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Suspension de l'aide militaire américaine à Kiev: quelles conséquences sur le terrain en Ukraine?

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L'annonce de Washington plonge l'Ukraine et ses alliés européens dans l'inconnu. Si l'Europe reste le permier pourvoyeur d'aides à Kiev, les États-Unis ont fourni pendant trois ans des équipements militaires à hauteur de 64 milliards de dollars.

Donald Trump a mis sa menace à exécution. Les États-Unis ont annoncé ce lundi 3 mars suspendre les aides militaires américaines à l'Ukraine, qui lutte depuis plus de trois ans contre l'invasion de la Russie.

"Nous ferons tout pour tenir bon", a réagi le Premier ministre ukrainien Denys Chmyhal.

Un responsable de la Maison Blanche a explique que cette "pause" visait à "réexaminer (leur) aide pour s'assurer qu'elle contribue à la recherche d'une solution" au conflit entre l'Ukraine et la Russie. "Le président a clairement indiqué qu'il se concentrait sur la paix. Nous avons besoin que nos partenaires s'engagent eux aussi à atteindre cet objectif", a-t-il ajouté. Cette décision historique peut-elle faire basculer le conflit?

Donald Trump presse pour un accord de paix

Les États-Unis parlent d'une pause temporaire. Il s'agit notamment de contraindre Volodymyr Zelensky à une paix, peut-être forcée ou bâclée. Donald Trump ne décolère pas contre son homologue ukrainien depuis leur rencontre vendredi à la Maison Blanche qui a tourné en affrontement verbal. Il a accentué lundi ses menaces contre le dirigeant ukrainien, qu'il suspecte de ne "pas vouloir la paix" avec la Russie.

Son vice-président J.D. Vance en a rajouté une couche lundi soir, affirmant que les États-Unis "ne peuvent pas financer ce conflit éternellement et les Ukrainiens ne peuvent pas se battre éternellement". Traduction, les États-Unis veulent que l'Ukraine s'engage rapidement sur un processus de paix et la suspension de l'aide militaire est une manière pour l'administration américaine de mettre la pression sur Kiev.

119 milliards de dollars

De combien parle-t-on? L'institut de Kiel, un groupe de réflexion basé en Allemagne qui suit l'aide apportée à l'Ukraine, a calculé que les États-Unis avaient contribué à l'effort de guerre de l'Ukraine à hauteur de 119 milliards de dollars (environ 113 milliards d'euros) entre janvier 2022 et décembre 2024.

À titre de comparaison, ce chiffre s'élève à 138 milliards pour l'Europe dans son ensemble, c'est-à-dire les pays membres de l'Union européenne ainsi que d'autres alliés comme le Royaume-Uni, la Norvège et l'Islande.

L'Europe a donc dépensé plus d'argent que les États-Unis. Ces chiffres comprennent toutefois l'ensemble des aides, qu'elles soient militaires, financières ou humanitaires. En termes de soutien militaire direct, l'oncle Sam reste le premier pourvoyeur pour Kiev.

Munitions, défense anti-aérienne, renseignement...

Toujours selon les calculs de l'institut de Kiel, les États-Unis ont fourni un total de 64,1 milliards d'euros pour aider l'Ukraine à s'armer et se défendre entre 2022 et 2024, contre 62 milliards d'euros pour l'Europe.

Selon une liste fournie par le département d'État le 20 janvier, dans les dernières heures de l'administration Biden, Washington a indiqué avoir envoyé plus de 200 obusiers de 155mm accompagnés de trois millions de munitions d’artillerie, 72 obusiers de 105mm et un million de munitions, et plus de 700.000 mortiers.

Les États-Unis ont également donné à l'Ukraine plus de 10.000 Javelins, des missiles antichars devenus symboles de la résistance ukrainienne contre l'invasion russe dans les premières semaines de la guerre.

Pour les armes plus petites, plus de 500 millions de cartouches et de grenades pour armes légères ont été fournies aux soldats ukrainiens. Et ce sont surtout ces munitions qui risquent de rapidement manquer à l'armée ukrainienne sur le front.

