Présidentielle: comment les présentateurs préparent le débat de l'entre-deux tours

Des images d'archives des débats d'entre-deux tours d'élection présidentielle en 2017 (en haut à gauche), en 1974 (en haut à droite et en bas à gauche) et en 1995 (en bas à droite). - AFP
À quelques heures du débat de l'entre-deux tours, Emmanuel Macron et Marine Le Pen ne sont pas les seuls à revoir leurs dossiers. En coulisses, les présentateurs chargés d'animer ce débat crucial de la présidentielle s'attèlent eux aussi à une intense et minutieuse préparation. Ce mercredi soir à 21 heures, ce sont Léa Salamé (France 2) et Gilles Bouleau (TF1) qui animeront le débat entre les deux finalistes à la présidentielle.
En France, ce débat est une tradition télévisuelle depuis 1974, qui représente un moment fort de la campagne. Chaque fois, le débat de l'entre-deux tours est regardé par plusieurs dizaines de milliers de télespectateurs et il s'est souvent révélé déterminant pour l'issue du scrutin. Il y a cinq ans, Christophe Jakubyszyn, chef du service politique de TF1, était sur le pont aux côtés de sa collègue Nathalie Saint-Cricq, cheffe du service politique de France 2, pour animer le tout premier débat qui opposait Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

"C'est un débat qu'on prépare beaucoup, évidemment", confie à BFMTV.com Christophe Jakubyszyn, "surtout quand on est prévenu très tard comme ça avait été le cas pour moi et Nathalie (Saint-Cricq)" en 2017. Ce qui s'est passé à l'époque, c'est que le débat aurait dû être animé par les présentateurs des 20 heures", à savoir Gilles Bouleau et David Pujadas. "Mais cela ne convenait pas aux candidats car ce n'était pas une équipe paritaire, donc la tâche était revenue aux chefs des services politiques des deux chaînes".
Par conséquent, "avec Nathalie (Saint-Cricq) nous n'avions eu que cinq jours pour nous préparer", se souvient le journaliste. "Pendant cette période, on s'est vus tous les jours du matin au soir. On préparait les thématiques, les sujets, les fiches, on s'interrogeait mutuellement. On se challengeait, on vérifiait tout. On déjeunait ensemble, on mangeait ensemble".
"Le minimum, c'est de connaître à fond ses dossiers", confirme à BFMTV.com Alain Duhamel, qui a présenté plusieurs débats d'entre-deux tours de la présidentielle, dont le tout premier de l'histoire de France entre François Mitterrand et Valéry Giscard-d'Estaing en 1974, puis celui entre Jacques Chirac et Lionel Jospin en 1995. Pour le journaliste, aujourd'hui éditorialiste politique pour BFMTV, il est crucial "de se faire faire des notes fiables afin de ne pas être pris au dépourvu". Mais "la chose la plus importante" à ses yeux, c'est que les deux candidats réussissent à "faire passer un message sur la vision qu'ils ont de la France à 10 ans, à 20 ans, à 30 ans".

"Ce qui peut être difficile" dans le rôle de présentateur ce soir-là, juge Alain Duhamel, "c'est de résister à la tentation de briller". Dans ce débat précis, "ce n'est pas du tout le rôle des animateurs, car ils doivent plutôt avoir un rôle de régulateur".
Au final, "c'est un débat qu'on prépare beaucoup trop", sourit aujourd'hui Christophe Jakubyszyn. "Je dirais presque que ça ne sert à rien dans le sens où si un candidat venait à se tromper sur un sujet, ça ne serait pas à nous de le reprendre mais à son adversaire".
Dans cet exercice, "notre rôle n'est pas tant un rôle de journaliste qu'un rôle d'arbitre ou d'animateur", poursuit le journaliste, aujourd'hui présentateur de la matinale de BFM Business.
"Il faut surtout respecter le temps de parole de chacun, dérouler les thématiques et leur ordre tel qu'il a été défini par les deux candidats, vérifier la stricte égalité du temps de parole. Il faut respecter tout le monde et être très neutre. Ce n'est pas un exercice journaliste extrêmement passionnant, même s'il est évidemment passionnant parce qu'il est historique... Ce que je veux dire, c'est qu'il n'est pas techniquement très compliqué pour un journaliste, du moins sur le fond."

Le match de l'entre-deux tours se joue vraiment entre les deux candidats, et les deux présentateurs n'ont en réalité que peu de place, confirme à BFMTV.com Luc Teyssier d'Orfeuil, coach et formateur en communication. "C'est sportif: c'est un combat qu'ils vont mener pendant deux heures", poursuit le spécialiste, dirigeant de Pygmalion communication, qui décrit "un vrai match, deux heures que les candidats vont mener comme des épéistes face à face, à ne rien lâcher."
"Dans l'expression, il faut être courtois et ferme", rappelle également Alain Duhamel de son côté. "Le plus compliqué, c'est de tenir bon sur la place de chacun des thèmes. La plus grande préoccupation des journalistes, c'est de veiller à ce que les thèmes qu'on a prévu aient une chance de tenir dans la durée qu'on a prévu. Parce que le débat est déjà très long, s'il dépasse, il en nuira et sera banalisé".
"Notre rôle, c'est aussi de faire attention que le débat ne dérape pas: d'abord, faire en sorte qu'il soit audible par les télespectateurs" et éviter "la cacophonie: que les deux se parlent dessus". Pour Christophe Jakubyszyn, "il est important de veiller à tenir les rennes du débat. Savoir faire preuve d'autorité et être capable de remettre les pendules à l'heure quand il le faut. Et puis faire attention car dans ce genre de débat, il peut y avoir un incident: un des deux candidats peut aller trop loin et dans ce cas-là, il faut savoir s'en rendre compte".
Il y a cinq ans, cet ultime débat avait joué en la faveur d'Emmanuel Macron: fatiguée et mal préparée, la candidate d'extrême droite avait complètement raté l'exercice. Cette fois, "le débat sera très différent de celui de 2017", prédit toutefois Alain Duhamel. "À l'époque, le débat avait été spectaculaire mais il n'avait que peu d'influence car Marine Le Pen avait perdu bien avant le débat. C'était plus ou moins plié avant le débat. C'était théatral mais ça n'était pas important".
"Là, le débat est plus important que le précédent parce que l'écart de voix dans les sondages est beaucoup moins important que la dernière fois. Ça lui donne forcément plus de poids".
"Les règles du débat sont les mêmes qu'en 2017 mais les enjeux sont un peu différents car c'est un débat plus serré, l'écart entre les deux candidats s'est beaucoup resserré", note aussi Christophe Jakubyszyn, qui s'attend à davantage de "surprises" qu'il y a cinq ans. "Les deux candidats sont plus expérimentés: c'est leur deuxième débat, ça change beaucoup de choses parce qu'ils ont l'habitude de leur adversaire. Ils seront plus aguerris, et ils l'auront sans doute mieux préparé. Et puis cette fois, Marine Le Pen se dit qu'elle pourrait être présidente, donc ça va sans doute changer la dynamique".