TOUT COMPRENDRE - Ce que la justice reproche à Rachida Dati, renvoyée devant le tribunal correctionnel

Rachida Dati à Paris le 14 juillet 2025 - MOHAMMED BADRA / POOL / AFP)
Une affaire politico-financière qu'aurait préféré éviter Rachida Dati, actuellement en pole position pour conquérir la mairie de Paris en mars prochain. Des juges d'instruction ont ordonné ce 22 juillet que la ministre de la Culture soit renvoyée devant un tribunal correctionnel.
L'ancienne garde des Sceaux va donc devoir répondre devant la justice d'accusations de "recel d’abus de pouvoir et d’abus de confiance" et "corruption et trafic d’influence passifs par personne investie d’un mandat électif public au sein d’une organisation internationale".
• Qu'est-ce qu'on reproche à Rachida Dati?
Les faits reprochés à Rachida Dati s'étalent de 2010 à 2012. À l'époque, l'ancienne ministre de la Justice sous Nicolas Sarkozy est députée européenne et exerce la fonction d'avocate.
En octobre 2009, quelques mois après son arrivée au Parlement européen, Rachida Dati signe un contrat avec RNBV, l'alliance qui réunit les constructeurs automobiles Renault et Nissan, alors dirigée par Carlos Ghosn, contre une rémunération de 900.000 euros.
Plusieurs questions sur ce contrat se posent, à commencer par sa légalité dans le cadre des règles du Parlement européen. Les règles en matière de cumul d'emploi sont extrêmement strictes dans les arcanes de Bruxelles. Les activités de lobbying et de conseils sont par exemple interdites aux députés européens.
Rachida Dati s'en défend, assurant avoir travaillé avec sa casquette d'avocate à "un cadre juridique" pour Renault-Nissan, alors secoué par la crise financière internationale et les printemps arabes.
Le fait de cumuler des fonctions d'avocate et de député européen, est, lui bien autorisé. Mais le tempo interroge: en 2009, quand elle signe son contrat avec Renault-Nissan, elle n'est pas encore avocate et ne s'inscrit au barreau de Paris qu'en février 2010.
La méthode vise, selon le parquet national financier (PNF), à "contourner l'interdiction" de lobbying et de conseil et "à exercer une activité de conseil qui lui était défendue malgré tout".
Pour les magistrats du PNF, l'ancienne ministre de la Justice a bien "conseillé le groupe Renault dans la promotion de ses droits et intérêts auprès du Parlement européen". Elle aurait également "usé de son influence réelle ou supposée pour mener des actions de lobbying".
Autre question: celle de la réalité des prestations effectuées. "Les nombreuses investigations" menées par le PNF "n'ont permis d'identifier que très peu de preuve de l'existence et de la réalité des prestations réalisées" par Rachida Dati. Alors que son contrat avec Renault-Nissan prévoyait un compte-rendu annuel, le PNF n'en a pas trouvé trace et l'actuelle ministre de la Culture n'a pas été en mesure d'en produire.
"Les seuls éléments au soutien d’un travail effectif de Rachida Dati sont essentiellement basés sur des témoignages", note le PNF, et venant de personnes qui "avaient intérêt à confirmer la réalité de son travail". De quoi faire dire aux magistrats que ce contrat "était l'habillage juridique d'un pacte corruptif patent".
• Comment Rachida Dati se défend?
Depuis le début de cette affaire, Rachida Dati nie tous les faits reprochés et assure avoir bien travaillé pour le compte du constructeur automobile. Le patron de Renault-Nissan de l'époque Carlos Ghosn, sous le coup d'un mandat d'arrêt international depuis son évasion d'une prison japonaise et lui-même poursuivi par la justice française dans le cadre de cette affaire, a présenté Rachida Dati comme "une consultante". Il a évoqué à plusieurs reprises "la diplomatie des affaires", d'après des informations de la cellule investigation de Radio France.
