Guerre en Ukraine: l'accord sur la mer Noire, une première étape vers un arrêt des combats?

Un militaire de la Garde maritime du Service national des frontières de l'Ukraine avant d'entrer dans un port de la partie nord-ouest de la mer Noire, le 18 décembre 2023. - Anatolii Stepanov / AFP
Un petit pas en avant, tout en titubant. Les États-Unis ont annoncé ce mardi 25 mars avoir convenu avec la Russie et l'Ukraine d'une trêve en mer Noire avec la réactivation d'un accord permettant la navigation commerciale et les exportations de produits agricoles ukrainiens. Un moratoire sur les frappes visant les sites énergétiques a également été convenu.
Si c'est une première étape qui vise à engager une cessation des hostilités, dans les faits, rien ne garantit qu'elle débouchera sur un cessez-le-feu global, et en particulier terrestre, sur la ligne de front.
Premièrement, l'accord est flou et instable. Il y a une confusion quant à la date de son entrée en vigueur, Washington n'ayant fourni aucun calendrier. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky estime que l'accord est effectif depuis son annonce par les États-Unis mardi, quand la Russie de son côté a averti qu'elle ne s'y plierait que lorsque les sanctions occidentales visant ses exportations agricoles seraient levées. Une condition que les Européens ne semblent pas enclins à accepter et à laquelle s'oppose Kiev.
"L'accord n'est pas clair. Quand entre-t-il réellement en vigueur? Qui va contrôler le fait qu'il soit respecté? S'il n'est pas respecté, des sanctions sont-elles prévues?", s'interroge Ulrich Bounat, analyste géopolitique et chercheur associé au think thank Euro Créativ, contacté par BFMTV.com.
Une bonne volonté affichée
Dès ce mercredi matin, Kiev et Moscou ont dénoncé des attaques menées dans la nuit par chaque camp. Volodymyr Zelensky a déclaré que l'envoi de "117 drones" explosifs est "un signal clair" que la Russie ne veut pas d'"une véritable paix" et a fait état de maisons, magasins et infrastructures civiles endommagés" dans la région de Soumy (nord). Côté russe, les militaires ont accusé l'Ukraine d'avoir lancé des opérations contre des sites énergétiques. Ce que l'état-major de l'armée ukrainienne a démenti.
En acceptant cet accord, les deux belligérants "donnent l'impression de faire un pas en avant", souligne Ulrich Bounat. "Les Russes ne peuvent pas se permettre de dire non pour ne pas froisser Donald Trump, et pareil pour les Ukrainiens qui ne veulent pas voir l'épisode du bureau ovale se répéter", analyse-t-il.
Les Russes "font semblant de montrer de la bonne volonté vis-à-vis de Trump mais ils jouent la montre à fond", ajoute le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV.
Des yeux ukrainiens, la Russie agit ainsi pour pousser au maximum son avantage militaire sur le terrain. Malgré les lourdes pertes, l'armée du Kremlin continue en effet de grignoter du terrain et elle aimerait reconquérir entièrement la région de Koursk, sujette à une offensive de l'armée ukrainienne en territoire russe depuis août dernier.
"Cet accord sur la mer Noire ne change pas fondamentalement la volonté russe d'obtenir la défaite de l'Ukraine. On n'est pas dans la recherche d'un consensus", assure le général Jérôme Pellistrandi qui juge qu'il est "trop tôt pour savoir comment vont se dérouler" la suite des négociations.
Les Russes "jouent la montre" pour obtenir des concessions
D'après les experts, Moscou souhaite surtout faire traîner les négociations dans l'optique d'obtenir des concessions de plus en plus importantes de la part de Washington et in fine de Kiev.
"L'un comme l'autre, mais surtout la Russie fait tout pour ralentir au maximum les négociations afin d'obtenir le maximum de contre-partie. Les Russes ne disent jamais 'non', mais 'oui mais'", abonde le spécialiste de l'Ukraine Ulrich Bounat.
Selon le général Jérôme Pellistrandi, "c'est un classique de la diplomatie russo-soviétique", soit "des tous petits pas de leur côté mais de grosses concessions de la part de la partie adverse".
Il note d'ailleurs que cet accord en mer Noire est plus favorable aux Russes qu'aux Ukrainiens. Si les Ukrainiens voient leurs ports et navires commerçants régulièrement attaqués dans ces eaux, ce sont les Russes qui sont dans la plus mauvaise position sur cette partie du globe.
"La moitié de la marine russe est coulée en mer Noire, et l'autre se cantonne à l'est. L'accord leur permet de retrouver une certaine liberté de manœuvre", relève notre consultant défense. L'Ukraine a toutefois averti qu'elle considérerait que ce serait une violation de l'accord si les navires russes s'aventuraient au-delà de la partie orientale de cette mer.
"Le cessez-le-feu en mer Noire n'apporte rien à l'Ukraine. Flou, bancal, il n'est pas une avancée et ne va que permettre aux Russes de régénérer leur flotte...", constate de son côté le consultant en risques internationaux Stéphane Audrand sur X.
D'un point de vue militaire, "l'initiative sur la mer Noire semble inutile" car aucune bataille ne s'y déroule pointe auprès de l'AFP l'analyste russe Sergueï Markov.
"Un résultat de façade"
Les États-Unis semblent bien conscients de la stratégie russe. Même le président américain Donald Trump l'a reconnu ce mardi. "Je pense que la Russie veut en finir (avec la guerre), mais il se peut qu'elle traîne les pieds", a-t-il déclaré, malgré l'indulgence qu'il porte à la Russie depuis sa prise de pouvoir en janvier dernier.
"Washington semble prêt à lâcher beaucoup pour un résultat de façade", juge l'analyste géopolitique Ulrich Bounat. Donald Trump friand d'afficher ses réussites paraît prêt à se plier à la volonté russe.
Si un cessez-le-feu est négocié plus largement, le risque est qu'il soit aussi fragile que cet accord sur la mer Noire et les infrastructures énergétiques, sans garanti sur sa tenue. "Il ne vaudrait pas beaucoup plus que le papier sur lequel il est écrit", illustre le spécialiste. Un scénario autant redouté par l'Ukraine que ses alliés européens.