"Ça ne va pas être si facile": l'atterrissage délicat de Michel Barnier, fraîchement élu député, à l'Assemblée

Comme un caillou dans la chaussure de Bruno Retailleau et de Laurent Wauquiez. Après une lutte fratricide qui a failli mal tourner avec Rachida Dati, Michel Barnier a finalement remporté dimanche soir son pari en devenant député des très chics 5e et 6e arrondissements de Paris.
Si le rôle que devrait adopter l'ex-Premier ministre, tombé sur une motion de censure en décembre dernier, reste flou, pas grand-monde n'a de doute à droite sur ses ambitions présidentielles.
"Évidemment que Michel Barnier n'est pas venu poser quelques questions de temps en temps dans l'hémicycle. S'il revient, c'est pour qu'on arrête de le qualifier d'ex et pour avoir une visibilité qu'il n'aura nulle part ailleurs en ce moment", observe un député LR auprès de BFMTV.
"On ne va pas tous être au garde-à-vous"
Le désormais nouveau député de Paris, qui n'a pourtant eu de cesse pendant tout son passage à Matignon de revendiquer son ancrage en Savoie, va probablement faire changer l'atmosphère dans un groupe à l'alchimie particulière.
Sans chef de file lors de la dernière dissolution, les 49 députés du groupe désormais dirigés par Laurent Wauquiez sont souvent vus comme des auto-entrepreneurs qui ne doivent leur survie politique qu'à eux-mêmes et ne prennent leurs ordres de personne.
La preuve le 8 septembre dernier: un tiers des députés ont voté contre la confiance au gouvernement de François Bayrou alors même que leur président - qui leur avait toutefois laissé la liberté de vote - était pour. Quant à Bruno Retailleau, le président des LR, il n'avait même pas encore consulté ses propres troupes qu'il annonçait soutenir le Premier ministre de l'époque. Bref, l'atmosphère n'est pas toujours riante et les couteaux souvent aiguisés.
"Ce qui est sûr, c'est que je lui déconseille d'arriver en terrain conquis dans un groupe relativement divers. On ne va tous être au garde-à-vous devant lui comme un seul homme, d'autant moins qu'il n'a pas fait de miracle à Matignon", tance un élu LR proche du ministre démissionnaire de l'Intérieur.
Tensions à venir sur le budget
Officiellement, l'heure n'est pas à l'inquiétude au sein du mouvement. Au contraire, "cette arrivée ne peut faire que du bien à l'Assemblée nationale et à la droite dans son ensemble", se réjouit ainsi Pierre-Henri Dumont, secrétaire général adjoint des Républicains. Mais l'ancien Premier ministre pourrait rapidement jouer sa propre partition, à commencer par le budget. Plusieurs mesures qu'il avait portées à Matignon avaient hérissé son propre camp, à commencer par la désindexation des pensions de retraite sur l'inflation et l'augmentation des franchises sur les boîtes de médicaments, considérée aujourd'hui par les LR comme un "impôt sur les classes moyennes".
Michel Barnier avait finalement reculé, au grand soulagement des députés de droite à commencer par Laurent Wauquiez qui avait lui-même annoncé la marche arrière sur les retraites.
Quant aux dispositions pour taxer de façon exceptionnelle les plus aisés et les très grandes entreprises qu'il avait également promues avant de tomber, elles avaient tout autant agacé en interne. François Bayrou les avait cependant reprises à son compte dans le budget 2025 finalement voté et comptait également les intégrer au budget 2026.
Sébastien Lecornu, qui est resté très évasif sur les mesures de son budget, pourrait les reprendre à son compte. Que fera alors Michel Barnier? Se rallier au scepticisme de son camp ou défendre des mesures qu'il avait lui-même lancées l'an dernier?
"Tout cela ne va pas toujours être très facile", lâche un sénateur LR qui l'apprécie.
"Un très beau profil" pour remplacer Laurent Wauquiez
Sans compter que si Michel Barnier se positionne officiellement pour la présidentielle, il ne va pas se faire que des amis. Ni Bruno Retailleau, méconnu des Français avant son arrivée place Beauvau et désormais jugé présidentiable, ni Laurent Wauquiez, qui se voit toujours dans la course, ne vont lui dérouler un tapis rouge.
La situation pourrait être encore plus délicate si le président du groupe faisait son entrée au gouvernement. Il faudrait alors le remplacer, offrant un joli maroquin à Michel Barnier s'il était intéressé. La situation pourrait révéler des tensions entre proches de Laurent Wauquiez, qui évoquent régulièrement le nom de la députée LR Michèle Tabarot pour lui succéder, et ceux qui pourraient plaider pour sa candidature. L'un de ses anciens collaborateurs à Bruxelles le juge cependant "un cran au-dessus des autres".
"Des gens qui ont été Premier ministre, qui connaissent tous les dirigeants européens et les arcanes de la Commission européenne, il n'y en a pas 150. Ce serait quand même un très beau profil pour diriger les députés", avance un de ses fidèles.
Et pour le reste? "On verra, mais je ne suis pas sûr qu'on ait le luxe de se passer de ce genre de talent".
"Une envie autour de lui? J'en doute"
Plus sévères, d'autres pourraient arguer que son très beau CV ne l'avait pas empêché de largement perdre la primaire interne des LR en 2021 pour désigner leur candidat à la présidentielle. Michel Barnier n'avait alors pas réussi à se qualifier au second tour.
"Est-ce que son passage à Matignon, qui n'a pas été une franche réussite, va créer une envie autour de lui? Franchement, j'en doute un peu", avance un député macroniste venu de la droite.
Quitte à regarder dans le rétroviseur, on peut aussi s'intéresser au cas de François Fillon, le dernier Premier ministre de droite à avoir siégé à l'Assemblée après son départ de Matignon. Après avoir présidé le groupe pendant quelques mois en 2012, il avait préféré redevenir simple député, se consacrant essentiellement à la préparation de la présidentielle et à l'écriture de ses livres avant de gagner la primaire, d'être candidat en 2017 et d'exploser en plein vol.
Michel Barnier aura-t-il plus de chance? Superstitieux, il pourra adopter à l'Assemblée la même technique que lors de la primaire en 2021: serrer un caillou dans la poche de son costume. Pas n'importe quelle pierre! Ce talisman, destiné à chasser le mauvais sort, provient d'un chemin de randonnée de Savoie.