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Assemblée nationale: les débats violents, un classique de la vie politique?

Olivier Dussopt et des députés à l'Assemblée nationale le 13 février 2023

Olivier Dussopt et des députés à l'Assemblée nationale le 13 février 2023 - Ludovic MARIN / AFP

Après plusieurs incidents dans l'hémicycle, la majorité présidentielle accuse la Nupes d'une "stratégie consciente d'appel à la haine". Interruptions de séance, sanctions, invectives... La violence verbale semble se multiplier à cause du nouveau visage de l'Assemblée. Pourtant, l'histoire de la 5ème République est émaillée de vives passes d'armes.

"Une violence inouïe" pour Éric Woerth", "inacceptable que l'on continue dans un tel climat de violence verbale", avance Aurore Bergé... Après la multiplication des incidents de séance ces derniers jours, en plein examen du projet de loi sur la réforme des retraites, la macronie dénonce la tension maximum à l'Assemblée nationale. Le phénomène n'a pourtant rien de nouveau.

"C'est vrai que des débats agités sont le propre de l'hémicycle. Mais là, on atteint des choses qui vont bien au-delà. On est désormais dans une stratégie consciente d'appel à la haine", dénonce un proche de Franck Riester, le ministre délégué des relations avec le Parlement, auprès de BFMTV.com.

"Vraiment rien de rare"

Preuve que les échanges sont très vifs dans l'hémicycle et que le regard des députés a évolué en la matière: en seulement 3 mois, le député RN Grégoire de Fournas et le député LFI Thomas Portes ont écopé de la sanction la plus lourde possible exécutée par le bureau de l'Assemblée nationale, celle de l'exclusion de 15 jours.

Cette peine n'avait jusqu'ici été prononcée qu'à une seule reprise entre 1958 et 2022, à l'encontre du député communiste Maxime Gremetz en 2011.

Grégoire de Fournas avait lancé "qu'il retourne en Afrique" en novembre dernier lors d'une question du député LFI Carlos Martens Bilongo sur l'Ocean Viking, un bateau qui transportait des migrants. Thomas Portes a posté une photo de lui lors d'une manifestation d'inspecteurs du travail, le pied sur un ballon de football à l'effigie d'Olivier Dussopt.

"On peut le regretter, mais les anathèmes, les injures, voire même les violences physiques n'ont vraiment rien de rare à l'Assemblée nationale", remarque de son côté Alain Vidalies, ex-ministre délégué aux Relations avec le Parlement au début du quinquennat de François Hollande.

Fatigue et séances de nuit

Cet ancien membre du gouvernement de Jean-Marc Ayrault a été aux premières loges pendant les débats sur le mariage pour tous en 2013. Les débats avaient été extrêmement tendus après 24 séances à l'Assemblée nationale, sur fond de grandes mobilisations dans la rue contre l'union pour les couples de même sexe.

"J'ai même dû m'interposer entre un député et Christiane Taubira pour qu'elle ne se fasse pas agresser. C'était d'une violence inimaginable. On était bien au-delà d'injures", confie encore Alain Vidalies.

À l'époque, Christian Jacob, le président du groupe de droite, avait appelé à "relativiser" l'événement, qui n'avait fait l'objet d'aucune sanction.

"On avait beaucoup parlé de la fatigue des députés, du fait qu'on était en train de siéger en pleine nuit. Tout ça échauffe les esprits et fait qu'un petit geste va prendre des proportions énormes, qui semblent totalement incompréhensibles à l'extérieur de l'hémicycle", décrypte encore Alain Vidalies.

Une précédente majorité de "godillots"

Le contexte politique a également changé depuis les dernières législatives, avec un gouvernement désormais confrontée à une majorité relative et à une gauche, notamment La France insoumise, qui a multiplié par 4 le nombre de membres de son groupe.

"On a peut-être un peu oublié cette ambiance de forte tension, parce qu'entre 2017 et 2022, on avait une atmosphère de députés très godillots", avance l'ancien président de l'Assemblée sous le mandat de Nicolas Sarkozy, Jean-Louis Debré.

"Tous les projets de loi très symboliques suscitent toujours beaucoup de passion. C'est le jeu et parfois ça peut même aller sur un terrain très personnel", avance encore l'ancien ministre de droite.

Des députés "entrepreneurs d'eux-mêmes"

L'ex-locataire du perchoir, Claude Bartolone, insiste, lui sur la présence massive de nouveau députés pour comprendre la multiplication des coups d'éclat. 302 élus ont fait leurs premiers pas à l'Assemblée nationale en juin dernier, principalement issus des rangs du RN et de LFI.

"On a désormais beaucoup de députés entrepreneurs d'eux-mêmes, qui cherchent à faire le buzz, le clash. Ça joue sur le niveau des échanges, qui me semblent plus dans l'invective et moins dans l'argumentation", avance-t-il.

"On surjoue l'indignation"

Claude Bartolone pointe également du doigt des présidents de groupe avec une autorité moindre qu'auparavant sur les députés, entraînant "des députés qui peuvent s'asseoir sur les consignes de leur collègue".

Certains parlementaires rappellent également la dimension théâtrale des passes d'armes dans l'hémicycle qui a gagné en importance avec les réseaux et les chaînes d'information.

"Parfois, on n'est pas vraiment choqué, mais on surjoue l'indignation pour faire de belles images. Avant, seuls les députés entendaient parler du grabuge", juge ainsi un vieux briscard du Parlement.

Ne plus savoir "arrondir les angles" à la buvette

L'habitude d'arrondir les angles après de vives discussions à l'Assemblée nationale à la buvette ou dans les couloirs semble également se perdre. Avec un exemple pour Jean-Louis Debré: celui de la passe d'armes entre Christine Boutin et Lionel Jospin en 1998.

En pleine cohabitation, le Premier ministre avait accusé l'élue de droite d'être "marginale" et "outrancière dans ses propos". Christine Boutin avait pris la parole la même semaine à la tribune pendant plus de 5 heures pour dire son opposition à la réforme du PACS alors en débat à l'Assemblée nationale.

Face à ces propos, la députée avait alors fondu en larmes devant tout l'hémicycle avant de se lever pour tenter de venir s'expliquer avec le Premier ministre, finalement interrompue par les huissiers de la séance. Après l'incident, la droite et la gauche avaient échangé en coulisses autour d'un verre, permettant de calmer le jeu.

"La buvette de l'Assemblée nationale est toujours bien encombrée pour se détendre", sourit cependant un député Renaissance. Sans vraiment parvenir à faire redescendre la tension d'un cran.

Marie-Pierre Bourgeois