Réforme des retraites: la perspective de l'utilisation du 49.3 se rapproche

C'est comme une bataille à front renversé. Tandis que l'Assemblée nationale examine dans son hémicycle depuis le début de la semaine le projet gouvernemental de réforme des retraites, l'opposition de gauche joue l'enlisement, histoire de retarder au maximum l'adoption d'un texte qu'elle n'est en principe pas en mesure d'empêcher, et la majorité, numériquement assurée de l'emporter sur le fond, craint déjà d'être acculée à la faute technique. 41.000 amendements ont ainsi été déposés en commission, essentiellement par les insoumis et les communistes, ainsi qu'une foultitude de sous-amendements en séance. Selon la moyenne calculée par l'Agence France Presse ce vendredi, les députés ne traitent qu'une vingtaine d'amendements par heure.
Un rythme qui exigerait, selon le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand, 150 jours de travaux pour épuiser l'ensemble des objections soulevées par les opposants au document. Un délai qui ne paraît pas envisageable, d'autant que l'exécutif souhaite un vote avant les municipales, dont le premier tour est fixé au 15 mars. Dans un cadre si contraint et si resserré, la perspective d'une mise en pratique de l'alinéa 3 de l'article 49 de la constitution, qui permet au gouvernement de faire adopter sans vote le texte qu'il soumet aux parlementaires moyennant l'engagement de sa responsabilité, prend du poids.
L'option de plus en plus plausible mais une partie de la majorité freine
Mais ce coup de Jarnac constitutionnel a quelque chose de piégé. Lors de la dernière mandature, Manuel Valls, alors Premier ministre, s'était aliéné son camp en l'employant pour surmonter les doutes ponctuels d'une majorité parfois rétive. Notre éditorialiste politique, Nicolas Prissette, a cependant relevé ce vendredi que la situation était désormais différente:
"Le gouvernement a bel et bien une majorité mais il se retrouve face à des tactiques, une stratégie politique du Parti communiste conduisant à allonger considérablement les débats. Le gouvernement juge qu’il est dans une situation d’obstruction et pourrait, ce n’est pas encore confirmé, utiliser le 49.3."
Ce dernier recours fait peur. Ce vendredi, dix députés, dont six émargeant à La République en marche, ont signé une tribune dans laquelle ils cherchaient à dissuader le pouvoir d'appuyer sur le bouton, tout en développant la même analyse du comportement de la gauche. "Si nous déplorons l’attitude de certaines oppositions (…) qui empêchent la tenue d’un débat intelligible et productif, nous nous opposons avec la même ferveur à l’utilisation du 49.3. Ce serait refuser le débat que nous appelons inlassablement de nos vœux depuis plusieurs mois", y proclament-ils notamment.
Des élus se font à l'idée
"Je ne pourrai pas vendre le 49.3, qu’ils ne comptent pas sur moi pour assurer le service après-vente", a même confié une députée de la majorité, sous couvert d'anonymat, à notre antenne. Un autre, plus fataliste, a posé: "La question, ce n’est plus de savoir s’il y aura un 49.3 mais quand". D'ailleurs, petit à petit, des députés LaREM semblent en prendre leur parti, et se rabattre sur une option des plus simples: mettre l'éventuel utilisation du 49.3 sur les épaules des membres des groupes gauche démocrate et républicaine (GDR) et insoumis. Ainsi, devant nos caméras, Christine Verdier-Jouclas, élue dans le Tarn, a lancé:
"Nous, on veut débattre, nous, on veut avancer, parler des articles. C’est eux qui refusent le débat. Donc, si on arrive au 49.3, mon but c’est d’expliquer à mes administrés que nous, on n’a pas pu faire autrement. Ils en prendraient la responsabilité. Je refuserai moi de prendre la responsabilité."
La France insoumise dénonce le "LBD parlementaire"
Leurs adversaires politiques et néanmoins collègues voient bien sûr les choses différemment. Pour Jean-Luc Mélenchon, ce vendredi, la profusion d'amendements ne sert qu'un but: briser la glace et forcer à ouvrir de réelles discussions.
"Il n’y a ici cette ambiance que parce que nous vivons sous la menace d’un 49.3. Nous savons depuis le premier jour que nous ne pouvons examiner les 55 articles d’une loi aussi importante, avec un nombre raisonnable d’amendements. Nous savons depuis le début que ça ne tiendra pas en 15 jours. Nous sommes donc obligés d’en déposer beaucoup pour obliger à discuter les premiers articles", a-t-il dit.
Son confrère, élu dans le Nord, Adrien Quatennens, commence lui à fourbir ses armes rhétoriques: "Avec le 49.3, ils sont en train de préparer les esprits à ce qui est une arme antidémocratique, en quelque sorte un LBD parlementaire. Après la répression à l’extérieur, ce serait la répression à l’intérieur : pas de vote de l’Assemblée nationale. Ce serait véritablement une déflagration démocratique."
Il y a du K.O. dans l'air et le gong pourrait retentir très bientôt. C'est en Conseil des ministres que l'emploi de l'article 49.3 doit être décidé. Le prochain se réunit mercredi.