Piège ou aveu d'échec: les déclarations de l'armée russe signent-elles un tournant de la guerre en Ukraine?

À la surprise générale, l'armée russe a annoncé vendredi, par la voix de l'adjoint au chef de l'état-major Sergueï Roudskoï, un changement de stratégie en Ukraine: se concentrer sur l'est du pays. À savoir sur la région du Donbass, où des séparatistes prorusses ont créé deux "républiques", de Donetsk et de Lougansk, reconnues par Moscou dans cette région industrielle de la partie orientale du territoire ukrainien.
Une annonce à accueillir avec prudence, tant l'Ukraine comme la Russie se livrent à "une guerre de communications", souligne Peer de Jong, ancien colonel des Troupes de Marine et spécialiste de géopolitique, ce samedi sur BFMTV. Avant de préciser:
"Il faut se méfier des informations qui nous sont proposées car peu de vérifications véritables sont réalisées sur le terrain. La tactique russe est assez inexplicable. Après s'être lancée de la Russie et de la Biélorussie dans toutes les directions, elle fait désormais des annonces étranges de rétractation. Il faut faire attention à ce genre de tactiques."
Nourrissant donc les interrogations concernant les intentions de Vladimir Poutine sur ce repli: coup de bluff ou recul stratégique?
Reculer pour se réarticuler
Pour Christian Makarian, éditorialiste au Point, "ce revirement ressemble à un aveu d'échec, mais il faut être prudent avec les Russes". Première hypothèse, celle de la constatation effective d'un recul. Le spécialiste de politique internationale souligne que pour la première fois, depuis le 2 mars, la Russie a livré un bilan de ses pertes, les estimant à 1351 morts.
"Un chiffre en dessous de la réalité, mais trois fois plus important que celui donné début mars de 498 morts. Moscou confesse qu'elle a de plus en plus de pertes, admet la mort de généraux, et semble donc à la recherche d'une porte de sortie dans ce conflit", poursuit-il.
De son côté, Peer de Jong estime qu'il est peu probable que l'armée russe quitte le pays, mais qu'elle pourrait plutôt se retirer pour mieux le bombarder ou pour "se réarticuler", étant donné les difficultés qu'elle rencontre dans certaines villes comme à Kiev. C'est également la deuxième hypothèse de Christian Makarian, soulignant que les soldats se reconcentrent là où ils ont subi le moins de dégâts et de revers. Soit vers le Donbass.
Négociations pour annexer le Donbass
Troisième hypothèse, détourner l'attention du conflit et lancer des négociations diplomatiques sur la question de l'est de l'Ukraine. "Il peut s'agir d'une manœuvre pour entamer des négociations et dire qu'on se cantonne désormais au Donbass", explique le spécialiste de la politique internationale Christian Makarian, avant de préciser:
"À l'Est, les Russes sont plus forts qu'ailleurs. Se concentrer sur cette partie du pays ne constitue donc pas une concession de la Russie mais bien un renforcement. C'est en parlant de l'amputation de ces territoires de l'est qu'ils auront de meilleures négociations pour les annexer."
Par ailleurs, entre 2014 et 2022, "la Russie a distribué des centaines de milliers de passeports russes aux habitants de Donetsk et de Lougansk qui étaient russophones ou pro-russes", poursuit l'éditorialiste. Cela fait donc d'eux des citoyens russes. "Or, la Constitution russe prévoit que la Russie peut porter secours naturellement et de façon légitime à des citoyens russes exilés ou menacés dans des républiques annexes ou limitrophes. Elle reconfirme donc que jamais plus Donetsk et Lougansk retourneront à l'Ukraine", explique-t-il.
Aucune confiance des Ukrainiens
Toutes ces hypothèses sont évidemment à prendre avec précaution, soulignent les experts. L'ancien colonel Peer de Jong affirmant qu'il n'y a plus qu'à attendre pour voir "si la Russie recule vraiment". À noter que ce n'est pas Vladimir Poutine lui-même qui a fait cette annonce, mais l'adjoint au chef de l'état-major, ce qui ajoute aux mystères entourant cette initiative.
Sur place, les habitants de Kiev nous ont confié n'avoir aucune confiance en Vladimir Poutine et dans les négociations qui se sont déroulées ces dernières semaines. Pour eux, elles ont simplement pour principe de gagner de temps. Ce revirement vers le Donbass est également vu avec méfiance, car cette région était quasiment déjà aux mains de Moscou. Cette tactique n'a donc pas de sens pour eux.
Ces derniers préfèrent croire seulement à ce qu'ils observent sur le terrain: les bombardements et frappes continuent sans interruption depuis les annonces de l'armée russe.