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"On en n'est pas là": des soignants tempèrent les alertes des hôpitaux sur le "tri" des patients

Dans le service de réanimation de l'hôpital Avicenne de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à Bobigny le 8 février 2021

Dans le service de réanimation de l'hôpital Avicenne de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à Bobigny le 8 février 2021 - BERTRAND GUAY © 2019 AFP

Plusieurs soignants sont revenus sur les déclarations alarmistes publiées dans deux tribunes ce week-end. S'ils soulignent qu'il n'est pas encore question de faire un "tri" parmi les malades, ils rappellent toutefois que la situation est critique dans les hôpitaux.

"Nous serons contraints de faire un tri des patients", écrivaient dimanche dans une tribune publiée dans le JDD 41 directeurs de crise de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), évoquant la saturation des services hospitaliers en raison de l'afflux de malades du Covid-19. "La situation actuelle tend vers une priorisation, autrement appelée 'tri'", alertaient le même jour dans Le Monde un collectif de neuf médecins de l’AP-HP. Tous appellent le gouvernement à mettre en place des mesures afin de contenir l'épidémie.

Ces cris d'alarme ont, dès le lendemain, été critiqués par d'autres soignants. "Nos médecins et directeurs regrettent l'expression publique choisie dont la véhémence est de nature à inquiéter les malades et leur famille", écrivait dans un communiqué lundi la branche francilienne de la Fédération Hospitalière de France (FHF). "Nous voyons déjà les conséquences de ces propos sur les familles des patients admis à l'hôpital".

"Leur démarche n'était pas d'inquiéter la population mais de tirer une sonnette d'alarme"

Dans les deux tribunes publiées ce week-end, les médecins signataires soulignaient le fait que si aucune mesure de restriction supplémentaire n'était prise, ils seraient sous quelques jours contraints de choisir quels patients entraient en réanimation. "Ce tri concernera tous les patients, Covid et non Covid, en particulier pour l'accès des patients adultes aux soins critiques", est-il écrit dans le JDD.

Ce tri consisterait, "en raison d’un nombre trop limité de places, à restreindre l’accès à la réanimation à des patients qui auraient pu en bénéficier", explique les soignants dans Le Monde. "La situation actuelle tend vers une priorisation, autrement appelée 'tri', qui consiste, lorsqu’il ne reste qu’un seul lit de réanimation disponible mais que deux patients peuvent en bénéficier, à décider lequel sera admis (et survivra peut-être) et lequel ne sera pas admis (et mourra assez probablement). C’est bien vers cela que nous nous dirigeons".
"D’ici quelques jours, des médecins pourraient devoir choisir entre les patients sur des critères non médicaux, simplement par manque de moyens ou d’équipements disponibles. C’est à court terme que cette question sera face à nous, dans toute sa violence", a également déclaré mardi dans Libération Patrick Bouet, Président du Conseil national de l'ordre des médecins.

"Il ne faut pas envoyer de messages angoissants envers la population, parce que notre rôle de réanimateur, c'est d'être serein face à une situation de crise, et ça on sait le faire", répond ce mercredi sur BFMTV Olfa Hamzaoui, médecin réanimateur à l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Val-de-Marne).

"Je pense que leur démarche n'était pas d'inquiéter la population, c'était de tirer une sonnette d'alarme pour dire que si effectivement ce qui est annoncé dans les semaines qui viennent se réalise, on va être dans une situation très très critique".

"Faire croire que l’on va sélectionner les malades et les trier, c’est totalement faux"

Ce qui semble avoir particulièrement dérangé dans ces tribunes, c'est la mention du terme "tri" à plusieurs reprises, laissant penser que peut-être, déjà, des malades étaient laissés de côté faute de places.

"Il y a des mots qui étaient très forts, notamment le mot 'tri' sur les patients. Je pense que ce n'est probablement pas le bon mot à utiliser actuellement parce qu'on n'en est pas là sur la région parisienne. Dans mon groupe hospitalier Paris-Saclay on ne trie pas les malades", explique Olfa Hamzaoui. Selon elle actuellement, "le tri c'est parce qu'on déprogramme des patients, et donc forcément, on ne leur donne pas la chance d'être admis dans un hôpital et d'être opéré". Dans son groupe hospitalier, "on opère toujours les urgences notamment cancéreuses et non cancéreuses, et on essaye de reporter les interventions qui peuvent attendre".

Ce tri, "c’est une ombre qui rôde au-dessus de nous", expliquait mardi sur BFMTV Jean-François Timsit, chef du service de réanimation et des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat (Paris). Il précise toutefois que "c’est quelque chose que l’on gère au quotidien habituellement, car la réanimation si elle n’est pas bénéfique, est très agressive donc il faut la faire à bon escient. Mais là à l’heure actuelle, effectivement, les moyens dont on dispose sont insuffisants par rapport à la demande et donc le tri est encore plus compliqué que d’habitude".

"Nos communautés hospitalière, médecins, soignants et directeurs travaillent de concert avec l'Agence Régionale de Santé pour répartir l'effort de manière équitable et faire en sorte de prendre en charge au mieux les patients qui se présentent et arrivent à l'hôpital", écrit également dans son communiqué la FHF.

"On n'inquiète pas pour rien, mais on n'est pas dans une situation hors de contrôle"

"La médecine de catastrophe n’est pas un système de triage pour dire qui va vivre et qui ne va pas vivre, c’est un système de priorisation des malades. Faire croire que l’on va sélectionner les malades et les trier, c’est totalement faux", déclare de son côté dans Le Figaro Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France. "Ce n'est pas la bérézina", abonde sur RTL ce mercredi matin Antoine Flahaut, épidémiologiste et directeur de l'Institut de santé globale de l'Université de Genève.

"Ce n'est pas encore le point de rupture, mais on n'en est pas loin", souligne toutefois Antoine Flahaut, pour qui "il faut probablement des mesures fortes pour enrayer cette épidémie".

"Je crois qu'aujourd'hui au vu de la situation sanitaire il n'y a plus le choix. Le reconfinement, le confinement, n'est plus une option, au moins dans les territoires les plus touchés", abonde sur notre antenne Frédéric Valletoux président de la FHF. "On est à des niveaux de diffusion du virus et de ses variants, et on est à un niveau de pression des lignes hospitalières, inédits".

Le taux d'occupation des lits au niveau national est de 100,3% selon le dernier bilan mardi soir. En Île-de-France, il est de 133, dans les Hauts-de-France de près de 150. 5072 patients sont actuellement en réanimation, le pic de la deuxième vague de l'épidémie en novembre a été dépassé ce lundi, quand la barre des 4900 patients a été franchie. Le pic de la première vague, avec un peu plus de 7000 patients début avril, reste toutefois encore loin.

"On n'inquiète pas les gens pour rien, il faut savoir que nos services de réanimation actuellement ils sont en saturation", explique Olfa Hamzaoui. Dans son hôpital, elle explique avoir "une place pour le moment, donc on ne peut pas dire qu'on est très à l'aise. Si j'ai cinq ou six patients qui arrivent en même temps je vais être embêtée, mais je vais essayer de les transférer sur le groupe hospitalier et de voir mes collègues ailleurs. On n'inquiète pas pour rien mais on n'est pas dans une situation hors de contrôle".
Salomé Vincendon
Salomé Vincendon Journaliste BFMTV