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Élisabeth Borne à Matignon: le récit des 72 heures qui ont fait pencher la balance en sa faveur

Elisabeth Borne à Matignon le 16 mai 2022

Elisabeth Borne à Matignon le 16 mai 2022 - CHRISTIAN HARTMANN / POOL / AFP

Pour remplacer Jean Castex à Matignon, Emmanuel Macron a hésité jusqu'au bout entre Catherine Vautrin et celle qu'il a finalement choisie, Elisabeth Borne. En coulisses, l'aile gauche et les figures de la droite de la macronie ont croisé le fer pour gagner l'arbitrage final du président.

La balle aurait pu passer d'un côté ou de l'autre du filet. C'est finalement Élisabeth Borne qui a remporté le match en parvenant à décrocher Matignon ce lundi soir. Mais l'hypothèse Catherine Vautrin, la présidente du Grand Reims, a tenu la corde jusque dans les dernières heures. BFMTV.com vous raconte comment la balance a finalement penché en faveur de l'ancienne ministre du Travail.

Un profil qui colle à la réforme des retraites

Catherine Vautrin, figure de la droite des années 2000, est présente dans l'esprit d'Emmanuel Macron pour devenir sa cheffe de gouvernement dès le début de sa campagne pour sa réélection.

Cette sexagénaire a pour elle une excellente maîtrise des questions sociales, un atout pour faire passer l'allongement de l'âge de départ à la retraite. D'abord secrétaire d'État à l'Intégration et l'Égalité des chances en 2002, la Rémoise recupère ensuite le portefeuille des Personnes âgées avant de finalement devenir ministre déléguée à la Cohésion sociale et de la Parité en 2005.

Vendredi dernier, elle dit oui à Matignon. Il faut dire qu'elle dispose d'un autre atout: son expérience d'élue locale. Alors qu'Emmanuel Macron a promis une "méthode refondée" pour son second quinquennat, promettant de faire la part belle aux collectivités, celle qui a commencé sa carrière dans les années 1980 aux côtés d'un assureur américain a l'avantage de diriger une métropole depuis 2014.

Problème: sa probable nomination rue de Varenne fuite dans la presse. Certains au sein du gouvernement avancent que la faute en revient à Nicolas Sarkozy, à qui Catherine Vautrin se serait confiée. Il faut dire que les deux se connaissent bien. Elle fut sa porte-parole pendant la campagne de la primaire de la droite en 2016.

"Passée par Chirac, Copé, Sarkozy"

Samedi dernier, alors que la présidente du Grand Reims se rend rue de Varenne pour échanger avec Jean Castex, une levée de bouclier s'enclenche. À gauche, on ne goûte guère l'éventualité de sa nomination.

"Elle est passée par Chirac, Copé, Sarkozy... Si on voulait offrir des sièges à l'union de la gauche, on ne s'y prendrait pas autrement", juge ainsi un député Renaissance (ex-LaREM), passé par le Parti socialiste, auprès de BFMTV.com.

Autre sujet qui coince: son engagement aux côtés de la Manif pour tous en 2013 et en 2014 lors du mariage pour les couples de même sexe.

"Au secours. On va de plus en plus à droite, très loin des espoirs suscités à Marseille pendant le meeting de l'entre-deux-tours", s'émeut encore un élu de Territoires de progrès, qui rassemble les cadres de la macronie classés à gauche.

Plusieurs poids lourds de la majorité font également part de leur stupéfaction auprès d'Emmanuel Macron. Mais la droite de la macronie pousse à son avantage, à l'instar de Thierry Solère, le conseiller politique du président, issu des bancs Les Républicains.

Dimanche après-midi, à son retour d'Abou Dhabi, Emmanuel Macron "fait un grand tour de piste pour voir l’étendue des réactions sans se laisser intimider", explique l'un des proches de la présidence à BFMTV.

Pas de fibre écologique

De quoi faire remonter aux oreilles du chef de l'État une vague de scepticisme. Le manque de fibre environnementale de Catherine Vautrin, en plus de son profil à droite, déplaît parmi les cadres du parti.

"C'est vrai qu'elle n'a pas de sensibilité écologique et que ce n'est pas son domaine de prédilection", reconnaît d'ailleurs Marc-Philippe Daubresse, ex-ministre délégué au Logement et à la ville, qui a travaillé à ses côtés sous Jacques Chirac, auprès de BFMTV.com.

Emmanuel Macron a pourtant promis un futur chef de gouvernement "chargé de la planification écologique" pour mettre "l'environnement au cœur des années à venir".

Le précédent Edith Cresson, nommée en 1991, et contestée dès sa nomination, est également dans toutes les têtes.

"Si on nomme une Première ministre qui fait débat dès le début, c'est le président qui risque d'être affaibli", confie un membre de l'Élysée.

Borne, très appréciée de Kohler

De quoi faire hésiter le président et redonner de la vigueur à l'hypothèse Élisabeth Borne. Excellente connaisseuse des sujets environnementaux et des syndicats, il faut dire que celle qui est alors ministre du Travail, après avoir été ministre des Transports et de la Transition écologique, coche les cases.

Mieux encore: elle est très appréciée d'Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Élysée en qui Emmanuel Macron a toute confiance. La polytechnicienne a croisé son chemin pour la première fois lorsqu'elle était la directrice de cabinet de Ségolène Royal à l'Environnement, sous François Hollande, et que lui travaillait à Bercy avec le futur président Macron. Pendant des semaines, ils ont travaillé main dans la main sur l'épineux sujet des autoroutes.

"Elle est toujours restée une piste sérieuse. Le président avait envie de faire un coup politique qui n'a finalement pas fonctionné", décrypte encore un cadre du parti.

Les débuts d'un affrontement

Enfin, ce lundi, le président tranche et choisit finalement Elisabeth Borne pour remplacer Jean Castex. Preuve que l'Élysée a hésité jusqu'au bout: la démission de l'ancien maire de Prades, prévue pour 11 heures, n'arrivera finalement qu'à 16 heures.

Sur les bancs de la macronie, certains sont convaincus que l'affrontement à distance entre l'actuelle Première ministre et Catherine Vautrin n'est que le début de la confrontation des deux lignes politiques au sein de la majorté.

"On a une ligne à gauche, qui a été présente pendant tout le quinquennat, qui n'a pas toujours réussi à se faire entendre ces dernières années et qui compte bien profiter du bon score de Jean-Luc Mélenchon au premier tour. Mais on sait bien que les poids lourds de la droite comme Bruno Le Maire ou Gérald Darmanin ne vont pas se laisser dépouiller sans rien dire", décrypte un député socialiste.

Catherine Vautrin pourrait d'ailleurs récupérer un ministère d'ampleur dans les prochains jours.

Benjamin Duhamel, Agathe Lambret, Anne Saurat-Dubois, Mathieu Coache, Alexis Cuvilliers et Marie-Pierre Bourgeois