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"Une série très juste": pourquoi des extraits d'"Adolescence" vont pouvoir être diffusés en classe

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La ministre de l'Éducation nationale, Élisabeth Borne, a annoncé dimanche que la série britannique "Adolescence" va être proposée comme support pédagogique à partir de la quatrième. Elle traite notamment des ravages sur les jeunes des contenus masculinistes sur les réseaux sociaux.

La ministre de l'Éducation nationale, Élisabeth Borne, a annoncé ce dimanche 8 juin que la série britannique Adolescence, qui traite des ravages sur les jeunes des contenus masculinistes sur les réseaux sociaux, va être proposée comme support pédagogique à partir de la quatrième.

Interrogée sur LCI, elle a expliqué que le producteur de la série diffusée sur Netflix "nous a ouvert les droits" et que le ministère de l'Éducation nationale allait donc "proposer cinq séquences pédagogiques aux jeunes à partir de cette série".

Ces extraits de la minisérie, déjà montrée dans les collèges et lycées britanniques, sont "très représentatifs de la violence qui peut exister chez des jeunes", et pourront être visionnés "avec un accompagnement pédagogique à partir de la classe de quatrième", a précisé Élisabeth Borne.

Une série sur l'influence du masculinisme

La série sortie en mars raconte l'histoire d'un adolescent britannique de 13 ans, arrêté dans sa petite ville anglaise et accusé d'avoir poignardé à mort l'une de ses camarades. Des interrogatoires au poste de police à sa confrontation avec une psychologue, les quatre épisodes décortiquent la plongée des enquêteurs dans l'idéologie masculiniste et la manière dont elle a pu influencer le jeune Jamie. La série évoque aussi la sidération de son entourage et l'impuissance de beaucoup d'adultes face à l'impact de réseaux sociaux qu'ils méconnaissent largement.

Le masculinisme désigne un mouvement hétérogène qui se caractérise par un antiféminisme poussé. La série souligne notamment l'influence de la mouvance des "incels", abréviation anglophone qui signifie "involontairement célibataire". Elle est composée d'hommes qui expriment une haine des femmes en ligne, responsables selon eux de leur insatisfaction sexuelle, qui vont parfois jusqu'à tuer pour cette raison. En 2014, à Isla Vista, en Californie, l'Américain Elliot Rodger a ainsi tué six personnes et blessé 14 autres, revendiquant vouloir se venger des femmes.

En France, le rapport annuel du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes constatait en janvier "une polarisation croissante d’une partie de la jeunesse" sur ces sujets. "D'un côté" se trouvent "des femmes plus sensibles au féminisme et de l’autre une partie des jeunes hommes plus sensibles à des positions sexistes très dures, aux discours masculinistes et aux mouvements réactionnaires et politisés", expliquait le rapport.

Disponible pour les adolescents britanniques

Outre Manche, le gouvernement avait déclaré fin mars que la série serait disponible gratuitement dans les collèges et des lycées britanniques pour susciter le débat et tenter d'"empêcher que les jeunes garçons soient entraînés dans un tourbillon de haine et de misogynie".

Maria Neophytou, responsable au sein de l'association britannique de protection de l'enfance NSPCC, avait alors estimé que cette décision de rendre le programme accessible aux élèves était une bonne chose. Mais "nous ne pouvons pas attendre des professeurs et des parents qu'ils fassent tout le travail", avait-elle averti.

"Les entreprises de la tech doivent maintenant faire du bien-être des enfants une priorité" et "il est de leur responsabilité de s'assurer que leurs plateformes et sites sont conçus pour être sûrs pour les jeunes utilisateurs", avait-elle insisté.

Des visionnages "accompagnés par les professeurs"

Lorsqu'en avril, Élisabeth Borne avait été interrogée sur la possibilité de diffuser la série dans les établissements scolaires français, la ministre n'y était pas favorable. "On a beaucoup de ressources pédagogiques", avait-elle dit, estimant également qu'il y a déjà "de bonnes séries françaises" sur le sujet, sans citer d'exemple.

