Conclave: plus de 1.000 jours, colère de la population… L'histoire de la plus longue élection d'un pape

Des cardinaux assistant à un Consistoire public ordinaire du pape le 5 octobre 2019 à la basilique Saint-Pierre au Vatican. - Tiziana FABI / AFP
Des journées décisives au Vatican. Mercredi 7 mai débute dans la chapelle Sixtine, l'élection, par les 133 cardinaux-électeurs, d'un nouveau pape pour succéder à François, mort le 21 avril dernier. Un conclave qui devrait être court: les cardinaux espèrent que le nom du nouveau souverain pontife sera connu en "trois jours maximum".
Une élection rapide donc, ce qui n'a pas toujours été le cas dans l'histoire du Saint-siège: au XIIIème siècle, un conclave a même duré plusieurs années.
Une élection de près de 3 ans
Nous sommes à Viterbe, au nord de Rome, en novembre 1268. Le pape Clément IV vient de rendre son dernier souffle. Il faut alors lui trouver un successeur: pour ce faire, dix-neuf cardinaux se réunissent en conclave dans le palais épiscopal de la ville, non loin de sa cathédrale. Mais entre eux, l'entente est loin d'être au beau fixe. Pire: il est impossible pour eux de se mettre d'accord, divisés entre nationalités et allégeances.
"Les ambitions personnelles des uns et des autres et la défense de leurs intérêts ou de ceux de leurs familles respectives empêchaient une entente rapide", résume l'historien Yves Chiron dans son ouvrage Les dix conclaves qui ont marqué l'histoire.
L'élection du pape va alors durer... près de trois ans. Une longue période de tumultes et de rebondissements, qui verra d'ailleurs la démission d'un cardinal et la mort de deux autres. Toutes les sources historiques de l'époque s'accordent sur un point: le conclave de 1268 est le plus long de l'histoire papale.
Pendant les quelque 1.006 jours que dure cette élection d'un nouvel évêque de Rome, les débats s'enchaînent, les négociations et les alliances sont impitoyables. Les sources de l'époque ne donnent pas le nombre de votes à avoir eu lieu pendant deux ans et neuf mois.
Toit arraché, "offenses et violences"
De quoi agacer la population de Viterbe, qui finit par perdre patience. La légende raconte que les citoyens en colère ont enfermé les cardinaux dans le palais épiscopal, dont les accès ont été murés et ses occupants privés de nourriture. Le toit de l'édifice aurait même été enlevé par les autorités de la ville. Des cardinaux malades auraient aussi été empêchés de quitter le bâtiment. Le tout pour presser l'élection d'un successeur à Clément IV.
En réalité, c'est le toit des cellules dans lesquelles dormaient les cardinaux qui a été ôté par la population, sans consultation avec les autorités de la ville, pour "laisser le Saint-Esprit pénétrer directement à l'intérieur". Été comme hiver. Dans son livre, Yves Chiron évoque également des "offenses et diverses violences" reçues pendant le conclave, témoignant des tensions de l'instant.
Tensions aggravées en 1271 avec l'assassinat, à Viterbe, de Henri de Cornouailles, neveu du roi Henri III d'Angleterre, dans une église de la ville par le militaire aristocrate Guy de Montfort sur fond de règlement de compte. Ce qui n'aura pas apaisé la population, et rallongé un peu plus la vacance du Saint-Siège.
Il aura fallu attendre plusieurs mois pour que, cette même année, les cardinaux parviennent à un accord: Tebaldo Visconti, qui n'était alors qu'un archidiacre et qui n'était pas présent à Viterbe, est élu pape. Il devient Grégoire X et règnera sur le Saint-Siège jusqu'à sa mort en 1276.
Le premier conclave moderne
Ce n'est qu'après cette élection que le mot conclave fait son apparition dans les écrits de l'époque. Grégoire X, par une constitution publiée en 1274, décide de réglementer l'élection papale, notamment ses conditions matérielles pour permettre qu'elle soit rapide - et oublier le mauvais souvenir du conclave passé.
C'est dans cette constitution qu'il est imposé aux cardinaux de se réunir dix jours maximum après la mort du pape, permettant à chacun d'arriver à bon port. Autre nouveauté: le maintien de l'isolement des cardinaux, dans une même salle, sans que personne ne puisse entrer ou sortir. Le mot conclave vient d'ailleurs du latin cum clavis, "fermé à clé".
Enfin, les écrits de Grégoire X prévoient de réduire drastiquement les rations de nourriture apportées aux protagonistes du conclave si aucun pape n'a été désigné après trois jours. Après cinq jours, ils ne recevraient plus que "du pain, du vin et de l’eau jusqu’à ce que l’élection se fasse", est-il inscrit.
Et à Yves Chiron de résumer: "cette constitution, intitulée Ubi periculum maius, marque l’institution officielle et canonique du conclave à peu près tel qu’il fonctionne encore aujourd’hui."