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RN renforcé, LR fragilisé... À quoi ressemblerait l'Assemblée nationale si la proportionnelle était appliquée demain?

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François Bayrou compte soumettre aux députés une version de ce mode de scrutin pour les législatives proche de celle utilisée en 1986. BFMTV.com a simulé à quoi ressemblerait l'hémicycle si les Français étaient appelés aux urnes avec ce changement majeur.

Promesse de campagne d'Emmanuel Macron en 2017 puis en 2022, la proportionnelle aux législatives va-t-elle finalement voir le jour? C'est en tout cas l'intention de François Bayrou qui en est un des farouches défenseurs. Après avoir lancé des consultations avec les forces politiques, le Premier ministre a annoncé ce mardi sur BFMTV qu'il "proposerait à l'Assemblée nationale d'examiner cette question".

Le chef du gouvernement souhaite s'appuyer sur les modalités utilisées en 1986 pour la seule élection à la proportionnelle utilisée sous la Ve République.

Une Assemblée très émiettée

Aujourd'hui, chaque électeur vote dans la circonscription où il réside pour élire un député qui représente son territoire. Pour être élu au premier tour, il faut réunir plus de 50 % des suffrages exprimés représentant au moins 25 % des inscrits sur les listes électorales.

Si cela n'arrive pas - seuls 76 candidats ont été élus dans ce cas de figure lors des dernières législatives - il faut réunir au moins 12,5% du nombre des électeurs inscrits pour se qualifier au second tour. Pour être finalement élu, il faut obtenir au moins 50% au second tour.

Des critères chamboule-tout

La proportionnelle changerait profondément la donne. Ce mode de scrutin permet de répartir les sièges en fonction du pourcentage obtenu par chaque parti avec un seul tour. Si François Bayrou décide de s'inspirer totalement de 1986, le seuil de représentation serait fixé à 5%. Concrètement, une liste qui récolterait moins de 5% des voix ne pourrait pas entrer à l'Assemblée nationale.

En 1986, le scrutin avait également été organisé de façon départementale. Cela signifie que tous les députés seraient désormais répartis en fonction des résultats obtenus par chaque liste au niveau départemental au lieu de dépendre de leur score dans chaque circonscription.

Plus concrètement et à titre d'exemple, le département du Nord a fait élire 21 députés en 2024 dans 21 circonscriptions. Dans le modèle de 1986, ces 21 députés seront choisis sur les listes départementales des partis politiques, en fonction des scores reçus par chaque formation pendant le scrutin.

Enfin, le Premier ministre a expliqué sur notre antenne "ne pas vouloir de prime au premier", ce qu'on appelle une prime majoritaire. Cette expression signifie qu'une partie des sièges de députés est réservée à la liste arrivée en tête à l'issue des élections législatives. Ce calcul est déjà utilisé pour les élections municipales pour dégager plus facilement des majorités.

Le RN très renforcé avec la proportionnelle

Avec les modalités présentées par le chef du gouvernement, BFMTV.com a simulé le résultat d'une élection à la proportionnelle en se basant sur les résultats du premier tour des législatives de l'été 2024.

Concrètement, le Rassemblement national sortirait largement renforcé de ce nouveau mode de scrutin avec 79 députés de plus. Il compterait 219 élus en intégrant les troupes d'Éric Ciotti contre actuellement 139.

Tous les autres partis sortiraient perdants de ce nouveau mode de scrutin, à commencer par Les Républicains qui s'estiment en position de force depuis la victoire de Bruno Retailleau à la tête de leur mouvement. Alors qu'ils sont actuellement 67, leur nombre passerait à 22.

Quand à l'union de la gauche qui compte actuellement 192 députés, elle récolterait 176 députés. Il est compliqué de donner le détail de la représentation des forces insoumises, écologistes, communistes et socialistes, fondée sur une répartition des circonscriptions à un instant T.

Même topo pour le camp présidentiel. Renaissance, Horizons et le Modem comptent actuellement 163 députés. Après la proportionnelle, les députés qui se présenteraient sous l'étiquette Ensemble qui réunit toutes ces forces, n'auraient plus que 115 députés.

Aucune majorité absolue, des accords très compliqués

Autre enseignement de cette simulation: aucune majorité absolue ne sortirait des urnes. Le RN, largement en tête avec 219 voix, aurait plusieurs possibilités. Il pourrait décider de chercher des accords texte par texte avec les différentes forces politiques, ce que s'était atteler à faire la Première ministre Élisabeth Borne de 2022 à 2024.

Le calcul n'est pas impossible, mais reste compliqué. Pour l'instant, de très rares accords locaux se sont noués notamment dans les années 1990. Récemment, Éric Ciotti, alors président des LR, n'avait pas réussi à emmener largement ses députés avec lui à la faveur d'un accord avec Marine Le Pen à l'été 2024.

Autre possibilité: nouer un accord avec d'autres mouvements. Mais l'arithmétique rend compliqué cette stratégie. Les 22 députés LR ne suffiraient pas. Quant à une alliance avec Renaissance ou le NFP, elle semble très improbable. Une telle configuration pourrait donc déboucher sur une absence de textes législatifs pendant des mois, faute de soutien suffisant dans l'hémicycle.

Le risque d'instabilité politique

Quant à la question du budget de l'État et de la sécurité sociale, on imagine mal le RN parvenir à un accord sur des textes aussi symboliques. Le mouvement serait donc obligé de dégainer l'article 49.3 de la Constitution pour parvenir à les adopter sans vote. Mais la manœuvre ouvrirait la voie à des motions de censure en pagaille avec le risque de la démission du Premier ministre.

Dans ce cas, le pays se retrouverait sans budget comme cela a été le cas en décembre dernier avec la démission de Michel Barnier. Le scénario pourrait alors entraîner une nouvelle dissolution avec l'espoir de dégager une majorité et parvenir à trouver un budget.

Mais le spectre de l'instabilité politique continuerait alors de roder, avec le risque qu'elle soit quasi-permanente. Rien n'empêcherait cependant les députés de faire marche arrière et de revenir à la formule électorale actuelle, celle du scrutin uninominal majoritaire à deux tours.

Marie-Pierre Bourgeois avec Théophile Magoria