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"On ne va pas pouvoir avaler toutes les couleuvres": Sébastien Lecornu désormais au défi de convaincre son propre camp

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Après une concession à la gauche, le Premier ministre doit désormais fait passer la pilule de la suspension de la réforme des retraites au sein de son propre camp. Une tache ardue mais indispensable pour réunir les troupes avant l'examen plus large du budget.

"Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m'en charge". Difficile de ne pas penser à cette phrase attribuée à Voltaire pour décrire la situation de Sébastien Lecornu. Après avoir réussi à arrimer les socialistes en annonçant la suspension de la réforme des retraites, le Premier ministre va devoir s'atteler à convaincre son propre parti. Et la manœuvre s'annonce déjà titanesque.

"Je vais voter contre, avec mes 10 doigts, mes coudes et mes pieds s'il le faut", lance, bravache, la députée Renaissance Prisca Thevenot, une proche de Gabriel Attal, auprès de BFMTV.

Dans le camp présidentiel, la mise sur pause de la réforme des retraites qui permet d'obtenir la bienveillance des troupes socialistes, évitant au passage la censure immédiate du Premier ministre, ne passe pas.

En macronie, on juge avoir payé suffisamment cher politiquement le report de l'âge de départ à 64 ans. Dans les troupes, on n'a que très peu d'envies de lâcher ce totem sans se battre. Quitte donc à contredire Sébastien Lecornu, pourtant fidèle soldat du camp présidentiel depuis 2017.

Un soutien timide d'Emmanuel Macron

Emmanuel Macron, qui a accepté finalement de revenir sur la seule réforme emblématique de son second quinquennat, a certes bien tenté de faire le service après-vente de cette mesure ce vendredi soir à l'Élysée. "Il fallait ce compromis pour permettre la stabilité politique", a reconnu le président autour d'une petite dizaine d'invités.

Mais cherchait-il vraiment à convaincre ses propres troupes ou à se rassurer lui-même? La liste des invités laisse songeur plusieurs cadres du parti. Dans l'assistance: Élisabeth Borne, qui a porté la réforme aux côtés d'Olivier Dussopt, alors ministre du travail, qui était lui aussi présent ce soir-là. Mais nulle trace des macronistes chefs de file du budget de la sécurité sociale dans les murs. Ils seront pourtant en première ligne sur le sujet dans les prochaines semaines.

"Moi, j'ai un peu l'impression que ça ne lui déplairait pas qu'on s'oppose massivement à cette suspension, quitte à savonner la planche à son Premier ministre", analyse un député Renaissance.

Sébastien Lecornu semble en tout cas bien décidé à prendre la foudre. Là où ce sont traditionnellement les ministres de l'Économie et des comptes publics qui défendent le budget dans l'hémicycle. Le locataire de Matignon a promis d'être régulièrement présent. De quoi probablement assister en personne à la suspension de la réforme des retraites.

Dans les bureaux du Premier ministre, on a fait les comptes. Si les députés RN soutiennent cette mise sur pause, tout comme l'ensemble du Nouveau front populaire, la mesure sera très largement adoptée avec 318 voix.

Bref, pas besoin arithmétiquement de convaincre les députés Renaissance qui pourraient voter contre ou s'abstenir. Certains d'entre eux appellent cependant à bien réfléchir aux conséquences d'un tel geste qui ferait tirer les troupes du président contre leur propre Premier ministre.

"C'est comme si on me demandait si je préférais perdre un doigt ou une jambe"

"On ne peut pas être arc-boutés sur le sujet. Comprenons bien ce que nous faisons, acceptons de discuter", exhorte le député Ludovic Mendes.

"Entre la suspension ou la censure de Sébastien Lecornu, c'est vite tranché. C'est comme si on me demandait si je préférais perdre un doigt ou une jambe", reconnaît l'un de ses collègues anciennement inscrit sur le banc des LR, qui pronostique "plus d'abstentions que de vote contre" dans son camp.

Si la suspension de la réforme des retraites était bien votée, Renaissance devrait cependant bien chercher à emporter en contrepartie certaines batailles. Dans leur viseur, plusieurs dispositifs contenus dans le budget et défendus par Sébastien Lecornu comme la prolongation de la contribution censée être exceptionnelle sur les très hauts revenus.

