"Il a brisé beaucoup de choses": victime de Joël Le Scouarnec à 12 ans, il raconte sa lente reconstruction

Martin* avait 25 ans quand les gendarmes le convoquent et lui apprennent qu'il fait partie des victimes potentielles de Joël Le Scouarnec. Nous sommes en 2018, au tout début de la retentissante affaire judiciaire qui vaut à l'ex-chirurgien digestif d'être jugé à partir de ce lundi 24 février pour 300 faits de viols et d'agressions sexuelles commis sur 299 anciens patients, dont la quasi-totalité avait moins de 15 ans quand ils ont été suivis par le praticien.
Martin avait 12 ans quand il est hospitalisé à Quimperlé (Finistère) pour un kyste au ventre. Joël Le Scouarnec l'opère. Dans les carnets du chirurgien, véritable plongée dans l'horreur de la perversité, le médecin écrit le jour, l'heure, le prénom du jeune garçon et son âge.
Comme pour les autres patients, il y décrit, en longueur et avec des détails crus, la première fois qu'il voit Martin. L'enfant n'est pas seul dans sa chambre, le médecin évoque ses fantasmes en "palpant son ventre".
"Au bloc, j'en ai profité un peu plus", écrit Joël Le Scouarnec, fier de son récit évoquant le plaisir qu'il a ressenti. Le médecin profite ensuite de la pause déjeuner pour retourner dans la chambre de l'adolescent et l'agresser à nouveau sexuellement.
"Il a brisé beaucoup de choses, mon enfance, mon adolescence, ma vie d'adulte", souffle aujourd'hui Martin, rencontré par BFMTV.com quelques semaines avant le procès.
"Tombé de plusieurs étages"
Quand le jeune homme apprend les faits, il n'a aucun souvenir de ces sévices. Certes son corps lui avait envoyé des signes, avec un premier malaise, inexpliqué, quelques heures après son opération. Martin avait dû rester un jour de plus hospitalisé, malgré son insistance pour sortir.
Puis dans les semaines, les mois et les années qui ont suivi, c'est un malaise général qui s'est imposé. L'adolescent se renferme sur lui-même, la tristesse l'envahit, il souffre de dépression. Martin ne peut pas nouer de relations intimes. Ses parents mettent ça sous le coup de l'adolescence, les liens avec eux se rompent peu à peu.
La lecture du passage le concernant dans les journaux intimes de Joël Le Scouarnec lui permet d'expliquer des années de mal-être. Pour autant, elle l'aggrave. Le traumatisme est réactivé, comme l'explique une psychologue à l'époque, par la révélation des faits et les souvenirs qui reviennent.
"J'ai trouvé ça tellement gros au début que j'ai mis énormément de temps à accepter que c'était réel", nous confiait-il en 2019. "J'ai eu un long moment où je me sentais très seul, parce que je me suis dis 'j'espère que ça ne s'est pas réalisé'."
"Je suis tombé de plusieurs étages, je fais partie des victimes qui ont préféré occulter les actes qu’il m’a infligés. Avec un travail et un accompagnement, petit à petit, les souvenirs commencent à revenir", expliquait-il encore.
Suivi depuis quatre ans
Depuis quatre ans, Martin est suivi: psychothérapie, psychiatre, psychologue, orthophoniste... "Aujourd'hui, il y a beaucoup moins d'idées suicidaires, c'est encore difficile, mais c'est déjà un luxe", juge aujourd'hui le jeune homme de 31 ans. "J'arrive à faire des projets personnels, donc ça va mieux, je pense."
D'un point de vue professionnel, Martin a enchaîné les postes. "Ça m'a permis d'éviter les idées négatives", dit-il. Mais d'un point de vue relationnel, cela reste compliqué.
"C'est toujours traumatique", confie-t-il, assurant toutefois "avancer petit à petit". "On renoue des liens avec la famille et je me sens de plus en plus à ma place."
Lors de la révélation des faits en 2018, Martin, comme de nombreuses victimes de Joël Le Scouarnec - certaines ayant d'ailleurs réussi à construire une vie de famille stable - ne s'est souvenu que de bribes de l'agression subie.
Pour autant, aujourd'hui, malgré les conséquences, le jeune homme se satisfait de savoir ce qui lui est arrivé dans cet hôpital du Finistère. "Ce n'était peut-être pas le bon moment pour s'en souvenir, mais bon, de toute façon, à un moment ou à un autre, le souvenir serait revenu. Au moins, on est accompagné", estime-t-il.
"Lui donner l'envie de se cacher"
Martin compte assister de manière ponctuelle au procès de Joël Le Scouarnec, qui doit s'étaler sur quatre mois. "Globalement, je sens plutôt bien cette confrontation (avec Joël Le Scouarnec, NDLR). Il y a de l'eau qui est passée sous les ponts, c'est un peu plus facile. Je ne le vois plus en tant que prédateur sexuel, mais en tant qu'homme, c'est déjà pas mal. J'arrive à prononcer régulièrement son nom, son prénom."
Cet homme, il ne lui pardonne pas mais Martin, qui témoignera publiquement, estime qu'en redonnant à Joël Le Scouarnec une existence, il lui donne "une place de coupable".
Ce témoignage public, c'est pour "que la honte soit là, soit marquée et puis qu'elle soit montrée du doigt", explique-t-il. "Ce n'est pas à nous de se cacher, c'est à lui de ressentir l'envie de se cacher."
Pour poursuivre sa reconstruction, continuer "à tourner des pages", Martin souhaite avant tout être reconnu comme victime aux yeux de la société. Il n'attend pas d'excuses de Joël Le Scouarnec. "Ça sera facile pour lui, un peu, de s'excuser", tranche le jeune homme.
* Le prénom a été modifié.