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Police-Justice

Etat d'urgence: Toubon dénonce l'introduction d'un "régime d’exception durable"

Jacques Toubon, le 21 juillet 2014.

Jacques Toubon, le 21 juillet 2014. - François Guillot - AFP

Le Défenseur des droits a reçu en 2015 "42 réclamations" liées à la mise en place de l'état d'urgence dans la foulée des attentats de novembre. Opposé à sa prolongation, il dénonce l'introduction d'un "régime d’exception durable".

Perquisitions, assignations à résidence suivies parfois de licenciements... Depuis la mise en place de l'état d'urgence, des dizaines de réclamations ont atterri sur le bureau du Défenseur des droits Jacques Toubon, qui s'est emparé du sujet, se posant en garant des libertés.

Aussitôt après les attentats parisiens du 13 novembre, le gouvernement a décrété l'état d'urgence, autorisant des mesures exceptionnelles. Le Défenseur en a vite vu certaines conséquences: "42 réclamations" reçues en l'espace de cinq semaines, entre le 26 novembre et le 31 décembre, indique l'institution dans son bilan annuel publié jeudi. Ces réclamations sont "principalement liées à des perquisitions (18 saisines) et des assignations à résidence (11 saisines)". Parmi ces dernières, deux ont eu pour conséquence un licenciement.

Mais il y a aussi les "dommages collatéraux" de l'état d'urgence, que le gouvernement veut prolonger pour trois mois après le 26 février: une mère voilée qui se voit refuser l'accès à un collège, des licenciements pour port de barbe, un refus de délivrance de passeport...

"Si certaines réclamations ont pu trouver une issue favorable (indemnisation ou aménagement des conditions d'assignation), la plupart sont encore en cours d'instruction", précise l'institution, créée en 2011 pour aider les citoyens à faire valoir leurs droits.

Toubon pointe "un régime d’exception durable"

Défense des droits de l'enfant, relations avec les services publics ou les professionnels de la sécurité (police, vigiles...), lutte contre les discriminations: les missions du Défenseur des droits sont multiples. Si l'immense majorité des 79.592 dossiers qu'il reçoit concerne les demandes liées au service public et à l'accès au droit, l'état d'urgence a donné l'occasion à Jacques Toubon, nommé Défenseur des droits en juillet 2014 après le décès de Dominique Baudis, de s'inviter dans le débat.

Alors que l'Assemblée nationale entame vendredi l'examen en séance de la réforme constitutionnelle voulue par François Hollande après les attentats, qui prévoit l'inscription de l'état d'urgence dans la Loi fondamentale, le Défenseur des droits redoute que le "droit de tous les jours" ne soit "singulièrement durci". Dans un entretien mis en ligne sur le site du Monde jeudi, il s'inquiète de la prolongation de cette mesure d'exception.

"Contrairement à l’avis du Conseil d’État de décembre, le gouvernement introduit ce qui ressemble fort à un état d’urgence glissant, un régime d’exception durable", dénonce l’ancien garde des Sceaux.

"Ere des suspects"

"De ce point de vue, pire que la prolongation de l’état d’urgence est le projet de loi de procédure pénale qui tend à faire de l’exception la règle pour un ensemble large d’infractions. Les restrictions des libertés ne seront pas limitées au temps de l’urgence, mais jusqu’à ce que le 'péril imminent' cesse, c’est-à-dire aux calendes grecques", poursuit-il.

"Il ne faudrait pas décider un tel abaissement de notre état de droit sans ouvrir un vrai débat. Les Français veulent-ils léguer à leurs enfants un état de droit inférieur à celui que la République a mis 200 ans à bâtir?"

Le défenseur des droits pointe en particulier comme étant "totalement contraire à nos principes" la possibilité que le ministre de l’Intérieur aura "de garder une personne aussi longtemps assignée à résidence à partir d’une supputation qu’elle représente un danger parce qu’elle revient d’un certain pays".

"On entre dans l’ère des suspects! Ce ne sont pas des petites mesures, cela affecte la liberté d’aller à venir, le droit à la vie privée et à la correspondance privée, ou la liberté de travailler ou d’étudier." 

Des "centaines" de vies "bouleversées"

L'ancien garde des Sceaux sonnait déjà l'alarme il y a quelques semaines.

"Est-ce que la prolongation de l'état d'urgence et la révision de la Constitution ne vont pas comporter la mise en place d'un état de droit en permanence moins favorable aux libertés et aux droits fondamentaux?", avait-il interrogé début décembre sur BFMTV.

Jeudi, Amnesty International a aussi enjoint les autorités de ne pas reconduire l'état d'urgence. Selon l'ONG, l'état d'urgence "a bouleversé des centaines de vies", causant "toute une série de violations des droits humains" avec "très peu de résultats concrets" en matière antiterroriste.

V.R. avec AFP