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Laetitia Curetti, mère de famille rhodanienne, avait lancé en avril une pétition demandant à la ministre de diffuser la série dans les collèges et les lycées français pour donner aux élèves "les moyens de mieux comprendre les dangers des influences en ligne toxiques et du harcèlement sur les réseaux sociaux". Elle a depuis été signée par plus de 18.000 personnes.

Dimanche, elle a finalement affirmé que des supports comme Adolescence peuvent participer à la sensibilisation au problème de la "surexposition aux écrans et de la banalisation de la violence sur ces réseaux sociaux" ainsi que de la propagation de thèses masculinistes. La ministre n'a pas spécifié dans quel cadre la série pourrait être montrée, assurant seulement que les élèves seraient "accompagnés par les professeurs" dans leur visionnage.

Une série "très juste"

Ynaée Benaben, directrice générale d'En avant toute(s), association, salue auprès de BFMTV.com la décision de la ministre. "Chez En avant toute(s), nous reconnaissons l'intelligence avec laquelle la série est menée. Elle donne à voir une banalisation et une intériorisation d'une domination masculine par tout un environnement", affirme-t-elle.

La série "est très juste, les propos du personnage principal ou ceux qu'elle montre sur les réseaux sociaux, nous, on les entend" lors des ateliers que mène l'association dans les collèges et les lycées sur les sujets d’égalité et de sexisme, ajoute Ynaée Benaben.

L'association estime toutefois que son message passe, le visionnage de la série doit être accompagné: "il y a besoin d'y avoir des personnes à côté pour décrypter" et "aider les jeunes à prendre le recul nécessaire" affirme Ynaée Benaben. Pour ce type d'outil, En avant toute(s) utilise par exemple dans les établissements scolaires la méthode du "théâtre forum".

Après avoir regardé un extrait, les élèves vont le rejouer ensemble pour aborder toutes les manières qu'il existe de réagir à une situation donnée. Ainsi, les intervenants "aident les élèves à réfléchir" et les "informent de ce qui est interdit et de ce qui est autorisé dans la société".

Une série concentrée sur le point de vue de l'auteur

De son côté, le collectif #NousToutes est "extrêmement sceptique" sur cette annonce d'Élisabeth Borne. Marie, militante au sein du collectif féministe, souligne auprès de BFMTV.com qu'à l'origine, la série n'a pas été créée pour "faire de la pédagogie pour des adolescents" mais qu'elle est destinée au grand public. Elle juge la série "pas adaptée" car basée sur "beaucoup d'insinuations": "il faut avoir une certaine maturité intellectuelle pour la comprendre. Tout est assez subtil et c'est la force de la série... Pour un public adulte".

Et #NousToutes déplore que l'œuvre se concentre presque uniquement sur Jamie, l'auteur du meurtre, et sa famille. "Il manque la parole de la victime, de sa famille", ce qui "participe à l'invisibilisation des personnes concernées", estime Marie.

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En avant toute(s) souligne aussi qu'il ne suffit pas d'une séance pour déconstruire les croyances et préjugés sexistes que peuvent avoir des collégiens ou des lycéens. Un nouveau programme sur l'éducation à la vie relationnelle et sexuelle (Evars) a été officiellement publié début février, après des concertations depuis mars 2024.

Prévu pour s'appliquer à partir de septembre 2025, il prévoit "au moins trois séances annuelles spécifiques obligatoires" dans l'ensemble des écoles, collèges et lycées, publics comme privés sous contrat. Ces séances étaient jusque-là théoriquement imposées par la loi depuis 2001, mais de fait peu réalisées. Le collectif Nous Toutes est "très inquiet" de la mise en œuvre de ce programme, pour lequel il "manque des professeurs et de l'accompagnement": "cette annonce sur Adolescence, c'est un moyen de noyer le poisson" sur le manque de moyens dédiés à l'Evars, affirme Marie.

Sophie Cazaux