Trafics de drogue: "union nationale" attendue au Sénat sur la lutte contre les narcotrafics

Les sénateurs réunis pour examiner le projet de budget de l'Etat, le 23 janvier 2025, au Sénat à Paris - Ludovic MARIN © 2019 AFP
Une rare unanimité et une boîte à outils judiciaire et policière pour "répondre à la menace" et "réarmer" la France face aux trafics de drogue. Le Sénat s'empare ce mardi 28 janvier d'une proposition de loi largement soutenue par le gouvernement, la gauche et la droite pour lutter contre le narcotrafic, un fléau en pleine accélération dans l'Hexagone.
Portés par le sénateur Les Républicains Étienne Blanc, un proche de Laurent Wauquiez et son collègue socialiste Jérôme Durain, ce texte, qui devrait être voté sans aucune difficulté d'ici la fin de journée, vise à traduire dans la loi les recommandations d'une commission d'enquête transpartisane sur le trafic de drogue rendues en avril 2024.
Un phénomène tentaculaire
Ces débats auront lieu alors que le marché de la cocaïne est en passe de dépasser celui du cannabis en France. Ces dernières années, "le piège du narcotrafic", pour reprendre l'expression des deux parlementaires, dépasse désormais largement les frontières franciliennes et marseillaises.
Il s'est désormais étendu ces dernières années à des villes moyennes comme Valence, Rennes, Mulhouse ou Verdun avec des conséquences souvent dramatiques.
Plusieurs faits divers ont choqué la France, de la jeune Socayna, assassinée d'une balle perdue en 2023 alors qu'elle étudiait dans sa chambre à Marseille à un enfant de 5 ans à Rennes, gravement blessé après une fusillade à l'automne en passant par la mort du jeune Nicolas en Ardèche en novembre dernier.
Un parquet spécialisé
Pour lutter contre le narcotrafic, qui ramènerait entre 3,5 et 6 milliards d'euros par an en France, les sénateurs proposent d'abord la création d'un parquet spécialisé dans la lutte contre le trafic de drogue, proche du fonctionnement du parquet national antiterroriste. Il a déjà été annoncé à l'automne dernier par le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau et son collègue de l'époque à la Justice Didier Migaud.
Les pouvoirs de l'office anti-stupéfiants doivent également être renforcés. Il serait placé "sous la double tutelle des ministères de l’Intérieur, et de l’Économie et des finances" avec "une compétence exclusive sur les crimes liés au narcotrafic".
La fermeture de commerces pour blanchir de l'argent
Seconde avancée de cette proposition de loi: la réforme du statut du repenti, ces anciens trafiquants de drogue qui donnent des informations à la police afin "d'encourager les dénonciations des réseaux criminels".
Il devrait désormais être étendu à ceux qui ont commis des crimes violents, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici et renforcer son attractivité en permettant "une réduction de peine en échange d'informations".
Autres mesures que la chambre haute compte voir adopter: le renforcement de la lutte contre le blanchiment d'argent avec, par exemple, la fermeture administrative de commerces de façade qui permettent de blanchir de l'argent.
Les enquêtes liées aux patrimoines dans le cadre des investigations liées au narcotrafic doivent également être systématisées tout comme le gel des avoirs des narcotrafiquants.
"Des techniques" proches "des cartels sud-américains"
Autant d'avancées qui doivent permettre de limiter le narcotrafic qui prolifère par "l'importation sur le sol français de techniques des cartels sud-américains". Elle "menace les intérêts fondamentaux de la nation", peut-on lire dans le rapport de la commission d'enquête du Sénat.
Si Bruno Retailleau, longtemps président des sénateurs LR au Sénat, a fait de ce sujet l'un de ses chevaux de bataille, dénonçant notamment "la mexicanisation" de la France en matière de drogue, c'est bien le Parlement qui a la main.
Il faut dire que le sujet, sur la table depuis plusieurs années, a été mis à l'arrêt par la dissolution. Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti planchait par exemple depuis des mois sur l'évolution du statut de repenti avant que les législatives anticipées ne viennent rebattre les cartes.
"Unité nationale" contre le narcotrafic
Depuis, l'instabilité politique règne avant pas moins de trois Premiers ministres depuis les dernières élections. Manifestement soucieux d'avancer, le gouvernement a donc préféré laisser la main au Sénat, tout en suivant de près le dossier.
Le ministre de la Justice Gérald Darmanin a ainsi appelé dans les colonnes du Parisien fin décembre à "l'unité nationale" dans la lutte contre le narcotrafic, comme cela avait pu être le cas "pendant 10 ans pour la lutte contre le terrorisme".
Le garde des Sceaux a également longuement reçu les procureurs ce lundi leur demandant de "la fermeté" avant de recevoir mercredi des maires dont les communes sont gangrenées par des trafics de drogue.
Vendredi dernier, l'ex ministre de l'Intérieur qui avait déjà annoncé vouloir la création d'une prison pour les 100 plus gros trafiquants de drogue, a précisé à Agen qu'elle serait ouverte dès le "31 juillet prochain".
Pas de mesure clivante
L'actuel locataire de la place Beauvau Bruno Retailleau a avancé de son côté sur Europe 1 ce lundi vouloir "réarmer l’État pour que cette guerre soit implacable et totale".
Mais les sénateurs ne vont pas débattre de mesures de durcissement judiciaires, qui, elles, auraient pu largement cliver et empêcher l'adoption de l'ensemble des mesures proposées par la chambre haute. Le palais du Luxembourg n'a par exemple pas repris à son compte la fin à l'excuse de minorité pour les délinquants mineurs dans "les cas les plus graves", réclamée par le député et ex-Premier ministre Gabriel Attal.
"On a fait du tout répressif pendant des années et la consommation n'a fait qu'augmenter. Il faut qu'on utilise d'autres outils maintenant", résumait à la sortie de la commission d'enquête le sénateur Jérôme Durain auprès de BFMTV.com.
Une fois adoptées au Sénat, ces propositions de loi sur le narcotrafic devraient arriver à l'Assemblée nationale mi-février et être là encore largement votées avec l'espoir d'une application concrète rapidement.