Problème: les socialistes et plus largement l'ensemble de la gauche vont également tenter de pousser leurs billes bien au-delà des retraites. Dans un contexte politique très différent, l'ensemble du Nouveau front populaire avait gagné de nombreuses victoires l'an dernier dans l'hémicycle, faute de mobilisation du socle commun.

Gel des pensions de retraite et du montant des prestations sociales, suppression de 4.000 postes de professeurs... Les motifs de bataille contre ce que prévoit pour l'instant le budget ne devraient pas manquer.

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"Notre sujet, ça va être celui de la mobilisation. Soit on est dépités par la tournure des débats et personne ne voudra plus y aller et là, c'est la catastrophe. Soit on est très remontés et tout le monde va venir en séance pour se battre", prévoit un pilier de Renaissance.

"À un moment, on ne va pas pouvoir tout avaler non plus. Une couleuvre oui, deux, trois ou quatre, non", juge un député plus revendicatif.

Mouiller la chemise

Charge au président de groupe Gabriel Attal de battre le rappel des troupes qui ne soutiennent pour l'instant que du bout des lèvres Sébastien Lecornu. Le Premier ministre, qui a toujours apprécié les longs échanges en commission quand il était ministre des Armées, pourrait se fendre de quelques SMS envoyés aux députés pour leur glisser quelques mots et les pousser à venir.

Même topo pour le ministre des Relations avec le Parlement Laurent Panifous dont les échanges avec le PS et la macronie devraient constituer l'essentiel du temps.

Suffisant pour éviter d'accoucher d'un "budget Frankenstein" rempli de mesures sans grande cohérence avec, suivant les sujets des dispositions, un coup de barque à gauche puis un coup de barque macroniste?

"Il va falloir être très rigoureux là-dessus et que le gouvernement tout comme nous, on se rappelle bien qu'on ne va pas pouvoir défendre que des mesures qui coûtent 150 millions aux contribuables", demande le député Horizons Jérôme Patrier-Leitus.

Lui ne soutiendra en tout cas pas la suspension de la réforme des retraites, conformément à la consigne passée par son patron Édouard Philippe.

Un Premier ministre "pas responsable des dingueries"

Résultat probable: un budget à la fin qui ne "ressemblera à rien" dixit un bon connaisseur des finances publiques à l'Assemblée. Avec une vraie difficulté pour Sébastien Lecornu: parvenir à faire voter un budget condamné à mécontenter le PS qui trouvera probablement qu'il n'a pas assez réussi à infléchir le budget, et son propre camp qui refusera d'avaliser un budget jugé trop à gauche.

Manière peut-être de se défausser du bilan des échanges à l'Assemblée nationale, le Premier ministre a déjà prévenu. "Le gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez", a résumé à plusieurs reprises le locataire de Matignon lors de son discours de politique générale.

"C'est malin de sa part. Il dira que c'est bien les députés qui seront responsables des dingueries de ce budget, pas lui qui n'aura fait que jouer le rôle de facilitateur", analyse un conseiller ministériel.

Reste encore à écrire la conclusion dans des délais contraints posés par la Constitution. Les députés parviendront-ils jusqu'au vote de la totalité de ce budget dans les 70 jours impartis? Et si oui, Renaissance acceptera-t-elle de voter un budget qui détricote la réforme des retraites et posera probablement la hausse de la fiscalité des plus riches? La question se pose d'autant plus que traditionnellement soutenir un texte budgétaire signifie que vous appartenez au socle du gouvernement.

"Tout ça ne sera pas simple mais il faudra que chacun prenne ses responsabilités", espère le député Modem Erwan Balanant.

"Aujourd'hui, je ne sais pas répondre à cette question. Tout dépendra du contexte politique dans quelques semaines si on estime que la pression est trop forte pour Sébastien Lecornu et qu'il peut chuter", reconnaît un député macroniste. Avec le spectre de la dissolution jamais très loin.

Marie-Pierre Bourgeois