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Retailleau pense qu'un référendum sur l'immigration "s'imposera, y compris au Conseil constitutionnel"

Bruno Retailleau à Créteil le 5 mai 2025

Bruno Retailleau à Créteil le 5 mai 2025 - Thibaud MORITZ / AFP

Le ministre de l'Intérieur continue de plaider pour une consultation des Français sur les questions migratoires. Pour l'instant, Emmanuel Macron, qui a la main sur le dossier, n'a jamais penché en faveur de cette option. Quant aux constitutionnalistes, beaucoup doutent que la maœuvre soit légalement possible.

Un appel du pied à Emmanuel Macron ou une critique en règle du Conseil constitutionnel? Le ministre de l'Intérieur, qui s'est déjà exprimé à plusieurs reprises sur un référendum sur l'immigration, remet une pièce dans la machine.

"Quand la loi ne protège pas les Français, il faut changer la loi et je pense que sur l'immigration pour reprendre le contrôle, il nous faut un référendum", a jugé Bruno Retailleau ce mardi sur CNews et Europe 1, en pleine course à la présidence Les Républicains.

"Un référendum sur l'immigration s'imposera, y compris au Conseil constitutionnel", juge-t-il.

Un cadre constitutionnel très précis

La formule n'a pourtant rien d'une évidence. La question de l'immigration ne figure pas explicitement dans l'article 11 de la Constitution qui cadre le recours au référendum. Le chef de l'État "peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent", peut-on y lire.

Pour pouvoir aborder la question de l'immigration dans un référendum, il faudrait donc potentiellement aller sur le terrain des mesures sociales, comme l'a déjà évoqué Bruno Retailleau en février dernier.

On pourrait penser par exemple à la question de l'accès aux prestations sociales qui pourraient être conditionnées à une certaine durée de séjour sur le territoire français ou sur la question de l'aide médicale d'État (AME).

Non pour Laurent Fabius

Mais la manœuvre fait douter les constitutionnalistes, à commencer par l'ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel Jean-Éric Schoettl. "L'immigration est un sujet très vaste, qui peut concerner beaucoup de domaines de l'action publique et qui donc ne se rattachent pas seulement aux politiques économiques et sociales", jugeait auprès du Figaro cet ex conseiller d'État en janvier dernier.

Quant à Laurent Fabius, longtemps président du Conseil constitutionnel, il avait été très clair. "La politique migratoire n'entre pas dans le champ de référendum", avait expliqué le socialiste auprès du Monde en 2024.

Richard Ferrand qui est désormais à la tête de l'institution s'est, lui, pour l'instant bien gardé de prendre position sur le sujet.

Emmanuel Macron muet

Mais pour solliciter le Conseil constitutionnel sur le sujet qui jugerait alors ou non de la constitutionnalité d'un décret présidentiel sur le sujet avant son organisation par les services de l'État, encore faudrait-il qu'Emmanuel Macron aille sur ce terrain.

Le chef de l'État a certes évoqué sa volonté de demander aux Français de "trancher" sur des "sujets déterminants" lors de ses vœux pour 2025. Mais il n'a jamais évoqué les thématiques précises qu'il avait en tête. Quant à François Bayrou, c'est non.

François Bayrou a beau avoir relancé l'idée d'un référendum ce vendredi soir sur la question des finances de l'État, il aclairement fermé la porte à une consultation sur l'immigration.

"Vous posez quelle question aux Français? 'Vous êtes pour ou contre l'immigration?' Vous croyez vraiment que c'est une question de référendum?", s'était agacé le Premier ministre sur LCI en janvier dernier.

Des dispositions censurées

Autre problème que pourrait poser un référendum sur l'immigration et l'accès aux prestations sociales: celle de son respect du principe de la Constitution. Un texte soumis à un référendum ne peut pas être contraire à la Constitution - ni même aux "principes constitutionnels", a ainsi jugé l'ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel Jean-Éric Schoettl auprès du Figaro.

Dans la dernière loi immigration de 2023, plusieurs dispositions allant dans ce sens ont été censurées par les Sages. Parmi celles-ci, on trouvait notamment le conditionnement des allocations familiales à une présence en France depuis au moins 5 ans pour les personnes sans emploi. Les aides personnalisées au logement (APL) étaient également conditionnées à 5 ans de présence en France pour les personnes qui ne travaillaient pas.

Si elles ont été censurées sur une question de forme plus que de fond, les constitutionnalistes avaient été nombreux à évoquer le fait qu'elles ne passeraient pas les fourches caudines des Sages.

Question de "proportion" et de "dignité humaine"

"On ne peut pas dire que le fait de vivre en France depuis un certain nombre d'années, de travailler ou d'avoir la nationalité française change quoi que ce soit au fait d'avoir un enfant. Vous devez toujours, à la fin, le nourrir", remarquait ainsi Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à Paris-2 auprès de BFMTV.com.

La mesure aurait donc pu être jugée "disproportionnée" et ne respectant pas "la dignité humaine", inscrite dans la Constitution de 1946 et incluse dans celle de 1958, actuellement appliquée.

Bruno Retailleau regrettait d'ailleurs lui-même en septembre dernier sur LCI après sa nomination à l'Intérieur qu’on ne puisse "pas faire en France, malheureusement pour des raisons constitutionnelles, de référendum sur l’immigration".

Marie-Pierre Bourgeois