Présidentielle: avec 4,58%, Yannick Jadot échoue à imposer l'écologie politique dans les urnes

Meeting en plein air de Yannick Jadot à Rouen le 21 février 2022 - STEPHANE DE SAKUTIN © 2019 AFP
La "vague verte" qui avait déferlé lors des municipales en 2020 s'est transformée en une simple vaguelette. Si Yannick Jadot peut se targuer d'avoir fortement imprimé la campagne présidentielle avec sa proposition d'interdire la chasse pendant les week-ends et les vacances scolaires, le candidat écologiste n'a récolté que 4,58% des voix ce dimanche au premier tour de l'élection présidentielle, selon les résultats communiqués par le ministère de l'Intérieur sur la base de 97% des électeurs inscrits.
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Le candidat des Verts devance la socialiste Anne Hidalgo (1,74%), mais reste loin derrière "l'insoumis" Jean-Luc Mélenchon, troisième homme de cette présidentielle avec 21,95% des voix, resté au pied du podium. Il a appelé dimanche soir après les résultats à voter Emmanuel Macron au second tour pour "faire barrage à l'extrême droite".
Forte préoccupation écologique
En septembre dernier, l'enquête "Fractures françaises" d'Ipsos Sopra-Steria pour Le Monde mettait en évidence le fait que 82% des personnes interrogées souhaitaient des "mesures rapides et énergiques" pour l'environnement, quitte à devoir "modifier en profondeur leur mode de vie".
"Ce qui se joue dimanche est un vote de civilisation", clamait d'ailleurs jeudi Yannick Jadot sur France Inter, quelques jours seulement après la parution d'un nouveau rapport alarmiste du Giec: selon ces experts, les émissions de gaz à effet de serre (GES) doivent plafonner d'ici trois ans si nous voulons espérer limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d'ici la fin du siècle, conformément à l'objectif fixé par l'Accord de Paris.
Mais si les questions environnementales se taillent une part de choix parmi les préoccupations des Français, force est de constater que cela ne se retrouve pas dans les urnes. Ce sont Emmanuel Macron et Marine Le Pen que les Français ont propulsé au second tour ce dimanche, reléguant l'écologie politique de Yannick Jadot à la sixième place du scrutin.
Jadot échoue à battre le record de Mamère en 2002
Le candidat à la présidentielle ne parvient donc pas à se hisser au niveau de Noël Mamère, qui en 2002 avait obtenu 5,25% des voix, meilleur score à ce jour récolté par un candidat écologiste à une présidentielle.
Avant lui, que ce soit avec le premier candidat écologiste à la présidentielle, René Dumont en 1974, en passant par Dominique Voynet en 1995 et 2007 ou encore Eva Joly en 2012, les Verts ont sinon toujours oscillé entre 1,3% (René Dumont en 1974) et 3,8% (Brice Lalonde et Antoine Waechter en 1981 et 1988).
Les Verts ont "contribué à imposer les questions écologistes dans la société". On est passé d'une question marginale à secondaire", observait un brin désabusé Noël Mamère, joint par BFMTV.com quelques jours avant le premier tour.
Vingt ans après le record de 2002, l'ancien maire de Bègles (Gironde) n'aurait jamais imaginé que l'écologie politique soit encore cantonnée à de tels scores. S'il a quitté EELV en 2013, l'ancien député français et européen a soutenu Yannick Jadot à la présidentielle. Il se montre perplexe quant à l'écart entre la prise de conscience écologique montrée par les enquêtes d'opinion et la décorélation dans les urnes.
La semaine passée, il ne se berçait guère d'illusions: "Ça ne sera sans doute pas à la hauteur des municipales", diagnostiquait-il. Dont acte.
Pas de nouvelle "vague verte"
À l'époque, en 2020, on avait parlé d'une "vague verte" pour évoquer la montée en puissance d'EELV. Le parti avait conquis plusieurs villes d'envergure, notamment Bordeaux, Lyon, Tours, Poitiers, Strasbourg ou encore Annecy. L'année suivante, aux régionales, si aucune région n'avait basculé dans l'escarcelle verte, le parti avait enregistré des résultats encourageants. "L'écologie sort renforcée", s'était même félicité Yannick Jadot au micro de RTL.
Aux élections européennes en 2019, scrutin proportionnel où les écologistes enregistrent traditionnellement de bons scores, la liste - portée là aussi par Yannick Jadot - avait récolté 13,5% des suffrages.
"Le vote aux européennes n'est pas prédictif du vote ailleurs", mettait en garde Daniel Boy, politologue spécialiste de l'écologie politique, juste avant le premier tour.
