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Consensus, "forte émotion"... Comment se décident les minutes de silence à l'Assemblée nationale?

L'Assemblée nationale observe une minute de silence en hommage à Aboubakar Cissé, le 29 avril 2025.

L'Assemblée nationale observe une minute de silence en hommage à Aboubakar Cissé, le 29 avril 2025. - BFMTV

Une minute de silence a été organisée ce mardi à l'Assemblée après avoir pourtant été écartée dans un premier temps par Yaël Braun-Pivet. Si des règles précises ont été fixées en janvier dernier pour cadrer les hommages, ces hommages restent à la discrétion de la locataire du Perchoir.

Une minute de silence qui a tourné à la cacophonie. Les députés ont rendu hommage ce mardi dans l'hémicycle à Aboubakar Cissé, un jeune homme tué ce vendredi dans une mosquée du Gard. Mais ce temps de recueillement avait pourtant été écarté dans un premier temps par la présidente de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet.

Longtemps fixées sans règle précise, ces minutes de silence sont désormais encadrées par la conférence des présidents. Cet organe qui réunit notamment tous les présidents de groupe et les présidents de commission cherchait alors à mettre fin à ce que la patronne de l'institution avait qualifié "d'excès dans ce domaine".

Besoin d'un accord entre tous les groupes

Jusqu'ici, il n'existait pas de procédure explicite dans le règlement de l'Assemblée nationale. L'article 48 précise simplement qu'elle fixe "son ordre du jour sur proposition de la conférence des présidents".

Dans les faits, l'usage, qui n'est en rien une obligation, veut que pour organiser un hommage à l'Assemblée, un groupe politique en fasse explicitement la demande.

Mais une autre condition est jugée nécessaire par les us et coutumes parlementaires pour qu'une minute de silence ait lieu: l'accord de tous les groupes lors de la conférence des présidents qui réunit toutes les tendances politiques de l'Assemblée nationale. En cas de désaccord, la minute de silence n'est pas accordée... en principe du moins.

Plusieurs précédents

C'est arrivé à plusieurs reprises ces dernières années. Exit par exemple la demande du groupe LFI d'organiser un hommage aux 102 collaborateurs de l'ONU morts à Gaza depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas en novembre 2023 ou pour les deux Français morts dans les bombardements au Liban en octobre 2024, à nouveau demandé par la présidente des députés insoumis Mathilde Panot.

Si les chiffres ne montent pas une forte inflation des minutes de silence ces dernières années - on en décompte 4 en 2024, 6 en en 2023 ou encore 3 en 2022 -, leurs refus ont régulièrement été critiqués par LFI ou encore le RN qui avait espéré une minute de silence pour le jeune Elias, agressé pour son téléphone et tué à Paris en janvier.

Des minutes de silence "automatiques"

Les règles sont désormais, sur le papier du moins, très claires. La minute de silence a "vocation à être systématique pour les militaires, gendarmes ou policiers tués en service", indique le document qui encadre les minutes de silence et sur lequel s'est mis d'accord la conférence des présidents.

Autre cas dans lequel la minute de silence est "systématique: "les décès de personnalités importantes du monde politique français, les actes de terrorisme en France et pour ceux d'ampleur commis à l'étranger".

Une minute de silence a par exemple été observée pour l'ancien président de l'Assemblée nationale Jean-Louis Debré, décédé en février dernier.

Des hommages en cas de "forte émotion"

Mais pour les autre cas, les règles sont plus floues: "pour les autres événements, le choix de rendre un hommage doit correspondre à un moment important pour la nation, qu'il s'agisse d'un drame suscitant une forte émotion ou d'un événement particulièrement heureux ou symbolique".

"La conférence des présidents s'est accordée pour ne plus organiser de minute de silence relative à un cas particulier", peut-on encore lire dans le document qui résume les règles.

Reste donc à définir ce que les députés considèrent tomber dans l'escarcelle de cette définition. Dans le cas de la minute de silence pour Aboubakar Cissé, le RN a expliqué craindre "l'instrumentalisation par la gauche d'une décision qui respecte les règles fixées par l'Assemblée", lors de la réunion de la conférence des présidents auprès de BFMTV.

Sur le papier, l'hommage n'aurait donc pas dû avoir lieu, faute de consensus entre tous les groupes sur le sujet. Mais cela n'a pas empêché Yaël Braun-Pivet de finalement décider de l'organiser, sous pression des socialistes qui ont publiquement fait savoir ne pas comprendre ce choix.

"Je pense qu'elle n'a pas eu envie d'une polémique sur le sujet alors que la gauche était dans son ensemble très mécontente. Mais la procédure est un peu cavalière une fois que le bureau a dit non", remarque un député macroniste.

Des refus à géométrie variable

Autre exemple qui montre que la présidente de l'Assemblée nationale a une grande marge de manœuvre sur le sujet: la minute de silence organisée pour un agent du fisc tué lors d'un contrôle chez un brocanteur en novembre 2022.

Yaël Braun-Pivet avait accédé à une demande spontanée de la députée écologiste Sandrine Rousseau en plein hémicycle de faire une minute de silence en sa mémoire, sans donc demander l'aval de la conférence des présidents.

Quelques mois plus tard, Yaël Braun-Pivet a pourtant refusé la demande d'Aymeric Caron, député apparenté insoumis, faites dans les mêmes conditions, mais cette fois-ci en mémoire de migrants morts lors d'un naufrage au large des côtes grecques.

"Cette idée est formidable, mais la conférence des présidents est là pour ça, pour que nous puissions décider collectivement des moments dans lesquels, dans cet hémicycle, nous honorons les personnes disparues", lui avait-elle alors répondu.

"Elle y va si elle estime que c'est dans son intérêt"

La titulaire du Perchoir avait par ailleurs décidé d'elle-même une minute de silence pour les victimes de l'attaque d'Annecy en juin 2023.

"Tout ça est très politique. On voit bien que quand c'est consensuel, on y va sans problème. Quand la minute de silence reflète une vision plus politique de la société, Yaël Braun-Pivet marche sur des œufs et donc elle y va si elle estime que c'est son intérêt", souligne un conseiller ministériel, bon connaisseur du Parlement.

Le sujet n'a cependant rien de nouveau. En 2014, Cécile Duflot, alors députée écologiste avait demandé une minute de silence pour Rémi Fraisse, un militant tué par un tir de grenade d'un gendarme sur le chantier du barrage de Sivens.

À l'époque, les Verts faisaient partie du gouvernement socialiste et avaient accusé Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'Intérieur, d'avoir mal géré la situation. Le président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone avait refusé dans la foulée de rendre hommage à Rémi Fraisse dans les murs du Palais-Bourbon.

Marie-Pierre Bourgeois avec Théophile Magoria