"On a tout gâché": pour la macronie, un premier tour des législatives au goût amer
Les ténors de la majorité font grise mine ce dimanche soir. La coalition Ensemble, qui réunit Renaissance (ex-LaREM), le Modem, Horizons et Agir, a récolté 25,75% des voix au premier tour des élections législatives, selon les estimations réalisées par Elabe pour BFMTV et L'Express en partenariat avec SFR. En 2017, le parti d'Emmanuel Macron avait pourtant fait à lui seul 28,21%. Pire, la majorité présidentielle se retrouve talonnée par la Nupes (Nouvelle union de la gauche populaire, écologique et sociale) et ses 25,59%.
"On avait de l'or entre les mains avec Marine Le Pen qui avait baissé les bras avant même de se battre et Jean-Luc Mélenchon qui est un repoussoir pour les électeurs modérés. On a tout gâché, on n'a pas pris le temps de se battre", se lamente une conseillère ministérielle, passée par l'Élysée sous François Hollande auprès de BFMTV.com.
Absence de campagne de la macronie
Au premier banc des accusés: la campagne atone, volontairement souhaitée par le président puis finalement subie. À peine nommés, presque un mois après la réélection d'Emmanuel Macron, Élisabeth Borne et ses ministres ont été contraints à un relatif silence dû au devoir de réserve imposé aux membres du gouvernement.
Au-delà de difficultés certaines pour recruter à Matignon, la stratégie laissait espérer la possibilité d'éviter toute bévue à quelques semaines des législatives. "Dans la majorité, il y avait une obsession: celle d'éviter la gaffe de la TVA sociale", confiait il y a quelques semaines un ancien Premier ministre - une référence à une sortie malheureuse de Jean-Louis Borloo en 2007, qui aurait à l'époque fait perdre des dizaines de sièges à la droite.
"D'une certaine façon, le président voulait laisser les oppositions boxer dans le vide avant le premier tour", avance encore un député de l'aile gauche.
Problème: la stratégie s'est retournée contre la majorité présidentielle, empêchant de fait les ministres de monter au créneau face aux mauvaises nouvelles qui se sont accumulées.
Des ennuis en pagaille
Quelques heures à peine après la nomination de Damien Abad au ministère des Solidarités, Mediapart révèle que deux femmes l'accusent de viol, ce qu'il nie. Après avoir hésité sur la stratégie à adopter, l'Élysée a reconnu avoir eu vent d'une plainte classée sans suite, sans en connaître précisement le contenu tandis qu'Élisabeth Borne a affirmé n'avoir été au courant de rien.
À peine quatre jours plus tard, la soirée chaotique de finale de Ligue des champions au Stade de France s'est déroulée sous des millions de regards avec une gestion jugée catastrophique par Emmanuel Macron. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin a été pillonné par les oppositions, Marine Le Pen l'accusant de "mentir éhontément" en blâmant des dizaines de milliers de supporters britanniques sans billet, quand Jean-Luc Mélenchon y a vu "son échec".
"On a donné une image désastreuse, comme si on était incapable de gérer une crise. On repassera pour la dream team", soupirait un sénateur macroniste une semaine avant le premier tour.
Le tout sur fond d'inflation record avec une hausse des prix de 5,2% sur un an, du jamais-vu depuis 1985.
Macron, "gonflé" par les législatives?
Face aux grains de sable dans la machine gouvernementale, Emmanuel Macron est remonté tardivement en première ligne, entre un déplacement à Cherbourg sur les urgences, l'éducation à Marseille, un entretien dans la presse régionale, un saut en Seine-Saint-Denis et enfin un déplacement dans le Tarn. Mais pas de quoi convaincre les électeurs.
"Les Français ont digéré les premiers pas du second quinquennat et se demandent ce que fait Emmanuel Macron de ses journées. En dehors de la tactique électorale, on a l'impression que cette élection le gonfle et ce n'est pas quelques visites qui changent ce sentiment", décrypte Gaspard Gantzer, conseiller en communication de François Hollande à l'Élysée et ancien camarade à l'ENA du président.
L'absence de direction de campagne alors que Stanislas Guerini, le patron de Renaissance (ex-LaREM) a été nommé au gouvernement est également pointée du doigt.
"On a un parti qui a été incapable de présenter un programme pour cette élection, sans aucun leader", tranche Émilie Cariou, élue députée de la Meuse sous l'étiquette En marche en 2017 avant de quitter la majorité présidentielle en 2020.
"À part la retraite à 65 ans qui n'est pas franchement motivante, qu'est-ce que les marcheurs ont porté pendant ces dernières semaines? Rien", tranche l'élue, non candidate à sa succession.
Pas de stratégie face à Mélenchon
Mise en place dès l'entre-deux-tours, la stratégie électorale de Jean-Luc Mélenchon, qui a appelé les Français à "l'élire Premier ministre", n'a pas fait non plus de cadeau à la majorité. Après la désunion de la présidentielle, le leader insoumis a réussi le tour de force d'orchestrer le ralliement des écologistes, des socialistes et des communistes sous la bannière de la Nupes, la Nouvelle union populaire écologique et sociale.
"On a été pilonné pendant des semaines, d'abord par cette histoire de Matignon puis par l'alliance historique de la gauche. Et on s'est contenté de laisser regarder les trains'", analyse un député Modem.
Certains en macronie regrettent également les propos d'Emmanuel Macron qui auraient, selon eux, crédibilisé le scénario mis en avant par le patron de la France insoumis.
"Le président choisit la personne qu’il nomme Premier ministre en regardant le Parlement. Aucun parti politique ne peut imposer un nom au président", a-t-il déclaré dans la presse régionale le 4 juin dernier, au moment où plusieurs sondages donnaient la Nupes et Renaissance au coude-à-coude dans les intentions de vote au premier tour des législatives.
"C'était une vraie connerie d'aller sur ce terrain-là. Ça accrédite l'idée que Macron a peur et qu'en plus il serait mauvais joueur en cas de victoire de la Nupes. Et on refait de la pub à l'idée de Mélenchon Premier ministre", regrette encore un député de la majorité.
Des attaques trop tardives contre la Nupes
Seul moment relativement fort de la campagne: la passe d'armes entre la majorité présidentielle et Jean-Luc Mélenchon après son tweet jugeant que "la police tue" lundi dernier.
Élisabeth Borne, relativement discrète depuis son arrivée à Matignon, s'est émue de ces propos, tout comme Éric Dupond-Moretti, Agnès Pannier-Runacher ou encore Gérald Darmanin.
"On a commencé à faire de la politique à cinq jours du premier tour. On avait un boulevard pourtant avec les outrances de la Nupes", regrette un cadre du parti.
À charge désormais pour la macronie de convaincre d'ici le 19 juin et de tenter d'obtenir malgré tout la majorité absolue avec 289 sièges. Pour l'heure, rien n'est acquis: selon notre estimation Elabe réalisée pour BFMTV et L'Express avec SFR, la coalition Ensemble pourrait obtenir de 260 à 300 députés.