"La fin du mois contre la fin du monde"
Pour le chercheur émérite au Cevipof, la faiblesse des intentions de vote obtenues par Yannick Jadot peut tenir à plusieurs facteurs. "Les électeurs ne sont pas prêts à considérer un candidat écologiste président de la République", avance-t-il.
"On admet un maire écologiste, un député européen écologiste, mais pas au niveau national, même aux législatives", résume Daniel Boy. Entre 2012 et 2016, un groupe écologiste existait à l'Assemblée nationale et était présidé par Cécile Duflot. Mais en 2017, aucun candidat investi par EELV n'était parvenu à se faire élire au Palais-Bourbon.
Autre raison avancée par Daniel Boy: la thématique du pouvoir d'achat qui s'est imposée comme un sujet incontournable de la campagne, avec une forte inflation et les inquiétudes afférentes en toile de fond. Fin janvier, selon un sondage Elabe pour BFMTV, c'est déjà cette thématique qui constituait la principale préoccupation des Français, avec l'écologie à la quatrième place.
"Le pouvoir d'achat, c'est l'urgence: la fin du mois contre la fin du monde", oppose Daniel Boy.
La "concurrence" Mélenchon
Et puis il y a Jean-Luc Mélenchon, "qui parle beaucoup de réchauffement climatique, si bien que les associations placent les programmes au même plan", juge-t-il, voyant-là "une concurrence un peu inattendue".
Depuis ces dernières semaines et le début de la guerre en Ukraine, Yannick Jadot avait d'ailleurs considérablement durci le ton face à son rival insoumis - l’accusant, entre autres, de "complaisance" avec Vladimir Poutine. "Ce n’est plus du débat politique, c’est de l’injure", déplorait un proche du candidat LFI la semaine dernière. "Ça vire à l’obsession."
Le mécanisme de vote utile à gauche a pu finalement bénéficier à l'insoumis, au détriment de l'écologiste, estime Daniel Boy. Symbole de cette réflexion: Christiane Taubira, dont les écologistes ont un temps cru pouvoir bénéficier du soutien. Début février, quelques membres des équipes de l'ex-ministre et de Yannick Jadot avaient organisé une rencontre à Romainville.
"L’accession de l’extrême-droite au pouvoir est un risque auquel nous ne pouvons nous résoudre", a finalement commenté l'ancienne garde des Sceaux juste avant le premier tour, suscitant un certain agacement dans l'entourage de Yannick Jadot. "Dès le premier tour je choisis de lui barrer la route. Le candidat de gauche en situation de le faire est aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon."
"Travailler au jour d'après"
En dépit d'un score potentiellement décevant, le moral était officiellement bon au sein d'EELV, quelques heures avant la fin de la campagne officielle. "C'est la meilleure campagne présidentielle que les écolos aient fait, on est rassemblés", jugeait Sandra Regol, secrétaire nationale adjointe du parti, pointant qu'"en 2016, tout le monde disait que le parti était crevé."
Rassemblés, mais avec des éclats de voix discordantes. Certains ont ainsi reproché à Yannick Jadot d’être trop lisse, trop fade. "Il a fait le choix de la constance et du sérieux", nous disait son directeur de campagne en février. "Il n’est pas dans la transgression."
Sandrine Rousseau a été l'une de ces voix. La finaliste malheureuse de la primaire écologiste a ainsi été démise de ses fonctions au sein de l'équipe de campagne début mars après avoir vertement critiqué la stratégie du candidat, dans des propos rapportés par Le Parisien.
"Nos grands stratèges sont juste nuls, je deviens folle, ils se plantent sur tout", avait-elle lancé lors d'un déjeuner avec des journalistes auquel RMC avait pu assister.
L'ex-rivale de Yannick Jadot dénonçait même le changement de look du candidat: "Des mecs avec des cravates, ça donne l'image qu'on n'est pas capables de résister à un système." Malgré tout, l'écoféministe a assuré jusqu'au bout qu'elle appelait à voter pour Yannick Jadot.
"C'est une campagne solide. On sédimente, on structure une offre politique pour construire la suite", abondait tout de même le député européen David Cormand avant le premier tour, dans la même veine que Sandra Regol. "Maintenant, c'est au jour d'après qu'il faut travailler", exhorte Noël Mamère. Car pour l'ancien candidat à la présidentielle, "si ce ne sont pas les politiques qui imposent les questions écologistes dans le débat, ce sont les catastrophes qui le feront".