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Fusillade à Paris: pourquoi le parquet antiterroriste ne s'est pas saisi de l'affaire 24 heures après les faits

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Ce samedi midi, le parquet antiterroriste ne s'était pas saisi du dossier de la fusillade qui a fait trois morts vendredi dans le centre de Paris. Hier soir, il indiquait rester en observation de la situation en fonction des déclarations du suspect.

Certains dénoncent "un acte odieux", d'autres évoquent "une attaque" ou "un attentat terroriste". Au lendemain de la fusillade qui a fait trois morts vendredi dans le 10e arrondissement de Paris, plusieurs voix s'élèvent pour faire reconnaître un acte terroriste, alors qu'une enquête de droit commun pour assassinats et tentatives d'assassinats à caractère raciste a été ouverte.

"J'ai tenu à rappeler la différence entre un crime raciste, qui est par nature odieux, et un acte terroriste. La différence c'est l'adhésion ou pas à une idéologie politique revendiquée", a déclaré ce samedi devant la presse le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti.

L'homme suspecté d'avoir ouvert le feu sur plusieurs enseignes de la communauté kurde rue d'Enghien s'est décrit, lors de son interpellation, comme "raciste". Selon les informations de BFMTV, il a aussi dit aux policiers qu'il voulait s'en prendre à la communauté kurde.

L'ancien cheminot de la SNCF, à la retraite depuis 18 ans, était d'ailleurs déjà connu pour des violences. Il est suspecté d'avoir blessé à l'arme blanche deux migrants à Paris en janvier 2021 et a été condamné en juin dernier pour des faits de violences avec armes commis en 2016. Il a fait appel de cette décision le 8 juillet dernier.

Inconnu des services de renseignement

Le ministère de l'Intérieur, Gérald Darmanin a indiqué vendredi que "le tueur avait manifestement agi seul". "Il n'était pas connu des services de renseignement, ni de la DGSI, ni de la direction des renseignements de Paris, ni des renseignements territoriaux, ni des services de renseignements pénitentiaires pour radicalisation", a-t-il affirmé devant la presse.

Face à ces éléments, le Parquet national antiterroriste (PNAT) ne s'est donc pas saisi du dossier. Raison pour laquelle l'attaque mortelle ne peut pas être qualifiée, dans la presse ou juridiquement, d'"attentat" ou d'acte terroriste. Le PNAT a toutefois précisé être en observation de la situation, afin d'évaluer s’il doit reprendre l’enquête ou non. Notamment en fonction de ce que dira le suspect lors de ses audition, et des éléments qui seront retrouvés le concernant.

"La qualification terroriste doit être retenue"

Me Mourad Battikh, avocat au barreau de Paris et spécialiste en droit pénal, souligne sur notre antenne l'ambiguïté de cette situation. "Aujourd'hui, l'article 421-1 du Code pénal nous dit qu'une qualification terroriste peut être retenue à partir du moment où une entreprise individuelle ou collective a pour but de troubler l'ordre public par la terreur", rappelle-t-il.

"Or, ce qu'on l'on sait du dossier c'est qu'il y a un trouble grave à l'ordre public par la terreur puisque le suspect a essayé de terroriser les individus dans une situation publique. Et quand on regarde les antécédents de l'individu, il y a tout lieu de penser que la qualification terroriste doit être retenue".

Ainsi, selon l'avocat, le caractère raciste ou non de l'attaque ne détermine pas si l'attaque est terroriste. "La seule qualification qui permet de qualifier juridiquement l'attaque de terroriste est la volonté d'un individu ou d'un collectif de troubler gravement l'ordre public".

"L'heure et le jour de l'attaque ne sont pas anodins"

De son côté, la communauté kurde maintient qu'il s'agit bien d'une attaque terroriste. La porte-parole de CDKF, Berivan Firat, assurait ce samedi matin que "la communauté kurde a été directement visée. C'est pour cela que nous refusons la qualification d'acte raciste. Nous maintenons et nous disons que c'est un acte terroriste."

"Pour nous, il n'y a aucun doute que ce sont des assassinats politiques orchestrés par la Turquie. Nul doute pour nous que ces assassinats sont de qualificatif terroriste", a déclaré Agit Polat, porte-parole du mouvement ce samedi, à la sortie de la réunion tenue à la préfecture de police de Paris.

L'association du conseil démocratique kurde affirme ainsi que le tireur n'a pas agi par hasard. "L'heure et le jour de l'attaque ne sont pas anodins. Ce vendredi, le mouvement des femmes kurdes avait une réunion pour organiser les actions de commémoration du 9 janvier 2013". Date à laquelle trois femmes, militantes kurdes ont été assassinées dans les locaux du centre d'information sur le Kurdistan rue Lafayette à Paris.

Depuis plusieurs semaines, la communauté kurde s'organisait pour rendre hommage à ces trois femmes, dix ans après l'attaque. L'auteur présumé de ces assassinats, Omer Güney est mort en détention d'une tumeur cérébrale en 2016 avant la tenue du procès d'assises.

"Attentat raciste"

Et ce débat enflamme aussi la classe politique puisque certains responsables ou élus désignent à leur tour cette attaque de terroriste. Jean-Luc Mélenchon, chef de file de La France Insoumise a clairement qualifié la fusillade d'acte terroriste et réclamé que le PNAT se saisisse de l'enquête.

À gauche aussi, l'adjoint communiste à la mairie de Paris, Ian Brossat écrivait hier sur Twitter: "Un type qui tue des gens qui n'ont rien demandé à personne, ça ne s'appelle pas une fusillade, ça s'appelle un attentat. Et en l'occurrence un attentat raciste."

Le député écologiste Julien Bayou a déclaré ce samedi sur BFMTV d'un "attentat raciste. L'extrême droite agit en toute impunité".

La majorité a préféré suivre la nomenclature des institutions judiciaires. Le président de la République a affirmé quelques heures après la fusillade que "les Kurdes ont été la cible d'une odieuse attaque au cœur de Paris". La Première ministre, Élisabeth Borne, parlait "d'une fusillade mortelle à Paris".

Vincent Vantighem, Alexandra Gonzalez avec Pauline Boutin