Covid-19 en Île-de-France: les transferts de patients peuvent-ils suffire à éviter un reconfinement?

Dans les prochains jours, une centaine de patients d'Île-de-France, en réanimation pour des cas de Covid-19 graves, doivent être évacués vers des hôpitaux d'autres régions, les établissements du territoire francilien étant saturés. Six évacuations ont déjà eu lieu ce week-end, et la mise en place d'un TGV médicalisé à destination de la Nouvelle-Aquitaine est envisagée.
Alors que la propagation de l'épidémie augmente en Île-de-France, le but de ces transferts est de désengorger les services de réanimation, où de nouvelles entrées sont enregistrées chaque jour: le taux d'occupation des lits dans la région, calculé par rapport aux capacités d'avant-crise, est en effet désormais de 98,9%, selon les chiffres officiels.
Suffisant pour éviter un éventuel reconfinement de la région? Cette mesure, bien que permettant à certains hôpitaux de souffler, ne peut pas se suffire à elle-même, et n'aura d'incidence que si de nouvelles restrictions viennent endiguer la diffusion de l'épidémie, soulignent de nombreux médecins.
Patient évacué, lit immédiatement réattribué
"Quand vous faites sortir un patient et que vous le transférez dans une autre région, dans les heures qui suivent le lit est pris par un autre malade", explique à BFMTV Stéphane Gaudry médecin au service de réanimation de l'hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis). "Nous avons pu évacuer un patient, et nous avons reçu durant ce week-end cinq patients nouveaux en réanimation, donc je vous laisse tirer les conclusions de l'intérêt" des transferts, déclare sur notre antenne Yves Cohen, chef de service de réanimation dans le même hôpital.
En effet, en l'absence de nouvelles mesures de restriction, et si le nombre d'admissions en réanimation poursuit son augmentation, chaque malade évacué sera immédiatement remplacé par une autre patient. Avec 99 patients supplémentaires en soins intensifs dans la journée de samedi, 64 dimanche, les hôpitaux franciliens sont chaque jour confrontés à un manque de places.
"Comme on est obligé de prendre les patients les plus graves qui nécessitent une réanimation et qu'on n'a pas de lits, on fait le tour des lits pour voir quel est le patient le moins grave que l'on peut mettre à côté, le sortir de la réanimation mais le garder en surveillance, pour prendre le patient le plus grave" à sa place, affirme Yves Cohen. "C'est comme cela qu'on fait maintenant depuis plus de dix jours."
"Il faut casser l'épidémie"
Comme beaucoup de médecins franciliens ces dernières semaines, ils réclament un confinement afin d'améliorer la situation dans leurs services. Après plusieurs déclarations assurant que le confinement n'était pas énvisagé pour l'Île-de-France, l'exécutif a changé de discours ces derniers jours, expliquant que la mesure était sur la table. Mais cela ne suffit pas pour ces soignants.
"Est-il logique de faire (des transferts) et de, parallèlement à cela, ne prendre aucune décision supplémentaire pour diminuer le taux d'incidence qu'on a dans nos départements et qui est très très élevé?" lance Stéphane Gaudry. "Si j'ai une inondation dans ma maison, avant d'écoper je ferme le robinet, et c'est cela qu'il faut faire vraiment, il faut casser l'épidémie parce que cela nous permettra de réussir à prendre tous les patients qui en ont besoin", abonde Yves Cohen.
"On a accéléré la vaccination, ce qui est très bien parce que c'est un point-clé, mais d'ici au mois d'avril, ce ne sera pas suffisant pour inverser les tendances", explique sur BFMTV Vittoria Colizza, épidémiologiste, chercheuse à l'Inserm. Comme son équipe l'avait déjà avancé mi-février, elle juge de nouvelles restrictions fortes nécessaires pour lutter contre la propagation du Covid-19, notamment du variant britannique. "On est déjà sur un couvre-feu à 18h, je ne vois pas d'autres mesures au-delà du confinement", déclare-t-elle.
Sans restriction supplémentaire, "chaque semaine qui passe est une semaine perdue pour tout le monde, les artistes, les restaurateurs... Et par ailleurs elle a un coup sanitaire considérable" a expliqué ce lundi matin sur France Inter Bruno Riou directeur médical de crise de l’AP-HP. Et face à cette crise, "il n'y a que deux traitements qui sont connus comme efficaces aujourd'hui contre l'épidémie, 1) le confinement, 2) la vaccination, et la vaccination n'aura des effets que dans plusieurs mois, alors que là on raisonne en terme de semaines".
Convaincre les patients et leurs familles
Au-delà de l'efficacité très limitée des transferts actuellement, Bruno Riou note qu'ils seront peut-être limités par le nombre de patients qui peuvent être déplacés. Un patient ne peut être transféré que si plusieurs critères sont respectés: son état doit être grave, mais stable, et sa famille doit donner son accord.
Ainsi à l'hôpital Avicennes, aucun autre transfert n'est pour l'instant prévu, car aucun patient ne remplit ces critères: "Dans la plupart des cas ce sont les familles qui refusent", explique Yves Cohen. "Quand on leur dit que le patient va partir à 500 km d'ici, vous imaginez leur état psychologique". Soulignant que la France a une forte expérience dans les transferts de patients - plus de 1000 ont été effectués depuis le début de la pandémie -, Bruno Riou note la même réticence des familles.
En ce sens, "ces transferts ne vont pas pouvoir se faire avec la même intensité que ce qui avait pu être observé", explique-t-il, ajoutant également que "le nombre de places dans les autres régions va être obligatoirement limité", car l'épidémie circule fortement partout dans l'Hexagone.
"Les capacités du CHU de Bordeaux en terme de réanimation sont relativement limitées car 90% des places sont occupées", a ainsi souligné ce dimanche auprès de l'AFP le docteur Laurent Petit, chef de l'unité de réanimation chirurgicale de l'établissement où sont arrivés deux patients évacués dimanche de Seine-et-Marne.
Quelle que soit la politique de l'exécutif quant aux futures restrictions, la situation actuelle dans les hôpitaux ne devrait pas s'améliorer avant au moins deux à trois semaines, car les contaminations d'aujourd'hui sont les hospitalisations de demain. "Les quinze jours qui viennent en terme d'admissions en réanimation sont déjà écrites", déclare Bruno Riou, "donc toute décision n'aura d'effets au plus tôt que dans quinze jours sur les lits de réanimation".
