"Aujourd'hui on alerte": les soignants alarmés par la situation dans les hôpitaux

"Nous ne pouvons rester silencieux sans trahir le serment d'Hippocrate que nous avons fait un jour", écrivent dans une tribune publiée ce dimanche dans le JDD, 41 médecins réanimateurs et urgentistes, face à la difficulté de gérer l'afflux des patients Covid-19, alors que la situation sanitaire se dégrade. "Il est temps que l’exécutif assume clairement et publiquement les conséquences sanitaires de ses décisions politiques", déclarent en parallèle dans Le Monde un collectif de neuf médecins de l’AP-HP.
Tous alertent, comme ils le font depuis plusieurs semaines déjà, sur les flux importants de patients Covid-19 dans leurs services, qui ont atteint un stade critique ces derniers jours, ce qui pourrait les contraindre à faire du "tri" parmi les malades. Et ce alors que de nombreuses opérations pour des patients non Covid ont déjà été déprogrammées.
"Une très grande inquiétude, une anxiété sur ce qui va arriver"
"Le sentiment général aujourd'hui est celui d'une très grande inquiétude, d'une anxiété sur ce qui va arriver", déclarait dimanche sur BFMTV Rémi Salomon, président de la Commission médicale d'établissement de l'AP-HP. "Anxiété de voir cette deuxième vague plus violente que les deux premières, anxiété de ne pas pouvoir faire le soin comme nos valeurs nous y conduisent... Là, on est dans un contexte qui risque de nous mettre dans des situations extrêmement compliquées."
Dans les Hauts-de-France, le taux d'occupation des lits est de plus de 140% selon le bilan de dimanche soir. Il est de près de 130% en Île-de-France, et 40.000 nouveaux cas sont détectés tous les jours depuis la semaine dernière dans le pays. Des transferts de patients dans des régions moins touchées par l'épidémie ont été proposés mais ont rencontré peu de succès, "notamment parce que les patients sont atteints de façon plus sévère et sont donc intransportables". "De plus, leurs proches sont devenus extrêmement réticents à ces transferts", explique la tribune du Monde.
"On est là pour essayer de soigner tout le monde, de sauver le maximum de gens et de ne pas choisir les malades. Aujourd'hui on alerte, quelque soit ce qui se passera dans les jours et le semaines à venir, qu'on choisit déjà des malades", déclare ce lundi sur BFMTV Antoine Vieillard-Baron, chef du service de réanimation de l'hôpital Ambroise-Paré (Hauts-de-Seine), signataire de la tribune du JDD.
Alerte sur les risques des déprogrammations
Devant l'augmentation du nombre de patients en réanimation, les services de l'AP-HP ont demandé aux établissements hospitaliers de déprogrammer jusqu'à 80% des actes chirurgicaux et médicaux pour libérer du personnel et des lits afin d'accueillir des malades Covid-19.
Cette demande avait déjà été pointée du doigt pour son inefficacité, si elle n'était pas accompagnée de nouvelles restrictions permettant de faire baisser le nombre de malades et donc le nombre d'entrées à l'hôpital. Car sans mesures pour diminuer les courbes épidémiques, les déprogrammations seront toujours plus importantes. Et les annulations actuelles de rendez-vous ont déjà des conséquences.
"On est de plus en plus dans le dur sur ces déprogrammations", explique Antoine Vieillard-Baron. "Au départ on a déprogrammé des patients pour des opérations qui pouvaient attendre, et petit à petit on risque de se retrouver devant des pertes de chances, avec des détections de cancers, des traitements de cancers qui vont être repoussés."
La première ligne de déprogrammation concerne la chirurgie fonctionnelle, "c'est-à-dire des patients qui vont être opérés par exemple d'une hernie inguinale ou d'une prothèse de hanches", détaille sur BFMTV ce lundi Francis Bonnet, chef du service anesthésie-réanimation de l'hôpital Saint-Antoine (Paris). "Pour une prothèse de hanche maintenant vous pouvez attendre jusqu'à 6 mois ou plus pour pouvoir être opéré. Le problème c'est que si vous avez des douleurs, si vous souffrez, cela veut dire que vous avez six mois de plus à attendre votre intervention", explique-t-il.
Il alerte également sur la prise en charge des cancers et surtout de leur détection: "Sur l'année 2020, on a 30%, un peu plus même, de détections de cancers coliques en moins, du fait de cette baisse d'activité d'endoscopie digestive. Ces patients-là seront donc détectés à des stades peut-être plus avancés de leur maladie, cela aussi c'est une perte de chances".
Le président de la Ligue contre le cancer, Axel Kahn, avait déjà estimé en novembre dernier que ces déprogrammations pourraient entraîner "des milliers de morts supplémentaires par cancer, dans les cinq ans qui viennent, (des personnes) qui n'auraient pas dû mourir". "Pour chaque patient Covid soigné durant une quinzaine de jours dans un de ces lits 'éphémères', on estime qu’environ 150 patients ne seront pas opérés", écrivent les signataires de la tribune du Monde.
"Pas d'autres choix que celui d'un confinement"
Les effets de la vaccination n'auront d'incidence réelle sur l'immunité collective que dans plusieurs mois. Pour le moment un peu plus de 10% de la population a reçu une première dose de vaccin, près de 4% les deux doses, garantes d'une plus grande protection. En attendant, "il faut trouver des moyens de freiner cette diffusion du virus de façon plus importante", explique Antoine Vieillard-Baron. Et les soignants considèrent que le confinement est la mesure la plus efficace pour ralentir la progression de l'épidémie, car les restrictions mises en place la semaine dernière auront sans doute une incidence moindre.
"En dehors d'un changement de mesures, je ne vois pas dans les jours qui viennent un changement de direction de cette tendance qui est une montée croissante", explique Francis Bonnet. "On est dans une augmentation progressive jour après jour par paliers des entrées, et on ne voit pas comment cela pourrait s'interrompre". "Nous n'allons pas avoir d'autres choix que celui d'un confinement", déclarait également Rémi Salomon.
De plus, même si un confinement strict, comme celui de mars dernier, était mis en place dans l'heure, il n'aurait pas d'effets avant deux ou trois semaines, car les contaminés d'aujourd'hui sont les hospitalisés de demain. En ce sens, les soignants préviennent que les jours à venir seront difficiles.
"Nous risquons de nous retrouver d'ici 10, 15 jours 3 semaines dans une situation de réel débordement, et tout le temps qui passe sans que des mesures supplémentaires soient prises va augmenter la quantité de patients que nous risquons de ne pas pouvoir prendre en charge correctement", déclare Rémi Salomon.
L'exécutif a à plusieurs reprises répété que le confinement ne serait qu'une mesure de dernier recours, car les conséquences sociales, économiques, éducatives et psychiatriques d'une telle décision sont connues, et importantes.
D'après nos informations, le président français se donne 48h pour voir s'il y aura, ou non des effets des mesures prises il y a quasiment deux semaines. Si mardi soir les chiffres continuent d'augmenter de façon dramatique, Emmanuel Macron pourrait prendre de nouvelles mesures, plus dures.
