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Propos du patron de la police: le monde de la justice y voit des paroles "choquantes" et "préoccupantes"

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Le monde judiciaire a réagi avec inquiétude aux propos du directeur général de la police nationale dénonçant le placement en détention provisoire d'un policier marseillais soupçonné de violences. Magistrats et avocats dénoncent une nouvelle atteinte à l'indépendance de la justice.

"L'atteinte à la séparation des pouvoirs monte encore d'un cran." Les magistrats et les avocats réagissent avec inquiétude aux propos de Frédéric Veaux. Le directeur général de la police nationale a déclaré souhaiter la libération du policier de la BAC marseillaise mis en examen et placé en détention provisoire, soupçonné d'avoir commis des violences sur un jeune homme en marge des émeutes qui ont eu lieu début juillet.

"Ces propos sont une atteinte assez inédite à la séparation des pouvoirs, à l'indépendance de la justice et au principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant la justice", résume auprès de BFMTV.com Nelly Bertrand, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature.

La prise de parole d'Emmanuel Macron, garant de la séparation des pouvoirs était alors très scrutée par le monde de la justice. Et alors que le président du tribunal à Marseille a appelé à "la responsabilité de chacun" dans cette affaire, le président de la République a dit "entendre l'émotion" du monde policier tout en rappelant que "nul en République n'est au-dessus des lois". Quelques minutes plus tard, son ministre de la Justice enfonçait le clou.

Une détention provisoire définie par la loi

Jeudi dernier, quatre policiers ont été mis en examen après 48 heures de garde à vue dans les locaux de l'Inspection générale de la police nationale. Ils sont soupçonnés d'avoir tiré au LBD sur un jeune homme puis de l'avoir tabassé dans la nuit du 1er au 2 juillet dans une rue de Marseille alors qu'ils étaient déployés dans le cadre de la gestion des émeutes. L'un des policiers, qui serait l'auteur du tir de LBD, a été placé en détention provisoire. Une mesure qui ne présage en rien de la suite de la procédure ni sur une éventuelle condamnation et qui ne remet pas en cause le principe de présomption d'innocence.

"Seule l'institution judiciaire est compétente pour déterminer si une personne doit être placée ou non en détention provisoire, sur les fondements de la loi", rappelle Nelly Bertrand, la secrétaire générale du Syndicat de la magistrature. Des critères sont définis par l'article 144 du code de procédure pénale, comme la garantie de représentation, empêcher des pressions ou protéger le mis en examen. Dans l'affaire de Marseille, c'est aussi d'empêcher la concertation avec d'autres personnes qui peut avoir motivé la décision des juges.

"Le placement en détention provisoire ne dépend pas du statut de la personne mis en cause", martèle encore Nelly Bertrand.

"Il n’appartient qu’aux juges et à l’institution judiciaire de déterminer si une personne doit être placée en détention provisoire après avoir apprécié la liberté et l’éventuel contrôle judiciaire", abonde Me Arié Alimi, avocat pénaliste et membre de la Ligue des droits de l'homme. Dans la procédure ouverte à Marseille pour "violences commises par personne dépositaire de l'autorité publique", trois des quatre policiers mis en examen ont d'ailleurs été remis en liberté sous contrôle judiciaire.

"Régime d'exception"

Le placement en détention provisoire a été "la goutte d'eau", selon les syndicats policiers, provoquant un mouvement de colère chez leurs collègues. Ils réclament notamment une "juridiction spécialisée" composée de magistrats qui connaîtraient la réalité de leur fonction. Pour Frédéric Veaux, "un policier n'a pas sa place en prison, même s'il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail". Une prise de position qui tendrait à estimer que les policiers sont poursuivis à partir d'actes relatifs à leur mission et non pour des dérapages ou des bavures.

"D’un point de vue juridique, cette parole est choquante puisqu’on demande tout bonnement un régime d’exception pour des personnes qui ont peut-être tué, peut-être blessé, peut-être torturé, pour le simple fait qu’elles exercent le métier de policier", déplore Me Alimi.

Le policier auteur du tir mortel sur Nahel, dont la mort a été à l'origine des émeutes début juillet, a lui aussi été placé en détention provisoire à la suite de sa mise en examen pour "homicide volontaire". Dans son cas, les juges ont estimé que son tir ne relevait pas de la légitime défense, invoquée par le mis en cause. "Aujourd'hui, la vidéo de l'interpellation de Nahel n'a pas été contredite par des éléments ou des témoignages mettant en cause la nécessité ou la proportionnalité" du tir du policier, note Me Vincent Brengarth.

"Dans ces affaires, les policiers ne bénéficient d'ailleurs d'aucune circonstance aggravante, poursuit encore l'avocat spécialisé dans la défense des libertés publiques. Dans la pratique, généralement, le placement en détention provisoire est très rare par rapport au nombre de plaintes qui peuvent être déposées." Pour lui, les peines prononcées à l'encontre de policiers "montrent qu'on ne peut pas parler de situation défavorable" pour les forces de l'ordre.

Remise en cause "des principes fondamentaux de notre Etat de droit" pour l'Union syndicale de la magistrature, "coup d'Etat symbolique" pour Me Alimi, "forme d'ingérence" dans une procédure judiciaire, pour Me Brengarth, la position exprimée par Frédéric Veaux, et soutenue par le préfet de police de Paris Laurent Nuñez, est d'autant décriée qu'elle est exprimée par un directeur.

Ce constat était jusqu'alors exprimé par les syndicats les plus à droite de la représentation syndicale des policiers. En mai 2021, lors d'une manifestation de policiers devant l'Assemblée nationale après la mort de l'un de leurs collègues, un responsable syndical d'Alliance avait scandé "Le problème de la police, c’est la justice".

"Pour la première fois on a des autorités policières, qui relaient une parole exécutive, dans l’objectif de prendre la place de l’autorité judiciaire et peut-être même d’intimider le pouvoir législatif à changer la loi en créant une loi spéciale et d’exception pour les policiers", dénonce Me Alimi. Son confrère Me Brengarth y voit lui une "logique de confrontation" entre police et justice, là où ces deux insitutions sont "complémentaires", qui consoliderait le fait que "le corps judiciaire est déjà fragilisé par une crise de confiance" de la part des citoyens.

"Les services de police et la justice coopèrent au quotidien et leurs missions sont essentielles dans un Etat de droit (... ) Chercher à les opposer, dans une logique de surenchère destructrice, est non seulement stérile mais dangereux et sape les fondamentaux de notre société", conclut dans un communiqué l'Union syndicale des magistrats.
https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV