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Emmanuel Macron au Vatican: quel est le poids politique des catholiques de France?

Emmanuel Macron lors de son discours au collège des Bernardins, en avril 2018.

Emmanuel Macron lors de son discours au collège des Bernardins, en avril 2018. - Ludovic MARIN / POOL / AFP

Le président de la République est reçu ce mardi matin au Vatican par le pape François, sous l’œil attentif de la communauté catholique française.

Chanoine honoraire de l’église romaine de Saint-Jean-de-Latran. C’est le titre purement honorifique qu’Emmanuel Macron vient chercher au Vatican, mardi, lors de sa visite au pape François. Une distinction "sans aucune dimension spirituelle", a prévenu l’Elysée. Mais le voyage à Rome du président de la République sera tout de même scruté par la communauté catholique de France. En avril dernier, le discours du chef de l’Etat au collège des Bernardins, où il avait appelé à "réparer" le lien "abîmé" entre l’Eglise et l’Etat français, avait provoqué de sévères remous, notamment dans toute la partie de la classe politique attachée à une laïcité appliquée strictement, et qui avait dénoncé un appel du pied électoraliste aux catholiques français.

Quel est le vrai poids des catholiques en France?

"La tendance lourde, c’est une décroissance du nombre de pratiquants", explique Frédéric Gugelot, maître de conférences à l’université de Reims et spécialiste d’histoire culturelle et religieuse. "Mais on a atteint un chiffre qui s’est à peu près stabilisé maintenant. Si on interroge les Français par sondage, 60% à 65% se rattacheront à la famille catholique ou chrétienne. Mais ceux qui vont à la messe au moins une fois par mois, c’est 6% à 7% de la population française". Selon des chiffres de l’Ifop, 81% des Français se disaient catholiques en 1952, et 27% se rendaient à la messe.

Les catholiques ont "toujours penché à droite"

En 2017, l’institut de sondage avait également mesuré les habitudes électorales de ces catholiques pratiquants. Il ressort de l’étude que 62% de ceux-ci ont voté pour Emmanuel Macron au 2e tour, contre 38% pour Marine Le Pen. Mais au premier tour, 46% des pratiquants avaient porté leur voix sur François Fillon. "D’habitude, il y a une tendance majoritaire et évidente: plus on est catholique pratiquant et régulier, plus on vote à droite", explique Claude Dargent, chercheur associé au Cevipof. "La nouveauté, c’est qu’Emmanuel Macron, avec sa revendication de ne relever ni de la gauche, ni de la droite, ne permettait pas de le classer d’un côté ou de l’autre. Il y a eu une claire réticence des catholiques à voter pour lui. Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord parce que c’était quand même un ministre socialiste et qu’être de gauche est toujours un handicap dans l’électorat catholique. Et puis le fait qu’en face il y avait François Fillon, qui cochait toutes les cases de l’électorat catholique".

S'ils pèsent moins sur les résultats d'une élection, les catholiques sont tout de même encore en état d'influer sur son résultat. Selon Guillaume Cuchet, auteur de Comment notre monde a cessé d’être chrétien (Seuil), professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Est Créteil, le "noyau dur" des catholiques pratiquants représente aujourd’hui 1,5 million de personnes.

"Il y a une réduction de leur surface sociale, explique-t-il. Mais ils sont moins nombreux et paradoxalement on les entend plus. Le succès de la Manif pour tous les a ramenés sur le devant de la scène, même s’il y a aussi une part de communication là-dedans. Certes, le catholicisme de gauche, très visible dans les années 80, est devenu marginal aujourd’hui. Mais il ne faudrait pas imaginer que le catholicisme est passé à l’extrême droite. Il y a tout un électorat conservateur modéré à prendre au centre qui ne se reconnaît pas forcément dans Sens Commun".

Pour Frédéric Gugelot, il ne faut en effet pas perdre de vue "les catholiques sociaux qui prêtent par exemple une vive attention à la question des migrants". Ceux-là sont très sensibles à tout ce qu’Emmanuel Macron peut leur envoyer comme message plus ou moins direct. "Il faudra voir quel type de collier il va porter, quels mots il va prononcer, quel cadeau il va offrir au pape… C'est un ensemble de charges auxquelles les Français ne prêtent pas toujours attention mais qui sont très fortes sur le plan de la symbolique pour les catholiques, d’autant que la presse catholique couvrira l’événement. Je suppose qu’il ne va pas se mettre à genoux devant le pape, comme De Gaulle l’avait fait très rapidement. Mais la façon dont il va assumer ça, ce sera pour les catholiques de France un geste très fort".

"Une volonté d’éviter que ne se reproduise un épisode comme celui la Manif pour tous"

Des gestes forts, pour une communauté dont les diverses tendances ne s’expriment pas dans un seul mouvement politique. "En France, les partis de type démocrates-chrétiens, comme le MRP, ont toujours eu du mal à exister. Il n’y a pas eu de parti qui se soit imposé sur ce créneau-là. En partie aussi parce que la droite avait trusté la grande majorité de l’électorat catholique", reprend Guillaume Cuchet. D’où une volonté pour Emmanuel Macron de "fracturer la droite après avoir fracturé la gauche", selon Frédéric Gugelot: "De ce point de vue-là, il y a une vraie attention portée aux catholiques, parce que ce sont des gens qui votent plutôt à droite, et qui sont jusque là relativement perçus comme un peu moins inaccessibles que le reste de la population française aux extrêmes".

Cette stratégie ne perdrait pas de vue non plus les débats qui entoureront la future loi bioéthique, attendue en fin d’année et qui pourraient s’annoncer houleux. Les thèmes abordés, de la procréation médicalement assistée (PMA) à la fin de vie, ne devraient pas manquer de mobiliser les catholiques. "Il y a une volonté d’éviter que ne se reproduise un épisode comme celui la Manif pour tous. Tout le monde a été tellement surpris de voir tous ces jeunes catholiques dans la rue qu’il y a peut-être une volonté de déminer le terrain en faisant des cadeaux idéologiques", estime Guillaume Cuchet. "Maintenant, quand on pense 'catholique', on pense à eux. Non seulement ils ont réussi à ramener l’identité catholique comme étant quelque chose que l’on peut afficher et revendiquer, mais ils veulent retrouver une place dans l’expression de la Nation, et en particulier dans le fait de peser dans un certain nombre de débats, comme ceux autour de la famille au sens large", ajoute Frédéric Gugelot.

Antoine Maes