Grève contre la réforme des retraites: quand les grands-parents sont mobilisés

Une femme et un enfant devant une école élémentaire de Rouen (photo d'illustration). - Lou Benoist-AFP
Ils sont particulièrement mis à contribution depuis le 5 décembre. Dans bien des foyers, notamment franciliens, grands-pères et grands-mères ont été appelés à la rescousse alors que la mobilisation contre la réforme des retraites a perturbé le fonctionnement des écoles et des établissements de la petite enfance. Sans compter les problèmes de transports en commun aussi bien pour ces professionnels que pour les parents, impliquant une nouvelle logistique quant à la garde des enfants.
"Sportif et un peu rock'n roll"
Michèle Roudeau et son époux, grands-parents de Camille, 3 ans, et Joachim, 7 mois, ont ainsi mis leurs activités entre parenthèses pendant une dizaine de jours afin de venir en aide à leur fils et belle-fille. Ce qui a nécessité une certaine organisation: ils résident à Sainte-Geneviève-des-Bois, dans l'Essonne, à environ vingt-quatre kilomètres au sud-ouest de la capitale, alors que leurs petits-enfants sont à Montreuil, dans le Grand Paris, en Seine-Saint-Denis. Il n'était ainsi pas envisageable pour eux de faire les allers-retours en voiture tous les jours, au risque de passer plusieurs heures dans les embouteillages et de ne pas arriver à temps.
"Nous sommes venus chez notre fils le 4 décembre au soir en prévision de la grande mobilisation du lendemain, témoigne-t-elle pour BFMTV.com. Nous avons dormi chez eux et le 5, nous sommes rentrés chez nous au moment où il y avait le moins de monde sur la route avec nos deux petits-enfants. On ne savait pas dans quelle mesure la crèche et l'école seraient touchées les jours suivants, les informations tombaient au jour le jour, c'était difficile de prévoir à l'avance. Alors par mesure de précaution, nous nous sommes dits que le plus simple était de les garder chez nous pendant une semaine."
"Tout s'est bien passé", assure Michèle Roudeau, qui reconnaît tout de même être fatiguée. D'autant que Joachim se réveille encore la nuit. "C'est là que l'on s'aperçoit qu'entre 30 et 70 ans, il y a une différence, mais c'est un plaisir de passer du temps avec eux".
Cette semaine, ils ont de nouveau repris la route tard lundi soir et ont encore dormi chez leur fils et belle-fille alors que l'école et la crèche étaient fermées mardi. "C'est l'avantage des grands-parents à la retraite, nous sommes tout de même plus libres, et à deux c'est plus confortable pour s'occuper d'eux. Mais ça a quand même été sportif et un peu rock'n roll."
20% des enfants gardés régulièrement par mamie
Deux enfants de moins de 6 ans sur dix sont régulièrement gardés par leurs grands-parents, selon une étude de la la Drees publiée en 2018 et intitulée "Les grands-parents: un mode de garde régulier ou occasionnel pour deux tiers des jeunes enfants". Autre enseignement de cette enquête: quelque 42% de ces bambins sont gardés par leur papi ou leur mamie dans le cadre d'une solution de dépannage.
Pour le sociologue Serge Guérin, les grands-parents sont un maillon essentiel dans l'organisation de la famille.
"Chaque semaine, ils consacrent 23 millions d'heures à leurs petits-enfants, assure à BFMTV.com l'auteur de La Guerre des générations aura-t-elle lieu? Et encore, nous sommes dans un pays relativement bien équipé en crèches et structures d'accueil de la petite enfance. Je ne sais pas ce que cela donnera avec la réforme des retraites, mais aujourd'hui, les retraités ont plus de temps, sont en meilleure forme et davantage en capacité d'échanger."
Et selon lui, les aînés ne sont pas qu'une roue de secours en cas de problème. "Ils ne font pas qu'aller chercher les enfants à l'école, ils sont aussi un lieu de transmission", analyse ce spécialiste des questions liées au vieillissement de la société. Des échanges qui nourrissent le lien entre les générations, ajoute Serge Guérin.
"Avant, l'enfant apprenait de son grand-parent. Aujourd'hui, il y a une réciprocité dans les échanges qui fonctionnent dans les deux sens. Les aînés peuvent également faciliter la transmission, notamment de la parole. Ils sont plus âgés et peuvent à ce titre apparaître comme des juges de paix et accueillir les confidences qu'un enfant n'oserait pas faire à ses parents."
"On n'arrête pas"
Mathilde (son prénom a été modifié à sa demande afin de conserver son anonymat) dresse le même bilan. Cette grand-mère parisienne de 62 ans a été mise à contribution "presque tous les jours" depuis le début des grèves. Et se dit aujourd'hui "crevée". "D'autant que j'ai des soucis de santé, raconte-t-elle à BFMTV.com. J'ai dû annuler tous mes rendez-vous médicaux pour pouvoir m'occuper de mes petits-enfants. Là, j'ai le dos en compote."
Si cette sexagénaire et son mari ont l'habitude de s'occuper de trois de leurs cinq petits-enfants âgés de 6 mois à 5 ans tous les mercredis après-midi, elle admet que cette fois-ci, sur le long terme, le babysitting a été éprouvant. "Il y a les repas à préparer et à donner, les enfants jouent, pleurent, crient, font des bêtises et s'entraînent les uns les autres. On n'arrête pas."
Elle confesse même s'être mise à faire la sieste. "On a compté, mon mari et moi avons fait plus de 10.000 pas tous les jours." Car l'organisation est millimétrée: quand l'un va chercher la petite dans le 12e arrondissement, l'autre s'occupe des grands qui habitent le 11e. Heureusement, ces grands-parents résident à proximité. Ce qui n'a pourtant pas résolu tous les problèmes. "Sans transports en commun et avec une petite qui ne peut pas marcher quarante-cinq minutes à pied, on a dû prendre un véhicule avec chauffeur un soir pour la ramener, le prix des courses avait doublé." Depuis deux semaines, Mathilde et son mari ont ainsi mis sur pause leur emploi du temps.
"Un jour, ma fille m'a appelé pour me dire qu'elle ne trouvait pas de vélo à louer et qu'il fallait que j'aille le plus vite possible, au débotté, chercher le petit à la crèche qui fermait plus tôt à cause des grèves. J'ai dû mettre à la porte mon amie qui était venue prendre le thé."
Si cette grand-mère confie avoir hâte que les vacances arrivent, elle ne regrette rien. "C'est normal d'aider mes filles et puis passer du temps avec mes petits-enfants, ça permet de profiter d'eux, c'est maintenant que l'on peut créer des liens."