"J'attends la vérité": les victimes de Joël Le Scouarnec témoignent au procès de l'ex-chirurgien

Dépression, idées suicidaires, vie et famille brisées: les premières des 299 victimes du pédocriminel Joël Le Scouarnec auditionnées par la cour criminelle du Morbihan ont expliqué ce jeudi 6 mars l'impact des violences sexuelles infligées lorsqu'elles étaient enfants par l'ex-chirurgien, qui a pour la première fois reconnu avoir violé trois d'entre elles.
"J'espère que ça va clore toutes ces années de mal-être pour pouvoir enfin commencer à vivre", a lancé la première, Orianne (elle a autorisé la presse à divulguer son prénom), violée "plusieurs fois" quand elle avait dix ans dans sa chambre d'hôpital.
"Ça fait 33 ans que j'attends ce moment", dit-elle courageusement. "Il a brisé ma vie et je veux qu'il m'entende."
"On n'écoute pas le cœur d'un malade en caressant ses seins"
Hospitalisée à la clinique de Loches (Indre-et-Loire) pour une appendicectomie, Orianne explique comment le chirurgien, dès le premier jour, avait fait déplacer un patient qui partageait sa chambre afin qu'elle y reste seule, à sa merci.
Elle n'a que dix ans et demi à l'époque, mais sait qu'"on ne (mesure) pas la fièvre en insérant un doigt dans le vagin" et qu'"on n'écoute pas le cœur d'un malade en caressant longuement ses seins", souligne-t-elle par visioconférence. Orianne décrit comment le médecin lui "a donné des gouttes" pour la faire dormir mais "je savais très bien ce qui allait se passer."
"Là je vais avoir 44 ans et depuis l'âge de 10 ans et demi ça me hante tous les jours." "J'avais la sensation de ne pas pouvoir bouger, ne pas pouvoir crier... Mais je sentais très bien ses mains partout sur moi", souffle la victime.
"Vous ne me l'enlèverez pas de la tête, je suis persuadé qu'elle savait", déclare-t-elle encore à propos de l'ex-femme de Joël Le Scouarnec. À son retour dans sa famille, elle tente de parler à ses parents "mais personne ne m'a crue, personne ne m'a comprise."
Le médecin demande "pardon"
Sombrant dans la dépression, vers l'âge de 13 ans, elle demande à voir un gynécologue qui constate la rupture de l'hymen. Mais "personne ne m'a jamais demandé si j'avais subi des sévices sexuels alors que je n'attendais que ça pour pouvoir en parler", répète celle dont la vie sentimentale et sexuelle reste encore à ce jour marquée par les traumatismes et les blocages provoqués par ces viols.
Depuis son box, le médecin âgé de 74 ans reste figé comme une statue de cire. Un peu plus tard, pour la première fois depuis son interpellation en 2017 après une plainte pour le viol d'une voisine de six ans, il reconnaît les viols commis sur Orianne sous couvert d'actes médicaux.
Il lui demande "pardon" d'une voix brisée, renifle et semble produire quelques larmes. Puis reprend d'un ton égal: "Je n'ai gardé aucun souvenir de tout ça", soulignant n'avoir "aucune raison de mettre en doute tout ce qu'elle vient de dire".
Des excuses sincères? "En tout cas, il y a des excuses et des aveux", estime Me Louise Aubret, l'une des avocates d'Orianne.
"J'attends la vérité"
Une deuxième victime, âgée de 9 ans en 1991 lorsqu'elle est violée par le chirurgien à Loches, vient à son tour à la barre. Contrairement à Orianne, elle ne se souvient de rien et la cour s'en remet aux violences méticuleusement consignées par l'ex-chirurgien dans ses carnets.
"J'attends la vérité et puis je veux aller plus loin (...) J'aimerais aussi que lui reconnaisse les faits", lâche cette victime.
L'accusé ne conteste pas les faits mais n'a, là non plus, pas de souvenirs. "Je ne vais pas inventer ce que j'ai oublié", s'agace-t-il sur une question de la présidente.
C'est au tour d'une troisième victime de témoigner à la barre du choc subi lorsque les gendarmes lui annoncent en 2019 les sévices décrits par Joël Le Scouarnec dans ses carnets, et des souffrances que cela déclenchera chez elle.
La quadragénaire n'avait aucun souvenir des viols répétés infligés par l'accusé. Enjouée jusqu'alors, elle s'effondre, prend 25kg et passe près de six mois en hôpital psychiatrique en raison de "pensées suicidaires". Aujourd'hui elle souhaite "se reconstruire et aller de l'avant".
"La douleur est profonde, tout ce que je souhaite c'est que la peine soit à la hauteur de vos faits", déclare-t-elle en pleurant.
Son époux, partie civile en tant que victime indirecte, a ressenti le "besoin" d'être à ses côtés à la barre pour l'épauler mais aussi montrer à l'accusé "que les conséquences vont au-delà" des seuls enfants violentés et que "beaucoup de familles sont malheureuses".
"Je prends aujourd'hui la mesure des conséquences de ce que j'ai fait (...) c'était ignoble et immonde", assure Joël Le Scouarnec, qui reconnaît ces viols, "désolé".
Certaines victimes n'ont aucun souvenir
La dernière victime auditionnée de la journée s'avance et décline son identité, comme un défi à l'accusé qu'elle dévisage dans son box. C'est la fille d'un collègue de l'ex-chirurgien, agressée lorsqu'elle avait 2 ans en 1989.
Comme Virginie, elle ne se souvenait de rien et "s'effondre" lorsqu'on lui apprend qu'elle figure dans les fameux carnets.
Elle est elle-même devenue chirurgien et dit se méfier maintenant de tous les individus masculins, dans sa vie privée ou professionnelle: "À chaque fois que j'opère un enfant j'y pense, à chaque fois!", lâche-t-elle.
"J'attends que Monsieur le Scouarnec assume ses actes", dit fermement la victime en regardant Joël Le Scouarnec. Ce dernier, qui semble ne pas se souvenir d'avoir réalisé ces actes, demande pardon. L'audition des victimes se poursuit ce vendredi 7 mars.
"Un visage sur les cauchemars"
À la barre, pour ce nouveau jour d'audience, une autre victime, Céline Mahuteau. Elle n'a que 7 ans quand elle croise la route de Joël Le Scouarnec en 1991. Ce n'est qu'en 2019 qu'elle se souviendra du viol dont elle a été victime à l'époque.
"J'ai eu un flash: j'étais allongée sur un lit avec une blouse blanche qui était penchée sur moi, avec une main qui glissait sur ma cuisse et remontait jusqu'à l'entrejambe et une voix qui me disait 'ce sera une belle cicatrice", raconte-t-elle au micro de BFMTV.
Virginie, une autre victime, s'est quant à elle retrouvée face au médecin jeudi au tribunal. "Ça met un visage sur les cauchemars, sur les insomnies. Ça met un son, une voix et une image que je n'avais pas", confie-t-elle.