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"Ils peuvent trahir des criminels": comment les objets connectés font avancer des enquêtes

Une montre connectée. (Illustration)

Une montre connectée. (Illustration) - Pixabay

Retrouvée morte le 5 mai dernier, un mois après sa disparition dans la Vienne, Agathe Hilairet est probablement décédée après l'intervention d'un tiers. Dans cette affaire comme dans beaucoup d'autres aujourd'hui, c'est un objet connecté qui a aidé à faire avancer les investigations.

Et si la réponse de l'énigme de la mort d'Agathe Hilairet était contenue dans les données de sa montre connectée? Alors que la joggeuse de 28 ans a été retrouvée morte le 5 mai, près d'un mois après sa disparition à Vivonne dans la Vienne, cet objet a récemment permis aux enquêteurs de déterminer que la piste "la plus probable" était à ce stade la piste criminelle.

En analysant les données de la montre qu'elle avait attachée à son poignet juste avant son jogging, le 10 avril dernier, les gendarmes sont parvenus à établir que son rythme cardiaque a fortement augmenté quelques temps avant sa mort, signe d'un effort intense et inhabituel. La jeune femme s'est-elle débattue? Pour l'heure, rien ne permet de l'affirmer avec certitude.

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Pourtant, cette hypothèse de l'intervention d'un tiers dans sa mort est confortée par une seconde trouvaille: la zone où la montre a enregistré l'arrêt de son activité cardiaque correspond à l'endroit où les chiens de la brigade cynophile, au moment des recherches sur le terrain, ont perdu la trace d'Agathe. Ce lieu est pourtant situé à une centaine de mètres du sous-bois où son corps a été retrouvé par un promeneur, ce qui peut laisser à penser que la dépouille de la joggeuse a été déplacée.

Dans l'enquête sur la mort d'Agathe, comme dans la majorité des affaires, "il y a une infinité d'objets qui, dès lors qu'ils sont connectés à internet, intéressent les spécialistes de la scène de crime", indique François Daoust, ex-directeur de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), à BFMTV.com.

Le téléphone portable, l'"outil indispensable"

Certains disent qu'ils sont aujourd'hui une extension de nos bras. Les téléphones portables sont de loin les objets connectés dont l'étude permet de récolter le plus d'indices, et ce depuis plusieurs années. Qu'il s'agisse du téléphone d'une victime ou d'un suspect dans une enquête, il se révèle être un véritable outil pour les gendarmes ou les policiers qui cherchent à élucider un crime.

"C'est un outil devenu tellement indispensable que s'en priver est difficile. Il révèle vos correspondances, vos déplacements, vos fréquentations... Et puisque la majorité des criminels n'ont pas prémédité leur crime, cet objet peut les trahir", explique à BFMTV.com Jacques Dallest.

L'ancien juge d'instruction et procureur, auteur du livre Sur les chemins du crime (paru aux éditions Mareuil), cite notamment l'exemple des meurtres commis par Nordahl Lelandais. L'étude de ses téléphones a été révélatrice lors des investigations dans les affaires Maëlys et du caporal Arthur Noyer.

La nuit du meurtre de la fillette de 8 ans à Pont-de-Beauvoisin (Isère), lors d'un mariage en août 2017, Nordahl Lelandais avait mis son téléphone sur mode avion à 2h46 exactement, soit une minute seulement après que Maëlys s'est volatilisée. Un comportement suspect qui renforcera les soupçons des enquêteurs, plus tard.

Dans le dossier Arthur Noyer, le bornage des téléphones de Lelandais et de la victime a montré que les deux hommes ont borné aux mêmes emplacements et en même temps, confirmant que le caporal est bien monté dans la voiture du tueur. À cela s'ajoutent les étranges recherches internet effectuées par le suspect, et ces mots-clés accablants: "décomposition d'un corps humain".

Les modèles de téléphones portables les plus récents peuvent être une mine d'informations, certaines applications rassemblant de plus en plus de données quant à nos déplacements et nos efforts physiques. Recherches internet, historique, géolocalisation, SMS, données de santé... Au commencement d'une enquête, "on va toujours étudier le téléphone portable", conclut François Daoust.

"Passer au crible l'environnement numérique"

Au-delà du téléphone portable, notre environnement est de plus en plus truffé d'objets connectés, explique Jacques Dallest. En arrivant sur une scène de crime, les enquêteurs vont aujourd'hui "passer au crible tout l'environnement numérique d'une personne décédée de manière brutale. Il y a un gros travail d'exploitation sur les objets qui ont pu être utilisés."

