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Prise de risques et mobilisation: le va-tout de Marine Le Pen pour espérer l'emporter au second tour

La candidate RN à la présidentielle Marine Le Pen en meeting à Perpignan le 7 avril 2022

La candidate RN à la présidentielle Marine Le Pen en meeting à Perpignan le 7 avril 2022 - LIONEL BONAVENTURE © 2019 AFP

Le duel du second tour de la présidentielle 2022 est donc bien celui annoncé par les observateurs durant tout le quinquennat: la réédition du face-à-face entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Et la marge de manoeuvre de cette dernière - donnée perdante dans les sondages - est étroite à l'heure d'espérer une autre issue. Marine Le Pen dispose toutefois de plusieurs leviers face au sortant.

En 2017, Emmanuel Macron accédait à l'Elysée en battant Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. Sans présumer de l'issue, le tableau est le même cinq ans plus tard: depuis dimanche, on sait en effet que c'est à nouveau la candidate du Rassemblement national qui est appelée à affronter le sortant.

Belotte et rebelotte? Vaincue en 2017 avec seulement 33,9% des suffrages exprimés contre 66,1% dévolus à Emmanuel Macron, Marine Le Pen est-elle destinée à se cogner au même plafond de verre le 24 avril prochain? Donnée pour l'instant en mauvaise posture dans les sondages, elle dispose toutefois de ressources pour espérer l'emporter, selon les observateurs de la vie publique.

Immigration, sécurité, pouvoir d'achat: les thèmes qui portent Le Pen dans l'opinion

La marche semble haute pour Marine Le Pen ce jeudi, à tout juste dix jours de son second duel face à Emmanuel Macron. D'après notre sondage "Opinion 2022" conduit par Elabe pour BFMTV, L'Express et notre partenaire SFR, publié mercredi soir, Marine Le Pen n'est créditée que de 46,5% des intentions de vote, contre 53,5% pour le président de la République.

Pire pour la prétendante du Rassemblement national, elle perd même du terrain dans le suivi mis en place par Elabe: dimanche soir, à l'issue du premier tour du scrutin, l'institut lui prêtait 48% des projections.

Ce jeudi, décryptant cette étude, l'éditorialiste politique de BFMTV Matthieu Croissandeau a toutefois dégagé des motifs de satisfaction éventuels pour la leader de l'extrême droite. "Si on en croit notre sondage, Marine Le Pen part avec un avantage sur les questions d'immigration, de sécurité, mais aussi le pouvoir d'achat, les retraites, les inégalités sociales".

"Alors qu'à l'inverse, Emmanuel Macron dispose d'un avantage sur la gestion de la crise ukrainienne, l'économie, l'emploi et dans une moindre mesure, sur l'environnement", a-t-il complété.

Obligée de prendre des risques face au sortant

Comme son rival, Marine Le Pen a donc des cartes à jouer. Mais, au vu de sa position d'outsider, c'est surtout à elle qu'il revient de frapper les esprits. Or, elle ne semble - à ce stade - pas décidée à miser trop gros dans la partie qui s'est engagée depuis dimanche.

Sa campagne d'entre-deux tours a surtout consisté pour le moment en un déplacement chez un exploitant agricole de l'Yonne lundi, puis en deux conférences de presse successives (à l'Hôtel Normandy de Vernon mardi pour y parler institutions, et dans les Salons Hoche de Paris mercredi pour exposer sa vision internationale). Matthieu Croissandeau a ainsi dépeint une "campagne sans risque", ni "relief" "avec des événements réglés comme du papier à musique".

Selon l'analyse de notre éditorialiste, la messe n'est pas dite cependant. Et la candidate peut encore renverser la table en mettant à profit les événements et les aléas de l'actualité: "Une campagne peut être émaillée d'incidents, qui peuvent faire décrocher un candidat". "Il y a aussi l'enjeu de la mobilisation, de la participation", a encore pointé Matthieu Croissandeau.

Le ralliement du camp Zemmour ne suffira pas

Car le rapport de forces en vue du second tour de la présidentielle est avant tout affaire de reports de voix en provenances des électorats malheureux. D'après notre sondage Elabe, Marine Le Pen capte notamment 76% des partisans d'Eric Zemmour.

Une martingale bien insuffisante selon Gilles Ivaldi, chargé de recherches au CNRS et au Cevipof, interrogé par franceinfo. "Marine Le Pen sait qu'elle doit aller chercher des voix ailleurs parce que le réservoir d'Eric Zemmour est acquis".

"De la même manière, elle n'a pas intérêt à trop s'afficher avec lui, parce qu'elle sait que c'est devenu un épouvantail, alors qu'elle doit montrer qu'elle est crédible et rassembleuse", ajoute le spécialiste, renvoyant comme en écho le jugement d'un célèbre soutien de Marine Le Pen.

