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Mayotte: de quoi le gouvernement parle-t-il quand il évoque la "question migratoire" sur l'archipel?

Une femme transporte de l'eau à Pamandzi, sur le territoire français de Mayotte, dans l'océan Indien, le 17 décembre 2024, après que le cyclone Chido a frappé l'archipel.

Une femme transporte de l'eau à Pamandzi, sur le territoire français de Mayotte, dans l'océan Indien, le 17 décembre 2024, après que le cyclone Chido a frappé l'archipel. - Dimitar Dilkof/AFP

Le ministre démissionnaire de l'Intérieur Bruno Retailleau a provoqué une controverse en associant le "traitement" de la "question migratoire" à la reconstruction de Mayotte dévastée par un ouragan.

Le ministre démissionnaire de l'Intérieur, Bruno Retailleau, a été vivement critiqué par la gauche ce mardi 17 décembre après avoir évoqué la "question migratoire" à Mayotte alors que l'archipel a été touché par un cyclone dévastateur samedi.

"L'État est mobilisé depuis la première heure pour secourir les victimes et éviter que d'autres crises n'ajoutent encore au malheur mais il faut déjà penser au jour d'après", a-t-il écrit sur son compte X.

"On ne pourra pas reconstruire Mayotte sans traiter, avec la plus grande détermination, la question migratoire", ajoute-t-il, estimant que l'archipel de l'océan Indien est "le symbole de la dérive que les gouvernements ont laissé s'installer sur cette question".

Lors des questions au gouvernement mardi, le nouveau Premier ministre, François Bayrou, a aussi évoqué une "situation" qui "ne doit pas être éludée": "il y a à Mayotte, en plus du drame que nous vivons, une déstabilisation qui dure depuis des années" avec des "afflux de population" qui sont "très mal vécus" par la population mahoraise.

"À cela aussi nous devons apporter des réponses", a estimé François Bayrou, rejetant des "accusations réciproques" et soulignant qu'"une vie vaut une vie".

Un tiers de la population en situation irrégulière

De quelle situation Bruno Retailleau et François Bayrou parlent-ils exactement? Au 1er janvier 2024, l'institut de statistiques Insee estimait la population de Mayotte à 321.000 personnes. Et selon la préfecture de Mayotte, citée dans un rapport d'information de l'Assemblée nationale en mai 2023, un peu moins de 50% de la population est de nationalité étrangère. "Entre un tiers et la moitié de la population seraient en situation irrégulière", selon la préfecture.

En 2017, 95% des étrangers à Mayotte étaient Comoriens et 4% étaient Malgaches, selon l'Insee. Mayotte est le seul territoire de l'archipel géographique des Comores qui, d'élections en référendums, s'est toujours prononcé pour son maintien au sein de la communauté française, jusqu'à devenir en mars 2011 le 101e département français et le cinquième département d'outre-mer.

Il se situe à moins de 70 kilomètres d'Anjouan, l'une des trois grandes îles composant l'Union des Comores, État indépendant depuis 1975, qui revendique encore sa souveraineté sur Mayotte. Cette proximité facilite l'immigration clandestine en provenance des Comores, un des pays les plus pauvres au monde, à bord de grandes barques de pêche traditionnelle, les "kwassa-kwassa".

Une situation sociale "critique"

François Bayrou a souligné mardi que Mayotte se trouve dans une "situation sociale critique". 77% des habitants y vivent par exemple sous le seuil de pauvreté national, selon l'Insee. Depuis plusieurs mois, les gouvernements français promettent de lutter contre l'immigration illégale pour faire face aux nombreuses difficultés du territoire.

Mais face à la gravité du cyclone Chido, qui a ravagé Mayotte samedi, faisant au moins 22 morts, plusieurs personnalités politiques ont dénoncé l'"indécence" des propos du gouvernement sur l'immigration dans l'archipel.

Des déclarations que Bruno Retailleau a voulu justifier ce mercredi sur RMC-BFMTV. "Il y a la question de l'immigration irrégulière parce qu'on a laissé les Mahorais seuls devant leur malheur, avec cette immigration qui est totalement incontrôlée", a estimé le ministre démissionnaire de l'Intérieur.

"Le bilan qu'on constatera dans quelques jours, il sera très lourd. Il ne sera pas très lourd là où il y avait des habitations en dur" mais dans les "bidonvilles", a-t-il justifié

Selon les données les plus récentes de l'Insee, qui datent de 2017, quatre habitations sur dix sont en tôle à Mayotte, et trois sur dix n'ont pas l'eau courante. Si les autorités associent souvent la résorption de l'habitat insalubre à la lutte contre l'immigration irrégulière, Mégane Aussedat, doctorante en sociologie et auteure de plusieurs travaux sur les quartiers informels mahorais, a relativisé ce lien auprès de l'AFP.

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"Il n'y a quasiment aucune famille à Mayotte" qui serait en totalité "soit en situation irrégulière, soit en situation régulière", a-t-elle. La chercheuse décrit des "statuts administratifs beaucoup plus composites", sans frontière nette entre les populations mahoraises et comoriennes dans ces quartiers.

"Indécence totale"

"Ces déclarations (de Bruno Retailleau) sont d'une indécence totale et glaçante, alors que l'on est face à une crise humanitaire sans précédent avec un risque de famine, d'épidémie", a également condamné la secrétaire générale de la Cimade, association d'aide aux migrants, Fanélie Carrey-Conte.

"Il faut que l'ensemble de la classe politique réagisse et condamne ces propos (...) qui révèlent une perte du sens de l'humanité. La seule question est: comment on sort toutes ces personnes" de la catastrophe et "non celle de l'immigration", a-t-elle ajouté, citée par l'AFP.

Mayotte est sorti mercredi d'une première nuit sous couvre-feu, mis en place pour assurer la sécurité et éviter les pillages après le passage meurtrier du cyclone Chido dans l'archipel, où Emmanuel Macron est attendu jeudi. Selon un bilan officiel toujours très provisoire, le passage du cyclone Chido a fait 22 morts et 1.373 blessés. Les autorités redoutent en réalité "plusieurs centaines" de morts, peut-être même "quelques milliers" dans le département où d'importants secours sont en action, quatre jours après la catastrophe.

Sophie Cazaux