Plus largement, la ministre de la Culture tente depuis le début de la procédure de la faire annuler et pointe pour cela notamment la plainte d'une actionnaire de Renault à l'origine de l'affaire.
Dès 2019, Rachida Dati écrit un courrier à Éliane Houlette, alors patronne du PNF, expliquant que la plaignante est en réalité l'épouse d'un avocat lui-même actionnaire de Renault. Elle regrette "une manipulation" et demandé le classement de la plainte. Si la justice a depuis déclaré irrecevable la constitution de partie civile de l'actionnaire plaignante, le PNF a bien continué ses investigations.
Autre stratégie: attaquer en justice ceux qui émettent des doutes sur la réalité du travail qu'elle aurait réalisé pour l'alliance Renault-Nissan. C'est le cas de l'actuel président de Renault Jean-Dominique Senard, de Renault, que la ministre accuse d'"omission à témoigner en faveur d'un innocent" pour avoir "dissimulé et fait dissimuler à la justice française des documents essentiels de nature" à l'innocenter. Début janvier, la ministre a finalement renoncé à le citer en justice.
Enfin, les avocats de Rachida Dati tente de démontrer que les faits reprochés sont prescrits et ne pourraient donc plus être poursuivis par la justice. C'est en ce sens qu'elle avait déposé un recours contre le réquisitoire du PNF qui demandait un procès. Mais la maœuvre avait échoué le 26 juin dernier.
La ministre a cependant déposé un nouveau recours devant la Cour de cassation début juillet, arguant cette fois-ci de l'absence dans le dossier judiciaire d'une "pièce déterminante", sa convention d'honoraires la liant au groupe automobile.
• Qu'est-ce qui attend maintenant Rachida Dati?
Ce 22 juillet, deux juges d'instruction ont ordonné un procès contre Rachida Dati. Elle sera convoquée le 29 septembre devant le tribunal correctionnel pour connaître les dates de son procès. La ministre de la Culture a cependant fait appel de son renvoi en correctionnelle. Si le procès a bien lieu, il a toutes les chances de se tenir après les élections municipales organisées en mars 2026.
En attendant, l'ex-ministre de Nicolas Sarkozy est bien maintenue à son poste à la Culture. En fin de journée, mardi, le chef de l'État a indiqué avoir "pris note de la décision du renvoi de Rachida Dati devant le tribunal correctionnel". Mais "un renvoi n'étant pas une condamnation, elle poursuit son travail au gouvernement", a-t-il encore fait savoir à travers son entourage. En 2017, Emmanuel Macron appelait pourtant à la démission de tout ministre mis en examen, avant d'appliquer ce principe de façon extrêmement variable.
Concrètement, Rachida Dati risque jusqu'à 10 ans d'emprisonnement et une amende d'un million d'euros pour "corruption et trafic d'influence".
• Quelles sont les implications politiques de ce renvoi devant la justice?
Pour l'instant, le gouvernement fait plutôt profil bas sur le cas de Rachida Dati. Seul le ministre de la Justice Gérald Darmanin a indiqué ce mardi sur TF1 souhaiter "ardemment qu'elle soit maire de Paris".
La porte-parole du gouvernement Sophie Primas, elle, s'est contentée d'indiquer à la sortie du Conseil des ministres que l'exécutif "respectait la présomption d'innocence". Mais à gauche, on ne s'est pas privé d'utiliser la situation pour attaquer Rachida Dati et appeler à sa démission de son poste de ministre de la Culture.
S'il est difficile de juger concrètement si ce renvoi devant la justice est un handicap pour elle dans la course à la mairie de Paris, cette décision judiciaire n'a évidemment rien d'une rampe de lancement prestigieuse pour commencer sa campagne.
Cette nouvelle tombe d'autant plus mal que le contexte politique parisien est éruptif, entre une partie de la droite qui l'exhorte à se plier à une primaire interne et des macronistes qui renâclent à la soutenir.