En effet, le maire de Béziers, Robert Ménard, a affirmé qu'une victoire de celle-ci impliquait une "prise de distance avec la France rabougrie d'Eric Zemmour".

Jouer le social pour plaire à gauche

Mais à quelles sources puiser, alors, pour renforcer son courant ? "En fait, elle veut parler à trois catégories d'électeurs : les abstentionnistes, sa principale réserve ; ce qu'il reste des électeurs de droite, avec Valérie Pécresse, Nicolas Dupont-Aignan et Jean Lassalle ; et les électeurs de Jean-Luc Mélenchon", a détaillé Gilles Ivaldi.

Marine Le Pen convainc 29% des électeurs de Valérie Pécresse dans notre enquête "Opinion 2022". Non négligeable, certes, mais inférieur à l'influence d'Emmanuel Macron auprès du même ensemble (sur dix votants ayant choisi la représentante de la droite au premier tour, quatre s'apprêtent à apporter leur suffrage au sortant).

Mais la dernière réserve mentionnée par le chargé de recherches au CNRS fait de toutes façons paraître bien dérisoire les 4,8% d'inscrits à aller chercher dans le camp de Valérie Pécresse. Avec 21,95% des votes recensés, le total de Jean-Luc Mélenchon suscite bien plus de convoitises.

Aux antipodes de l'insoumis dans le spectre politique, Marine Le Pen a pour elle d'être plus solidement ancrée dans les milieux populaires que le chef de l'Etat actuel. Un trait qu'elle devrait continuer à accuser d'après Gilles Ivaldi: "Marine Le Pen va mettre l'accent sur le social".

Ainsi, alors qu'Emmanuel Macron est contraint de défendre son désir de repousser l'âge de départ à la retraite à 65 ans, Marine Le Pen rappelle qu'elle a fixé dans son programme des départs étalonnés de 60 à 62 ans. Quant au pouvoir d'achat, elle propose notamment de l'améliorer en supprimant la TVA sur une "centaine de produits" essentiels.

Susciter un "front anti-Macron"

Tout de même, l'équation pour elle tient de la quadrature du cercle. D'autant que Jean-Luc Mélenchon veille à décourager toute vélléité de la soutenir au sein de sa famille politique. Tandis que ses sympathisants sont invités depuis mercredi et jusqu'à samedi à exprimer leur souhait quant à la conduite à tenir le 24 avril, ils n'ont le choix qu'entre se prononcer en faveur d'un vote pour Emmanuel Macron, le vote blanc ou nul, ou l'abstention.

De surcroît, après avoir répété à plusieurs reprises lors de son allocution de dimanche dernier qu'"aucune voix" ne devait "aller à madame Le Pen", Jean-Luc Mélenchon a souligné, au moment de lancer cette consultation, que les deux finalistes n'étaient pas "équivalents".

Dans une lettre ouverte, le député élu dans les Bouches-du-Rhône a étayé: "Marine Le Pen ajoute au projet de maltraitance sociale qu’elle partage avec Emmanuel Macron un ferment dangereux d’exclusion ethnique et religieuse".

Résultat: Marine Le Pen n'enregistre dans notre panel que 27% de recrues parmi l'électorat de l'insoumis, là encore débordée par son concurrent que 35% des mélenchonistes du premier tour rejoindraient bon gré, mal gré. Toutefois, il se pourrait que l'important pour Marine Le Pen réside moins dans la persuasion de cet électorat de gauche que dans un hypothétique match nul. C'est en tout cas le sentiment formulé par Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos France, auprès du Parisien. Celui-ci a assuré qu'il fallait que "les électeurs de Jean-Luc Mélenchon se répartissent à parts égales" entre les deux rivaux.

C'est pourquoi au Rassemblement national, on préfère tabler sur la levée d'un front anti-Macron plutôt que sur un hypothétique désir de vengeance de la gauche contre l'Elysée stricto sensu. On y estime même que cette vague pourrait submerger un éventuel "barrage républicain".

"Le front des anti-Macron est bien supérieur à ceux qui ne veulent pas voir Marine Le Pen au pouvoir", a ainsi affirmé Louis Aliot, maire RN de Perpignan sur BFMTV-RMC mardi matin.

Un débat qui pèsera

Reste un dernier levier pour Marine Le Pen. Mais c'est sans doute celui qu'elle approchera avec le plus d'appréhension, en raison d'un souvenir cuisant qui la tenaille depuis cinq ans.

En 2017, elle avait sombré en direct face à Emmanuel Macron lors du débat télévisé. Or, le nouvel échange entre ces mêmes protagonistes aura "un impact" sur le choix de 28% des Français.

Cette soirée, prévue mercredi prochain, a donc des airs de couperet pour Marine Le Pen.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV