assure Arnaud Gaillot. "Il y a un décalage entre ce que les gens s'imaginent et la réalité. Le scandale de la viande de cheval venait de l'étranger, pas de chez nous."
Agriculteurs versus agriculture
Pourtant, les Français sont attachés à leurs agriculteurs. Selon une étude Odoxa Dentsu Consulting pour Le Figaro et Franceinfo réalisée en début d'année, plus de huit Français sur dix assurent avoir une bonne opinion de ce métier. Jugés utiles, courageux, passionnés et sympathiques à une très large majorité, les agriculteurs sont cependant accusés dans le même sondage de polluer et ne pas être suffisamment attentifs à l'environnement ainsi qu'à la sécurité sanitaire.
Pour le politologue Eddy Fougier, apprécier les agriculteurs n'est pas incompatible avec le fait de critiquer l'agriculture. "Le succès du film avec Guillaume Canet en est la preuve", explique-t-il à BFMTV.com. Au Nom de la terre, actuellement au cinéma, a dépassé le million d'entrées. "Mais ce décalage met mal à l'aise les agriculteurs", ajoute-t-il.
Un paradoxe qui s'explique par une distance prise entre le monde agricole et la société, assure à BFMTV.com Constant Lecoeur, secrétaire perpétuel de l'Académie d'agriculture de France. "On ne sait plus d'où vient le lait, le pain, le fromage. Nos modes d'achat, de consommation et le fait que l'on cuisine moins font que l'on n'a plus conscience de l'origine des aliments. Pourtant, nous sommes tous issus du monde paysan à deux, trois ou quatre générations."
Eddy Fougier partage la même analyse. Selon le politologue, si les citadins se sont éloignés du monde agricole, les agriculteurs se sont eux-aussi éloignés du reste de la société. De moins en moins nombreux - la France compte un peu moins de 440.000 exploitations agricoles contre plus d'un million à la fin des années 1990 - ils sont même devenus minoritaires au sein du monde rural.
"Les agriculteurs sont devenus des fournisseurs de matière première. Les Français assimilent l'agriculture à quelque chose qui se serait industrialisée: des fermes géantes avec des milliers de bêtes et des tonnes de pesticides déversées. Mais la réalité est bien plus complexe."
Numéro vert et fermes ouvertes
Plus de pédagogie pour casser les idées reçues, c'est ce que prône François Mandin, président de l'Association pour la promotion d'une agriculture durable à l'exemple du numéro vert mis en place par des agriculteurs pour répondre aux interrogations des Français, des opérations fermes ouvertes ou des vidéos postées sur les réseaux sociaux par certains agriculteurs qui veulent faire la transparence sur leurs pratiques au quotidien.
"Lorsque l'on organise nos journées du patrimoine sol, le public se rend compte de la réalité de notre métier et que l'on peut concilier agriculture et protection de l'environnement, des sols, de l'eau et de la biodiversité", témoigne-t-il pour BFMTV.com.
Car selon cet agriculteur de Vendée, "l'agribashing" est une mauvaise réponse à de bonnes questions. "Il n'y a pas les gentils d'un côté et les méchants de l'autre, l'agriculture ne peut pas être binaire. Le débat est légitime, les réponses sont multiples."