Sarkozy et Kadhafi, une relation marquée par les zones d'ombres

Visite de Mouammar Kadhafi à Paris, en décembre 2007. - Eric Feferberg - AFP
Quelle relation Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi ont-ils entretenu? L'ancien chef de l'Etat français a été mis en examen dans le cadre de l'enquête sur les soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007. L'occasion d'un voyage dans le temps, marqué par les zones d'ombres, dont Mediapart a tenter de révéler les secrets au cours de plusieurs années d'enquête.
En 2005, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, voit échouer un juteux marché d'armement avec l'Arabie Saoudite. Ziad Takieddine, marchand d'armes franco-libanais et "ami" du ministre censé jouer l'intermédiaire dans ce marché, change de stratégie. Son idée est désormais de rapprocher Nicolas Sarkozy des dirigeants libyens.
En septembre 2005, il organise une première visite à Tripoli de Claude Guéant, alors directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur. Dans une note préparatoire retrouvée par la police et citée par Mediapart, il qualifie cette visite "d'extrême importance" qui doit "revêtir un caractère secret". Claude Guéant est censé "évoquer l'autre sujet important, de la manière la plus directe" avec ses interlocuteurs. On n'en saura pas davantage.
Un entretien sans témoin
La première rencontre officielle a lieu lorsque Nicolas Sarkozy part à son tour le 6 octobre 2005 à Tripoli. Il y est pour moins de 24 heures, mais prend le temps de rencontrer Mouammar Kadhafi lui-même. Officiellement, le ministre français de l'Intérieur vient discuter de lutte contre les flux migratoires. L'entretien a d'abord lieu entre collaborateurs français et libyens, puis les deux hommes se parlent en tête-à-tête, accompagnés de deux traducteurs. Nicolas Sarkozy a-t-il, à ce moment, sollicité le soutien financier du Guide libyen pour sa campagne électorale? Les enquêteurs tenteront plusieurs fois de le savoir, en vain. La traductrice de Nicolas Sarkozy est tenue au secret professionnel.
Ziad Takkiedine est de tous les déplacements en Libye de Nicolas Sarkozy. Il évoque devant les enquêteurs la rencontre, toujours ce 6 octobre 2005, entre Nicolas Sarkozy et Abdallah Senoussi, chef des services secrets libyens et considéré par la justice française comme le principal organisateur de l'attentat contre un avion d'UTA en 1989, au cours duquel 54 Français avaient été tués. Selon Ziad Takkiedine, Nicolas Sarkozy aurait promis l'amnistie pour Abdallah Senoussi. Mediapart affirme que jusqu'à 2009, Nicolas Sarkozy aura multiplié les tentatives de le grâcier.
Une tente bédouine à l'hôtel Marigny
Le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy est élu président de la République. Dès le soir de son élection, il a un mot pour les infirmières bulgares "enfermées depuis huit ans" en Libye. Le 24 juillet suivant, à l'issue de semaines de négociations, Mouammar Kadhafi autorise la libération des infirmières. Le président français part pour la Libye, où il rencontre une nouvelle fois le Guide libyen, avant d'accompagner lui-même les infirmières dans un avion français qui les ramène dans leur pays.
Cinq mois plus tard, en décembre 2007, Mouammar Kadhafi est invité en France. L'homme fait tousser les diplomates lorsqu'il annonce installer sa tente pendant six jours dans la résidence officielle de l'hôtel Marigny, une dépendance de l'Elysée, à Paris. Il ne s'agit pas d'une visite d'Etat officielle, mais Kadhafi est reçu par Nicolas Sarkozy et convié à un dîner à l'Elysée en compagnie du Président, de ministres et de nombreux industriels. Il y en a pour "une dizaine de millions d'euros de contrats", selon les mots du président de l'époque. C'est la dernière fois qu'on le voit à Paris.
Nicolas Sarkozy, lui, se rend une nouvelle fois en Libye, en septembre 2011, alors que le pays est en proie à une intense guerre civile. Mouammar Kadhafi a été chassé du pouvoir et a pris la fuite. Nicolas Sarkozy dit alors de lui qu'il est "un danger" et qu'en Libye, il y a "un travail à terminer". Le 20 octobre 2011, l'ancien Guide déchu est déclaré mort après des échanges de tirs.