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Vérité, culture et injustice: quels étaient les pièges du bac de philo à éviter?

Un candidat au bac planche sur l'épreuve de philosophie, le 18 juin 2018 au lycée Pasteur à Strasbourg.

Un candidat au bac planche sur l'épreuve de philosophie, le 18 juin 2018 au lycée Pasteur à Strasbourg. - Frédérick Florin - AFP

Vérité, désir, injustice, art... Les candidats au bac planchaient ce lundi matin sur leur épreuve de philosophie. Le professeur Patrick Ghrenassia, agrégé de philosophie, a donné des premiers éléments de réponse au micro de BFMTV.com.

Les épreuves écrites du baccalauréat ont commencé ce lundi avec celle qui est souvent jugée comme la plus impressionnante: la philosophie. Lycéens des séries scientifique, littéraire, économique et sociale et technologiques avaient le choix entre deux sujets de dissertation et un commentaire de texte.

La vérité apparaît comme le thème central des sujets distribués cette année: "Toute vérité est-elle définitive?" en ES, "Peut-on renoncer à la vérité?" en L, "Quel besoin avons-nous de chercher la vérité?" en STHR ou encore "L'expérience peut-elle être trompeuse?" dans les autres séries technologiques.

La vérité, thème central

"Effectivement, quand on s'intéresse à l'actualité ou même à la philosophie, on pense à l'ère de la 'post-vérité'", concède Patrick Ghrenassia, professeur agrégé de philosophie, au micro de BFMTV.com.

"C'est effectivement une question critique, mais aussi indirectement une question politique. Est-ce que la politique peut se référer à une vérité, est-ce qu'on est dans le domaine de l'opinion et des croyances ? Peut-on renoncer, refuser une vérité? C'est quelque part un sens à la fois moral et politique", développe-t-il.

Interrogé sur le sujet de la filière ES, "Toute vérité est-elle définitive?", Patrick Ghrenassia répond "oui, bien sûr", mais dans un deuxième temps seulement.

"Si on se pose la question, c'est qu'il y a cette ère de 'post-vérité', l'idée que les vérités passent et changent et sont remplacées par d'autres. Toute l'histoire des sciences montre que la vérité est une série d'erreurs corrigées", rappelle-t-il.

Néanmoins, l'expert explique que si "les connaissances sont provisoires, mais l'idéal, le critère de vérité est définitif." Attention donc pour les candidats à "ne pas réduire la connaissance à la vérité". "Nous avons besoin d'un critère de vérité pour évaluer le progrès des connaissances", résume-t-il.

Et "peut-on renoncer à la vérité?" "On passe toute notre vie à renoncer à des vérités pour ne pas souffrir, c'est ce qu'on appelle des illusions", expose Patrick Ghrenassia.

"On se fabrique toute sa vie des illusions pour ne pas souffrir de la vérité", néanmoins, "quand on sait que c'est la vérité, on peut faire semblant d'y renoncer mais on ne peut pas refuser l'évidence". "C'est ce que disait Descartes et d'autres philosophes: l'évidence ne peut être refusée", rappelle-t-il.

L'art et la culture, marques d'humanité

"La culture nous rend-elle plus humain?", "Peut-on être insensible à l'art?" Deuxième sujet de poids dans cette épreuve de philosophie, la culture.

"La culture est ce qui se distingue de la nature, l'animal est censément resté au niveau de la nature", souligne le professeur. "Ce qui fait l'homme, c'est l'accès à la culture, au langage, à l'art, au sport, à la philosophie, à la religion…"

Une idée partagée par la plupart des philosophes à l'exception de Rousseau, utile pour l'antithèse.

"Il voit dans la culture, en particulier dans les arts, les spectacles, etc., un élément de corruption, d'immoralité de l'homme. Il y a une critique de la culture radicale chez Rousseau", concède Patrick Ghrenassia.

L'agrégé évoque aussi les événements historiques du XXe siècle tels le nazisme, qui peuvent venir enrichir la réflexion et "montrer que l'on peut être très cultivé et se comporter de façon barbare", malgré les enseignements et idéaux des Lumières.

Le désir

"Le désir est-il la marque de notre imperfection?", était une des questions proposées aux candidats de la filière scientifique. "Le désir est quelque chose qui provoque des frustrations, tout le monde a éprouvé l'insatisfaction, la déception à l'égard des désirs", développe Patrick Ghrenassia.

"On vit ça comme une imperfection, parce qu'on souhaiterait être heureux, c'est à dire avoir tous nos désirs satisfaits", entame-t-il, avant de nuancer: "mais en même temps on peut dire que le désir c'est la marque de l'humanité, dans sa perfection".

"La perfection humaine, c'est d'avoir des désirs toujours insatisfaits parce que ça permet de se perfectionner, d'avancer", relève le professeur de philosophie. "Avoir tous ses désires parfaitement satisfaits, ce serait être un ange, ou un sage."

En termes de penseurs à placer dans sa copie, Patrick Ghrenassia cite Platon, comme illustration du désir comme "la marque de notre imperfection". "C'est la grande idée des grecs dans l'Antiquité, qu'on trouve même chez Epicure."

"Pour l'antithèse, je me serais appuyé sur Spinoza", explique-t-il, "qui dit que tout être vivant est un être de conatus, d'effort pour tendre et persévérer dans son être". Pour le philosophe néerlandais, "la perfection est un idéal totalement impossible et utopique", si ce n'est qu'elle est "la réalité elle-même".

Justice et injustice

"Éprouver l'injustice, est-ce nécessaire pour savoir ce qui est juste?" Telle est la question sur laquelle pouvaient plancher les scientifiques. "Pour la traiter, il fallait partir de l'expérience de l'injustice, qui est la première expérience naturelle que tout enfant fait dès la famille ou dès l'école", explique à notre micro le professeur agrégé de philosophie.

"La question étant de savoir si on peut avoir une idée de la justice sans avoir éprouvé l'injustice, je dirais que la question est aussi de savoir si quelqu'un a pu parcourir une vie sans éprouver l'injustice", soulève-t-il.

Qu'est-ce qu'une bonne conclusion?

"C'est d'avoir le courage de sa pensée et de prendre parti dans le débat, si possible avec des arguments, toute question étant un débat contradictoire", conseille Patrick Ghrenassia. Il note aussi l'importance de "montrer l'enjeu philosophique de la question, dans l'introduction et la conclusion qui font symétrie".

"Ça rejoint parfois une question plus vaste qui est posée", ajoute-t-il: "Celle sur le désir pose par exemple la question de la condition humaine, de sa différence entre l'animal et l'ange, de la situation de l'homme dans l'univers."
Liv Audigane