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De De Gaulle à Macron: les présidents de la République face à la question corse

François Mitterrand et Charles Pasqua en Corse, en 1993.

François Mitterrand et Charles Pasqua en Corse, en 1993. - DSK / AFP

Emmanuel Macron est actuellement en Corse. Alors que les réclamations des nationalistes corses sont désormais incontournables dans le débat public, elles n'ont pas toujours suscité les mêmes réactions des chefs de l'Etat sous la Ve République.

Silence sur les particularismes corses, fermeté et intransigeance ou détente et gestes d'ouvertures. La réponse de l'Etat à ce qu'on a longtemps appelé le "problème corse" a beaucoup varié sous la Ve République. Emmanuel Macron est actuellement en Corse pour une visite de deux jours lors de laquelle il a déjà évoqué le souvenir du préfet Erignac, assassiné sur l'île il y a vingt ans. Des décennies d'antagonisme entre l'administration française et le nationalisme corse donnent sa teinte à ce discours. 

Pourtant, cette opposition n'affleure que récemment dans la parole présidentielle. Elle n'était pas de mise, par exemple, sous le général De Gaulle. 

De Gaulle, un "lien personnel" avec la Corse 

Avant même de devenir le président de la République, ou plutôt de le redevenir après qu'il a quitté la tête du pays en 1946, le général De Gaulle évoque un lien "personnel" tissé entre lui et les Corses. En 1948, sur l'île de Beauté où l'on ne connaît pas encore le "nationalisme" mais où l'on parle déjà d'un "régionalisme" désireux d'autonomie, il déclare que la Corse est un "endroit où l'on discerne le mieux ce qu'est la grandeur française", comme le rappelait Corse Matin. Comment expliquer ce rapport apaisé du Général De Gaulle avec la Corse, que son passage à l'Elysée entre 1958 et 1969 ne démentira pas? 

L'historien spécialiste de la Corse Antoine Franzini, auteur de Un Siècle de révolutions corses, éclaire BFMTV.com: "Tout d'abord, la Corse avait été le premier département métropolitain libéré pendant la guerre. Et puis, elle est le point de départ de sa prise de pouvoir en 1958 car un certain nombre de ses fidèles se sont réunis à ce moment-là." L'historien y voit aussi une raison remontant à l'avant-guerre. "A la fin des années 30, de nombreux Corses ont pris parti contre l'irrédentisme corse, et contre le fascisme italien. Il y a alors un lien très important avec la République française. De manière générale, les départements ruraux pauvres ont historiquement été des terres très républicaines", prolonge-t-il. 

La fermeté de Giscard d'Estaing 

Graduellement, les tensions entre le "Continent" et l'île vont monter tout au long des années 60 et 70. Le retour en Corse des nombreux insulaires qui avaient participé à l'administration coloniale, et la renaissance d'un discours régionaliste, longtemps disqualifié par la proximité de certains de ses cadres avec le fascisme italien pendant la guerre, y conduisent. 

Ce n'est pas sous Georges Pompidou mais sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing que les choses se décantent. Après leur retour en Corse, les pieds-noirs locaux ont obtenu beaucoup de terres agricoles, et ont commencé, pour certains, à chaptaliser le vin, au grand dam de leurs semblables locaux. En août 1975, quelques dizaines d'entre eux décident d'occuper la cave d'un exploitant pied-noir à Aléria. La réponse des pouvoirs publics est alors impressionnante: 1.200 gendarmes et CRS, le tout appuyé, notamment par des blindés. L'affaire se soldera par une fusillade meurtrière. "Cette réponse folle du ministre de l'Intérieur de Valéry Giscard d'Estaing, Michel Poniatowski, a engendré la création du FLNC", observe Antoine Franzini. "Il a été fondé par des jeunes scandalisés par cette histoire, issus aussi bien de l'extrême-gauche et de l'extrême-droite". 

La détente sous Mitterrand 

L'alternance va permettre de lâcher du lest. A l'Elysée, François Mitterrand remplace Valéry Giscard d'Estaing et l'option de la détente se substitue à la fermeté. "Il y a eu l'amnistie de nombreux prisonniers politiques au début du mandat de François Mitterrand, et la décentralisation a également été un élément très important de détente", note l'historien.

Dans la foulée des lois du ministre de l'Intérieur Gaston Defferre, la Corse parvient à un statut de collectivité à statut unique, et voit naître une Assemblée de Corse. 

Sous Chirac, violences et processus de Matignon

Ces négociations ne font pas disparaître les points d'achoppement, loin de là. Et en 1998, le préfet de la République sur l'île, Claude Erignac, est assassiné à Ajaccio. Jacques Chirac est alors président. En 1999, des paillotes brûlent au sud du Golfe d'Ajaccio, prémices d'une affaire politico-judiciaire, entraînant notamment la chute du successeur de Claude Erignac, Bernard Bonnet. 

Mais la présidence Chirac correspond aussi au lancement, par le Premier ministre de cohabitation Lionel Jospin, du processus de Matignon en 1998. Ce processus aboutit à une loi, le 22 janvier 2002, qui redéfinit le statut de la Corse, réglant notamment la place et l'enseignement de la langue corse dans le quotidien insulaire. La région y gagne davantage d'autonomie:

"Dans le respect de l'article 21 de la Constitution [pouvoir réglementaire du Premier ministre], et pour la mise en oeuvre des compétences qui lui sont dévolues (…), la collectivité territoriale de Corse peut demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités de l'île, sauf lorsqu'est en cause l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental", est-il écrit dans ce texte qui soulève de nombreuses réserves chez Jacques Chirac qui dénonce en 2002, se souvient L'Obs, "un rafistolage institutionnel qui placerait la Corse en marge de la République". 

De Sarkozy à Hollande, la collectivité à statut particulier 

A une dizaine d'années de distance, les réponses apportées par Nicolas Sarkozy et François Hollande donnent l'impression de se faire écho. En 2003, Nicolas Sarkozy, qui n'est encore que ministre de l'Intérieur, est à la manoeuvre derrière un projet de révision constitutionnelle prévoyant la fonte en une collectivité unique des deux départements corses. Mais, en juillet, les Corses choisissent de retoquer la proposition. 

Ce n'est que partie remise car, sous François Hollande, la loi NOTRe du 7 août 2015 accouche d'une Corse à l'administration redessinée. C'est en vertu de cette loi que le 1er janvier, la Corse est devenue une collectivité à statut particulier "en lieu et place de la collectivité territoriale de Corse et des départements de Corse du Sud et de Haute-Corse", est-il énoncé.

Robin Verner