Affaire Jouyet: Fillon peut-il y perdre des plumes?

François Fillon et Nicolas Sarkozy en novembre 2010 à Paris. - Miguel Medina - AFP
François Fillon contre-attaque. Face aux révélations du Monde, selon lesquelles il aurait tenté de faire pression sur Jean-Pierre Jouyet pour accélérer des procédures judiciaires contre Nicolas Sarkozy, l'ancien Premier ministre dément et annonce qu'il va porter plainte en diffamation contre le quotidien et contre le secrétaire général de l'Elysée. Malgré ses protestations, François Fillon pourrait sortir affaibli de cette nouvelle affaire.
> Une popularité en berne
Cette affaire tombe mal pour François Fillon. Car dans la course à la primaire pour 2017, l'ancien Premier ministre était déjà en retard. "Il était en 2012 le candidat naturel de la droite pour succéder à Nicolas Sarkozy", rappelle Jean-Daniel Lévy, de l'institut Harris Interactive. "Il ne l'a pas été pour diverses raisons: les conditions de la campagne pour la présidence de l'UMP face à Jean-François Copé n'ont pas été bonnes. Et puis les Français ont été troublés par ses déclarations, notamment sur le Front national" (François Fillon avait déclaré en 2013 qu'en cas de triangulaire avec le FN et le PS, il appellerait à voter pour 'le moins sectaire des deux').
François Fillon a perdu son statut de candidat naturel. Et les propos qu'on lui prête pourraient plomber une popularité en berne.
> "Taper" sur Sarkozy: le mauvais choix?
Qu'a dit François Fillon à Jean-Pierre Jouyet? A-t-il réellement sommé le secrétaire général de l'Elysée de "taper" sur Nicolas Sarkozy? "Dans cette affaire, on ne peut rien prouver: ni qu'il est innocent, ni qu'il est coupable", rappelle le politologue Thomas Guénolé. "Donc cela peut lui être préjudiciable: car si on ne peut prouver son innocence, ce qu'il lui reste, c'est un climat de suspicion qui existe en France envers tous les responsables politiques".
Or, le fait de viser Nicolas Sarkozy pourrait aggraver la situation. "Le discours à la Thatcher de François Fillon ne prend pas. Si, en plus, il joue contre Sarkozy", qui devrait prendre la tête du parti le 29 novembre, "ça sera mortifère pour lui", analyse Jean-Daniel Lévy. Mais il rappelle aussi que "François Fillon n'est pas perçu comme un 'magouilleur' qui utilise la politique pour servir ses intérêts personnels". Une donnée que l'intéressé utilise d'ailleurs pour sa défense: "En trente ans, mon nom n'a jamais été associé à une affaire ou un comportement contraire à l'éthique", affirme-t-il dimanche dans le Journal du dimanche.
> La ligne de défense
Face aux révélations du Monde et au revirement de Jean-Pierre Jouyet, François Fillon a décidé de tenir bon. Dimanche soir sur TF1, il a accusé Jean-Pierre Jouyet de "mensonge" et réclamé la publication de l'enregistrement. "S'il n'avait pas pris la parole, il aurait pu perdre beaucoup, car il aurait été perçu comme celui qui divise la droite. Or toute personnalité politique qui donne l'impression de jouer contre son camp est mal perçue en France", souligne Jean-Daniel Lévy. "Mais si les faits étaient avérés, il serait donc perçu comme un diviseur, et ce serait préjudiciable".
"S'il dit vrai, il faut qu'il s'en tienne à sa ligne de défense depuis le début", renchérit Thomas Guénolé. "Mais s'il en arrivait à avouer un mensonge, ce serait la fin de sa carrière politique. Son intérêt, c'est donc de conserver sa ligne de défense actuelle", qui consiste à démentir les propos qui lui sont prêtés. Ses proches, eux, tentent d'éteindre l'incendie avant qu'il ne s'étende davantage, et évoquent "une machination" contre leur candidat.
> Peut-il s'en remettre?
François Fillon conserve-t-il une chance pour 2017? L'ancien Premier ministre "poursuit imperturbablement son projet pour la France", disent ses soutiens. Il se trouve face à Alain Juppé et Nicolas Sarkozy comme rivaux directs pour la primaire de 2016. "Pour l'instant, il est troisième dans les sondages, loin derrière Alain Juppé et Nicolas Sarkozy", rappelle Thomas Guénolé. "Pour qu'il ait une chance, il faudrait que l'un des deux ne soit plus dans la course".
Or il reste à Nicolas Sarkozy des obstacles sur la route de sa reconquête: il est cité dans différentes affaires judiciaires, et il est impliqué, directement ou indirectement, dans des guerres intestines à l'UMP. "Si Nicolas Sarkozy n'était plus dans la course, François Fillon serait le challenger d'Alain Juppé, et plus l'outsider", explique Thomas Guénolé. Mais les choses ne seraient pas gagnées pour autant. Et désormais, le nom de François Fillon, déjà associé à la guerre avec Jean-François Copé, l'est aussi dans une affaire politico-judiciaire. "C'est la première fois, et c'est négatif", ajoute le politologue.