Exactions contre la minorité druze, intervention israélienne... Cinq questions pour comprendre la flambée de violences en Syrie

Les combattants druzes syriens marchent près d'un véhicule militaire endommagé, après que les forces gouvernementales syriennes se soient retirées du gouvernorat de Sweida, dans le sud du pays, le 17 juillet 2025. - SHADI AL-DUBAISI / AFP
La Syrie découvre un nouveau paysage de désolation. La province de Soueida, dans le sud du pays, a été le théâtre depuis dimanche d'affrontements communautaires, entre des tribus bédouines sunnites et des combattants druzes, aux relations tendues depuis des décennies.
Dans l'objectif affiché de rétablir l'ordre, le nouveau gouvernement syrien - qui a renversé Bachar Al-Assad en décembre dernier - a déployé mardi des forces dans la région, jusque-là contrôlée par des combattants druzes. Et ce avant d'acter leur retrait ce mercredi sous la pression des bombardements israéliens menés à Damas, officiellement en soutien à cette communauté.
Le président par intérim Ahmad al-Charaa, ancien commandant jihadiste du groupe Hayat Tahrir al-Cham, a ainsi de nouveau transféré aux druzes le maintien de la sécurité.
Au moins 594 personnes sont mortes dans ces affrontements quadripartites depuis dimanche. Dont 83 civils "victimes d'"exécutions sommaires" selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Les troupes gouvernementales et groupes alliés, dont les tribus bédouines, sont accusés d'exactions.
David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique et spécialiste du Moyen-Orient, décrypte pour BFMTV.com la complexe situation syrienne.
Comment Israël justifie ses bombardements à Damas?
"En premier lieu, Israël considère qu’il lui incombe une responsabilité morale dans la protection des druzes, une minorité arabe d’une obédience confessionnelle tout à fait singulière. Les quelque 150.000 druzes qui vivent en Israël sont liés par un "pacte de sang et de vie" à l’Etat hébreu qui se sent un devoir de protection - d’ailleurs réclamée par les cheikhs druzes d'Israël pour leurs coreligionnaires. Ils sont les seuls Arabes autorisés à servir dans Tsahal y compris au plus haut niveau en raison de leur loyauté sans faille.
Mais cela n’empêche pas que l’intervention israélienne dépasse la seule variable druze, qu'il y ait un calendrier stratégique. Israël exige que le sud de la Syrie, à proximité du plateau du Golan sous tutelle israélienne, soit "démilitarisé", avec l’absence d’armes lourdes des forces gouvernementales.
Car l'État hébreu a deux préoccupations: le risque d'une présence islamo-djihadiste, associé au doute de l’ADN initial de la nouvelle gouvernance à Damas, et la possibilité de la reconstitution d’une axe pro-iranien qui passerait via l’Irak dans le sud de la Syrie. Ils ont en tout cas l’idée de constituer une sorte de "glacis stratégique" au sud de la Syrie, dont la souveraineté se trouve mécaniquement affectée."
Qui sont les druzes?
"Les druzes sont un groupe à la confession religieuse particulière. C'est une branche ésotérique de l'ismaélisme, issue du chiisme. Ils sont parfois considérés par les autres musulmans sunnites, surtout les islamistes et plus encore les jihadistes comme hérétiques. Il y a un million de druzes dispersés entre Israël, le Liban et la Syrie, et un petit peu en Jordanie. Pour les druzes, il n'y a pas de frontières."
Le nouveau dirigeant syrien veut prendre ses distances avec son passé jihadiste et montrer sa volonté d'inclure toutes les communautés présentes en Syrie. Or, ces exactions commises contre les minorités religieuses ne le décrédibilisent-elles pas?
"C’est le problème majeur de son positionnement. On retrouve ce dilemme avec ce qu’il s’est passé avec les alaouites, mi-mars, puis déjà avec les druzes, fin avril. Le gouvernement de Damas avait alors invité l’ensemble des groupes armés à "désarmer". Et dès janvier, la "dissolution-fusion" des principaux groupes au sein de la nouvelle armée nationale avait été initiée. Car dans sa logique de reconstruction étatique, la nouvelle gouvernance de Damas entend disposer du monopole des armes sur le pays.
Selon les éléments de langage du ministère de l’Intérieur syrien, si ça a dégénéré dans la province de Soueida, c'est justement parce qu'ils avaient accepté que les druzes conservent leurs armes. C'est ce qui a justifié à leurs yeux l'envoi des tanks.
Or, les minorités, elles, sont d’un avis différent. Elles considèrent que seule la conservation de leurs armes est une garantie de sécurité sinon de survie au regard des doutes qui subsistent sur les intentions réelles des nouvelles autorités. Ces dernières sont suspectées de fermer les yeux sur les exactions de certains groupes ayant conservé leur ADN islamiste, voire djihadiste, et qui gravitent autour de la nouvelle gouvernance. Quand ils n’ont pas été formellement intégrés à ladite nouvelle armée nationale syrienne.
Évidemment, le président Ahmed al-Charaa s'en défend. Il s'est d'ailleurs engagé à punir les auteurs de ces exactions. Mais les doutes ne sont pas levés, d’autant que certaines minorités, comme les Druzes, sont parfois accusées à demi-mots - même s’ils s’en défendent - d’être des partisans de l’ancien régime.
Ces violences envers les minorités menacent-elles les récentes relations entre Damas et les Occidentaux?
"Les États-Unis ont joué un rôle clé dans la médiation qui a mené au cessez-le-feu et à la temporisation de la situation. Son secrétaire d'État Marco Rubio Rubio avait immédiatement exprimé sa "vive préoccupation" en appelant ouvertement Israël à engager un dialogue avec Damas.
Cette situation délétère pourrait de fait hypothéquer le pari fait par le président Donald Trump d’une levée complète et totale des sanctions - et non pas progressive et conditionnelle comme l’avait initié les Européens. Le président américain avait annoncé cette décision spectaculaire le 16 mai dernier lors d’une rencontre avec son homologue Ahmed al-Charra à Riyad pour donner "une chance" à la Syrie post-Bachar.
Elle est devenue effective par décret présidentiel le 1er juillet avec des attendus plus qu’incertains au regard de l’évolution des derniers événements."
Un cessez-le-feu a été conclu. Cela écarte-t-il le risque d'un nouvel embrasement?
"Pour l’immédiat, mais la situation demeure très instable et volatile. La situation reste évidemment très tendue. Le gouvernement de Damas a accepté, le 17 juillet, après l’instauration d’un cessez-le-feu, un retrait des forces gouvernementales avec leurs armes lourdes de la région de Soueida ainsi que le transfert à des milices druzes de la responsabilité du maintien de la sécurité, pour, en réalité, répondre à une demande expresse d'Israël.
Comme l’a précisé le président al-Charaa, l’objectif était d’éviter une confrontation directe avec l’État hébreu qui a lourdement frappé à Damas, notamment le QG du ministère de la Défense syrien ainsi qu’une cible dans la zone du palais présidentiel. Et ils ont menacé de monter en puissance. Le président Ahmed al-Charaa a en réalité compris qu’il n'avait pas le choix, car il sait qu’il n’est pas en situation de se confronter militairement avec Tsahal."