Les États-Unis ont toujours refusé d'envoyer directement leurs avions de combat à Kiev, mais l'administration Biden a fourni des hélicoptères et différents modèles de drones. En outre, face aux attaques aériennes incessantes des forces russes, Washington a surtout envoyé à Kiev du matériel de défense aérienne de plus en plus sophistiqué.

L'aide américaine est notamment importante en ce qui concerne le renseignement, notamment grâce au système de communication par satellite de Starlink, propriété d'Elon Musk.

Pas de nouvelles livraisons prévues

Après l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, de telles livraisons de matériel militaire en provenance des États-Unis ont été annoncées à peu près toutes les deux semaines sous l'administration Biden, parfois à cinq ou six jours d'intervalle.

Mais depuis le retour à la Maison Blanche de Donald Trump, l'aide à Kiev avait déjà pris un tournant. Comme le note le New York Times, lorsque Volodymyr Zelensly a rencontré le président américain dans le Bureau ovale, cela faisait déjà 50 jours que le Pentagone n'avait pas annoncé de nouvelles livraisons à l'Ukraine. Et la nouvelle administration n'avait guère pévoqué l'idée d'en fournir d'autres.

Selon nos confrères américains, il reste aujourd'hui environ 3,85 milliards de dollars sur ce que le Congrès a autorisé à prélever du stock du ministère de la Défense pour Kiev.

Des "stocks" grâce à Joe Biden

Alors l'Ukraine peut-elle tenir sans soutien militaire américain? "L'aide américaine sert dans tous les domaines, c'est un pan entier des capacités militaires ukrainiennes qui s'effondre doucement", déclare sur BFMTV Jean-Paul Paloméros, ancien chef de l'état-major de l'Armée de l'air.

Selon CNN qui cite des responsables occidentaux, l'armée pourrait probablement maintenir son rythme de combat actuel pendant plusieurs semaines – peut-être jusqu'au début de l’été – avant qu'une suspension de l'aide américaine ne commence à avoir des conséquences majeures.

En effet, l'armée ukrainienne a pu faire du stock. Dans ses derniers jours, l'administration de Joe Biden a expédié d'urgence des livraisons d’armes vers l'Ukraine, notamment des engins sophistiqués dont des missiles à longue portée ATACMS permettant de frapper profondément en territoire russe.

"Les Européens vont avoir beaucoup de mal à remplir cette case dans le court terme", concède Jean-Paul Paloméros.
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En réaction à l'annonce des États-Unis, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a dévoilé ce mardi un plan pour "réarmer l'Europe" qui doit lui permettre de mobiliser près de 800 milliards d'euros pour sa défense, et fournir une aide immédiate à l'Ukraine.

Un "boulevard" pour Vladimir Poutine

Sur le terrain, la guerre continue de semer la mort et la dévastation. "Les Ukrainiens consomment beaucoup d'armement en ce moment, le front est très actif", rappelle ainsi Jean-Paul Paloméros, qui parle notamment "d'obus et de tous ces équipements qui servent à assurer la défense du territoire comme la défense anti-aérienne".

Selon l'analyse par l'AFP des données fournies par l'Institut américain pour l'étude de la guerre (ISW), l'avancée russe dans l'est de l'Ukraine a de nouveau ralenti, avec un gain de seulement 389km² en février, après 431km² en janvier, 476km² en décembre et un pic à 725km² en novembre.

"Poutine n'est pas insensible à tout ça", commente également Jean-Paul Paloméros. Selon lui, le dirigeant russe "va encore augmenter la pression maintenant que les États-Unis lui laissent la main libre".

Olivier Ravanello, consultant politique étrangère BFMTV, ajoute également que la décision de l'administration Trump coïncide avec la fin proche de la "raspoutitsa", ce phénomène météorologique où la terre se transforme en boue en Ukraine, qui rend difficile l'avancée des positions militaires. "C'est un boulevard qui s'ouvre pour Poutine", note-t-il.

À cela s'ajoute le moral des Ukrainiens. "C'est un sacré coup pour ces gens qui se battent depuis trois ans", affirme Jean-Paul Paloméros. Et ce n'impacte pas uniquement les troupes. "Je suis très inquiète, ça concerne des munitions pour notre système de défense qui empêche les frappes sur nos villes", nous confie Sacha, une habitante de Kiev.

Salomé Robles