Moins évidentes que le téléphone portable, mais sources d'informations précieuses dans certains dossiers, les voitures les plus récentes sont "bourrées d'électronique", explique Sébastien Aguilar, policier scientifique et membre du Syndicat indépendant des agents du ministère de l'Intérieur (SNIPAT). "On a une carte SIM à l’intérieur de certains véhicules qui peut donner des informations sur la géolocalisation."

"Vitesse, pression exercée sur le frein, nombre de passagers présents à l'intérieur, connexion avec le tableau de bord... C'est une boîte noire qui contient énormément d'informations et qui va servir dans plein d'affaires", dévoile l'auteur d'Au cœur de l'enquête criminelle, publié l'an dernier chez Dark Side.

C'est grâce au GPS embarqué présent dans sa voiture que le meurtrier de Lina, adolescente de 15 ans disparue en septembre 2023 en Alsace, avait d'ailleurs pu être confondu. Même si l'homme avait pris soin de couper le GPS satellitaire de son véhicule et de ne pas utiliser son téléphone portable, les enquêteurs ont exploité d'autres dispositifs de localisation intégrés à sa voiture, parvenant à établir que le suspect s'était rendu à Sermoise-sur-Loire, où le corps de la jeune fille sera ensuite découvert.

Autre exemple parlant, celui d'une course-poursuite meurtrière sur le périphérique parisien, en 2013. La voiture du chauffeur, ivre, était rentrée dans le véhicule de la BAC qui le poursuivait à 150 km/h, tuant deux policiers et en blessant un troisième. "Le département 'véhicule' de l’IRCGN a travaillé sur le système électronique embarqué du Range Rover afin de déterminer s’il y avait une action volontaire ou non du conducteur", commente Sébastien Aguilar. Une découverte capitale, puisqu'elle avait permis de qualifier les faits de "violences volontaires ayant entraîné la mort".

Frigo connecté, oreillers détectant l'apnée...

L'intérieur de nos appartements et maisons étant, lui aussi, de plus en plus connecté, les enquêteurs ont des objets domotiques inédits à leur disposition. Du chauffage que l'on peut contrôler depuis son téléphone au frigo connecté en passant par les oreillers détectant l'apnée du sommeil... "Il s'agit de tout ce qui est piloté via internet et qui fait la vie d'une maison", résume François Daoust.

En Allemagne, c'est une enceinte connectée qui a été l'étonnant témoin d'un meurtre il y a quelques années. En décembre 2020, la justice allemande a accepté que les enregistrements vocaux de l'assistant vocal d'Amazon, Alexa, soient utilisés comme des preuves lors du procès d'un féminicide. Fait plutôt rare, la firme de Jeff Bezos avait accepté de transmettre aux enquêteurs des sons prouvant que l'ex-compagnon de la victime était présent dans l'appartement au moment des faits.

"On est dans l'ère numérique. Aujourd'hui, dans une enquête, on récupère beaucoup plus de traces numériques que de traces classiques. Ça n'élimine pas les autres preuves, mais ça a pris le pas sur le reste", conclut François Daoust.

"Je suis arrivé dans la police scientifique en 2011, les traces numériques étaient assez faibles. Aujourd'hui, il n'y a pas une seule infraction où il n'y a pas de trace numérique", le rejoint Sébastien Aguilar.

Nouvelles technologies, nouveaux réflexes

Chaque avancée en matière de nouvelles technologies nécessite un ajustement des enquêteurs, ne serait-ce qu'en termes de réflexes à avoir pour ne pas "souiller" les données numériques. "Sur une scène de crime, les enquêteurs doivent faire attention à mettre de côté leurs téléphones pour ne pas qu'il y ait d'interférences avec les données des objets de la victime. Il peut y avoir des problèmes de pollution numérique, des données peuvent disparaître si l'on n'est pas préparé à cela", raconte Jacques Dallest.

"Les personnels de la police scientifique suivent des formations très pointues pour savoir comment extraire ces données numériques issues des objets connectés", indique de son côté Sébastien Aguilar.

"En fonction de la nature de l’objet, de sa puissance et de sa fonction, les recherches peuvent se faire sur la mémoire flash intégrée, une carte SD, la mémoire RAM et même parfois sur le Cloud. Ces investigations sont très complexes et fastidieuses. Elles nécessitent donc des formations et des services spécialisés ", conclut-il.

Elisa Fernandez