"Emmanuel Macron ne cherche qu'à gagner du temps": le président de la République pourra-t-il vraiment éviter une dissolution?

Une option qui s'éloigne, vraiment? Après 48 heures de tractations, le Premier ministre démissionnaire Sébastien Lecornu a expliqué sur le plateau de France 2 ce mercredi soir que "les perspectives de dissolution (de l'Assemblée nationale, NDLR) s'éloignaient".
Emmanuel Macron, de son côté, se garde bien de toute prise de parole officielle pour l'instant. Mais le chef de l'État reçoit ce vendredi après-midi l'essentiel des forces politiques et finir par probablement dévoiler un Premier ministre, conformément à l'engagement pris ces derniers jours. Une sortie de crise qui n'impliquerait pas de renvoyer les électeurs aux urnes pour élire de nouveaux députés? Prudence.
Une dissolution à haut risque pour Renaissance
La carte de la dissolution est à double tranchant. Plusieurs sondages publiés à l'été ont de quoi donner des sueurs froides à une partie de l'hémicycle, à commencer par les macronistes qui pourraient revenir avec un nombre d'élus divisé par deux. Avant la dissolution de l'été 2024, le camp présidentiel comptait 169 députés. Il n'en compte plus que 91. De nouvelles législatives pourraient les faire passer sous la barre des 50.
À droite, si plusieurs législatives partielles ces dernières semaines ont donné de bons résultats, personne ne se précipite non plus pour revenir devant les électeurs.
Pour Sébastien Lecornu, si les partis n'ont pas d'intérêt à la dissolution, ils n'en ont pas à l'idée de faire tomber un nouveau gouvernement. D'où l'idée qu'"une voie de passage" est possible dans les prochaines semaines pour avoir un budget et assurer une certaine stabilité gouvernementale.
Voilà pour la version officielle. En réalité, même en cas de nomination d'un Premier ministre issu du bloc central ou qui n'est pas issu de la gauche, que ce soit Sébastien Lecornu ou une autre personnalité comme Jean-Louis Borloo, la stabilité dans les prochains mois semble compliquée.
"Échapper" à la chute
Sauf énorme rétropédalage d'Emmanuel Macron sur la suspension de la réforme des retraites et en l'absence d'un Premier ministre de gauche, tous les députés du Nouveau Front populaire voteront la censure soit 195 élus.
"Je censure tout maintenant", a déjà prévenu de son côté Marine Le Pen, la présidente des députés RN, qui peut se targuer de pouvoir convaincre les 122 élus auxquels il faut ajouter les troupes d'Éric Ciotti, soit en tout 140 députés. En tout, cela fait donc 335 votes pour censurer un Premier ministre à l'Assemblée.
"Si c'est quelqu'un du camp présidentiel qui est nommé ou si c'est Sébastien Lecornu qui est confirmé, je ne vois pas comment il échappe à la chute", reconnaît Jean-Baptiste Moreau, membre du bureau exécutif de Renaissance.
Et si c'est un Premier ministre de gauche qui est nommé et qui a les mains libres sur la réforme des retraites, une partie de l'hémicycle pourrait elle aussi bien dégainer la censure. Une partie des LR pourrait chercher à le faire tomber, tout comme certains élus Renaissance, le groupe de députés Horizons et donc les élus RN et leurs alliés.
"Pas beaucoup d'autres possibilités"
Une nouvelle censure remettrait Emmanuel Macron en première ligne. Après avoir tenté trois Premiers ministres différents en un an, le chef de l'État aurait-il vraiment d'autre choix que d'organiser de nouvelles législatives pour tenter de sortir de la nasse?
L'hypothèse est jugée assez crédible pour apparaître dans une note de la commission des Finances du Sénat.
"Une nouvelle dissolution aurait des allures de cauchemar si on avait la même Assemblée qu'aujourd'hui à la fin. Mais je ne sais pas si nous aurons beaucoup d'autres possibilités sur la table", reconnaît ainsi un député macroniste.
Une nouvelle Assemblée nationale aussi fragmentée qu'aujourd'hui ne changerait guère la donne politique. Pire, elle signifierait que pour sortir de la crise politique, le chef de l'État n'aurait plus sur la table que son départ, d'autant plus qu'elle n'a plus rien d'un tabou. L'ex-Premier ministre Édouard Philippe a ainsi appelé mardi à une "élection anticipée" tout comme la présidente LR de la Région Ile-de-France Valérie Pécresse et le maire de Cannes LR David Lisnard.
"Ceux qui plaident pour une nouvelle dissolution veulent la démission du président de la République. C'est très grave", s'agace de son côté Julien Dray, un temps conseiller de François Mitterrand.
Une éventuelle alliance LR-RN
Autre possibilité au goût très amer pour le chef de l'État en cas de dissolution: espérer que le RN augmente fortement son nombre d'élus et parvienne à faire un accord avec la droite en dépassant 289 élus, gage de la stabilité. Jusqu'ici, les LR ont toujours dit non. Mais petit à petit, la possibilité devient de moins en moins improbable.
"Nous n'avons pas que des désaccords avec le RN", a expliqué l'ancienne porte-parole du gouvernement Sophie Primas sur RTL mercredi.
"L'esprit de mon propos était d'indiquer qu'à ce moment épineux de notre vie politique, nous avons un impératif besoin de trouver une voie pour donner un budget à la France", a ensuite précisé la sénatrice LR.
"Exploser les limites de notre imagination"
Autre petit indice qui montre qu'une éventuelle alliance n'a rien d'impossible: l'organisation d'une législative partielle dimanche dans le Tarn-et-Garonne. Bruno Retailleau a appelé à voter au second tour pour la candidat d'Éric Ciotti, désormais allié du RN et non pour son opposante, une candidate PS soutenue notamment par Renaissance.
"Vous vous rendez compte si à la fin, c'est une dissolution qui amène le RN à Matignon et qui sauve Emmanuel Macron? On est en train d'exploser les limites de notre imagination", remarque un conseiller ministériel démissionnaire.
"J'ai le sentiment qu'Emmanuel Macron ne cherche qu'à gagner du temps pour tenir jusqu'à la fin de son mandat. Et si pour lui de nouvelles élections législatives lui permettent, il le fera", tranche de son côté Gaspard Gantzer, l'ex-conseiller en communication de François Hollande.
C'est bien la variable inconnue de la position du chef de l'État qui jouera le rôle déterminant. Sollicité sur sa position actuelle, l'entourage d'Emmanuel Macron n'a pas répondu à BFMTV. "Mon habitude n’est pas de me priver d’un pouvoir constitutionnel, parce que si des formations politiques décidaient d’avoir une approche totalement irresponsable et bloquer le pays, peut-être me retrouverais-je dans une situation où je dois utiliser la Constitution", déclarait le président de la République il y a quelques semaines.